Par le Saker US – Le 6 mai 2016 – Source thesaker.is
À écouter les médias commerciaux occidentaux, on a l’impression que le Kremlin contrôle toute la presse russe d’une main de fer et que pas un seul mot de critique sur la Russie, sans même parler de Poutine, n’est jamais permis. Cette situation est si affreuse que les Anglosionistes financent maintenant des efforts pour une information nouvelle, afin de contrer la machine de propagande russe et apporter un peu de cette information si nécessaire aux Russes qui, à l’évidence, ne réalisent pas qu’on leur ment et qu’on les prive de toute information véridique ou même alternative.
En réalité, rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité.
Premièrement, alors que certaines directions du KGB ont été renommées et réorganisées, la direction chargée des dissidents, des autres intellectuels et des divers ennemis idéologiques de l’État (la 5e direction principale) a été totalement dissoute. Donc ici, il n’y a pas de police idéologique en Russie. Certaines formes de discours sont, en effet, interdites : les discours extrémistes (terrorisme, violence, racisme, incitation à la haine, etc.) et certaines organisations spécifiques comme le Secteur Droit ukrainien ou le Mejlis tatar [Assemblée des Tatars de Crimée, NdT]. À part cela, le seul contrôle sur le discours en Russie est fondé sur des accusations criminelles. Donc, la Russie ne fait pas du tout exception en la matière – elle fait plus ou moins exactement la même chose que les États européens.
Deuxièmement, il y a énormément de critiques sur Poutine et le gouvernement en général sur un RuNet (l’Internet russe) très actif, pas seulement en Russie, mais aussi dans le monde entier (États-Unis, Canada, Kazakhstan, Ukraine, etc.). Certaines critiques viennent d’une minorité pro-américaine assez modeste, mais la plus grande partie d’entre elles proviennent du camp anti-américain : les nationalistes, les communistes et ceux qui critiquent la politique économique du gouvernement blâment Poutine pour être trop faible et peu désireux d’affronter directement l’Occident. Contrairement à ce qui se passe en Ukraine, les médias étrangers ne sont pas interdits, ni les émissions de radio et de télévision, ni les journaux.
Troisièmement, la plus grande partie de l’élite de l’argent (je ne veux pas l’appeler intelligentsia), basée à Moscou, abomine totalement Poutine et sa politique, et ses membres ne se gênent pas de donner leurs avis à son propos. Si vous voulez vérifier cette hypothèse, il vous suffit de parler à des touristes russes et vous verrez, c’est une règle, qu’ils ne soutiennent pas du tout Poutine. Et comme nous le savons, l’argent parle, et beaucoup d’argent russe est indubitablement opposé à Poutine.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de contre-propagande russe du tout. Il y en a une et elle est très efficace. Mais ce qui la rend unique, c’est la manière dont elle opère.
Je soupçonne que la manière extraordinairement incompétente dont la 5e direction du KGB a travaillé, pour tenter de faire face aux sentiments anti-soviétiques, a laissé une trace profonde sur la jeune génération des agents de sécurité nationale, qui ont appris de ces erreurs et ont adopté une voie diamétralement opposée : au lieu d’essayer d’imposer le silence à la propagande occidentale, ils la promeuvent en fait activement !
Eh oui, c’est bien vrai. Le Kremlin et les journalistes clairement pro-Poutine s’évertuent à donner autant de temps d’antenne que possible aux critiques les plus féroces contre le Kremlin, en particulier dans les débats télévisés russes.
Les émissions les plus populaires de la télévision russe (Une soirée avec Vladimir Soloviev, L’avenir le dira avec Petr Tolstoi, Droit de savoir avec Dmitrii Kulikov, Politique avec Petr Tolstoi et Alexander Gordon, Correspondant spécial avec Evgenii Popov, News.doc avec Olga Skabeeva, Duel avec Vladimir Soloviev) font en sorte que les groupes suivants obtiennent le plus de temps d’antenne possible :
- Les libéraux russes
- Les journalistes américains russophones
- Les officiels et journalistes polonais russophones
- Les nationalistes ukrainiens
Ces quatre groupes sont littéralement le pain quotidien de ces émissions, où ils fournissent un flot constant de débats politiques très divertissants. Pourquoi ? Parce qu’ils émettent exactement les mêmes absurdités qu’ils ont l’habitude de proclamer dans leurs propres pays, et si le public occidental ne sait vraiment pas que faire de cette propagande, elle sonne de manière si exotique aux oreilles des téléspectateurs russes, que ces invités sont totalement éventrés (verbalement, bien sûr) par les intervenants russes participant au même débat.
Et seulement pour s’assurer que chaque personne en Russie capte le message, les principales émissions hebdomadaires (Nouvelles de la semaine avec Dmitri Kiselev, Postscriptum avec Alexei Pushkov) présentent toujours de longs extraits d’articles de propagande occidentale et les déclarations les plus fanatiquement anti-russes émises par les politiciens occidentaux.
Par exemple, la BBC a récemment réalisé un film de propagande assez grotesque intitulé World War Three: Inside The War Room [Troisième Guerre mondiale : dans la salle d’opérations] montrant Poutine ordonnant l’invasion d’un État balte et une frappe nucléaire contre un porte-avions américain. Les médias russes sont devenus fous, et de longs extraits de l’émission, avec effets spéciaux et tout, ont été diffusés à la télévision. Les téléspectateurs ont regardé ces images avec effroi et consternation, devant la stupidité de tout cela.
Plus récemment, un magazine étasunien a publié une vidéo sur une prochaine édition de La Russie de Poutine. Regardez la vidéo :
Et ça, c’est la couverture du magazine.
Inutile de le dire, les Russes ont absolument adoré. Pas l’image elle-même, évidemment, elle était profondément offensante pour eux, mais le fait que Foreign Affairs ait montré aussi clairement son vrai visage : celui d’une russophobie haineuse. La Russie comme un ours ivre, frustré et blessé. Ils ont été étonnés, cependant, de ce que les Occidentaux les voient blessés ; et blessés par quoi ?
Ils ont aussi aimé le Making America Great Again [Retrouver la grandeur de l’Amérique] au haut de la page, ce qui était à l’évidence l’objectif propagandiste de ce numéro : montrer la Russie blessée, comme un moyen de faire en sorte que la Mérique paraisse de nouveau grande.
Croyez-le ou non, tout cela fait sainement rire de bon cœur la plupart des Russes et provoque chez eux une conscience aiguë de la haine qu’éprouve l’Occident à l’égard de la Russie. «Ils ne nous aiment que lorsque nous sommes faibles, blessés et ivres», est quelque chose que vous pouvez entendre souvent à la télévision russe, et la blogosphère est totalement d’accord.
Un autre élément habituel à la télévision russe, dont le grand public ne se lasse pas, ce sont les nationalistes ukrainiens. Non seulement ils nient systématiquement tous les problèmes dans l’Ukraine occupée par les nazis et continuent à affirmer avec insistance que l’armée russe opère au Donbass, mais ils arrivent même équipés avec la coiffure obligatoire, le chub [une sorte de crête, qui se termine par une longue mèche, NdT] et le drapeau ukie des patriotes ukronazis. Voyez vous-mêmes.
C’est une expérience tout à fait extraordinaire d’écouter les informations du soir avec des reportages en direct et des vidéos sur tout le chaos et la violence qui ont lieu en Ukraine, puis d’écouter ces clowns ukronazis expliquer que 2 + 2 = 3, que le noir est blanc et que l’eau est sèche. Je ne peux pas imaginer de manière plus efficace pour ridiculiser totalement le régime de Kiev.
Ensuite, il y a nos anciens frères d’Europe de l’Est, et en particulier les Polonais. Leur principale source de fierté est qu’ils font aujourd’hui partie de l’Otan et ils le disent ouvertement comme ça. Ils admettent effectivement que «nous avons peur de la Russie donc nous avons rejoint l’Otan», ce qui les fait paraître à la fois comme des idiots (personne en Russie ne croit qu’elle va envahir qui que ce soit) et des lâches (d’un point de vue russe, cette façon de se cacher derrière le grand frère n’inspire aucun respect). Donc si les Ukronazis passent pour des clowns, les responsables polonais passent pour des lâches et des prostitués. Et pour s’assurer que tout le monde le comprend, les médias russes rappellent régulièrement à la population russe que les Polonais ne cessent de répéter l’accusation ridicule que l’avion présidentiel qui s’est écrasé près de Smolensk avait été, d’une manière ou d’une autre, abattu ou bombardé par la Russie.
Et puis il y a les journalistes américains, principalement Michael Bohm – à droite sur la photo – qui parle très bien le russe, et Mark Knuckles – à gauche sur la photo – dont le russe, épouvantable et hilarant, sonne comme la caricature d’un mauvais film montrant un chef de station de la CIA pendant la Guerre froide. Oh lala, ces deux-là procurent des heures d’excellent divertissement.
Michael Bohm est clairement le plus intelligent des deux, mais il est aussi de loin le plus méchant. Tandis qu’il tente, difficilement, d’éviter de parler sur le ton d’un propagandiste US typique, il tombe en panne régulièrement, et commence à cracher quelques insanités impérialistes américaines très détestables. Il aime aussi essayer de nier toute réussite russe (toutes celles qu’il rejette comme propagande). Knuckles est totalement stupide et d’une arrogance typiquement américaine. Franchement, je suis surpris que personne aux États-Unis n’ait trouvé le moyen de le renvoyer de la télévision russe, avant qu’il nuise davantage à l’image des États-Unis en Russie. Quoi qu’il en soit, ces types sont vraiment très drôles à regarder, en particulier lorsqu’ils sont confrontés à des journalistes occidentaux raisonnables, de France, de Grèce, d’Allemagne, ou même à un collègue américain (un exemple ici).
Dernier élément, mais pas le moindre, il y a les libéraux russes. Vous devez réaliser que maintenant, les mots libéral et démocrate sont presque devenus des insultes en Russie. Voici une plaisanterie russe typique, qui illustre la vision russe particulière des libéraux :
Un nouvel enseignant entre dans la classe :
– Je m’appelle Abram Davidovich, je suis un libéral. Et maintenant, levez-vous tous et présentez-vous comme je l’ai fait…
– Je m’appelle Macha, je suis une libérale…
– Je m’appelle Petia, je suis un libéral…
– Moi c’est Little Johnny, je suis un stalinien.
– Little Johnny, pourquoi es-tu stalinien? !
– Ma maman est stalinienne, mon papa est stalinien, mes amis sont staliniens et moi aussi je suis stalinien.
– Little Johnny, et si ta mère était une putain, ton père un toxicomane, tes amis des homos – que serais-tu, dans ce cas? !
– Alors je serais un libéral.
Notez que le nouvel enseignant a un nom juif caractéristique, ce qui illustre la croyance russe que les juifs sont les principaux promoteurs de cette sorte de libéralisme, que des gens comme Berezovsky ou Khodorkovsky incarnaient dans les années 1990. Ce n’est pas une forme d’antisémitisme – c’est simplement un cas typique de retour de flamme.
Alors quand les pauvres libéraux russes arrivent à présenter leur point de vue à la télévision, ils ne sont pas seulement chargés de la tâche de défendre, ou au moins, de tenter de justifier les politiques impériales anglosionistes, on leur rappelle aussi régulièrement l’horreur qui a frappé la Russie sous leur règne dans les années 1990. Rien qu’à être en compagnie des Américains, des Polonais et des Ukrainiens qui haïssent la Russie, ils semblent discrédités au-delà de toute rédemption possible.
Il n’y a vraiment rien de plus amusant que de regarder les libéraux russes, les Américains, les Polonais et les Ukrainiens clamer, en prime time à la TV russe, qu’il n’y a pas de liberté de parole en Russie !
Gardez à l’esprit que les médias intérieurs russes sont très différents de Russia Today en anglais, dont la mission est de présenter un point de vue alternatif à un public occidental et, par conséquent, que très peu de russophobes enragés sont invités à parler sur RT. Mais à l’intérieur de la Russie, la décision a clairement été prise d’exposer le grand public russe à exactement la même propagande russophobe, que celle à laquelle le public occidental est soumis.
D’une certaine manière, vous pourriez dire que la technique de contre-propagande russe est une forme de vaccination intellectuelle : vous exposez l’organisme au pathogène juste assez pour provoquer une réponse immunitaire, mais pas assez pour l’infecter et le tuer. Résultat, les associations d’idées suivantes se sont puissamment imprimées dans la pensée collective russe :
Les libéraux russes → l’horreur des années 1990
Les journalistes américains → l’agression impérialiste US
Les dirigeants et les journalistes polonais → la russophobie
Les nationalistes ukrainiens → l’horreur du Banderastan aujourd’hui
C’est très, très efficace. La meilleure manière de le prouver est de se rappeler que tous ces groupes ont le soutien de peut-être 3% à 6% de la population russe, au maximum. Un solide 95% et plus leur est résolument opposé et ne veut pas qu’ils aient quoi que ce soit à dire, ou une influence quelconque sur l’avenir de la Russie.
En tant qu’ex-combattant de la Guerre froide moi-même, je me rappelle bien combien la propagande soviétique était ridicule et comment personne ne la prenait au sérieux, ni à l’Ouest ni à l’Est. Maintenant, les tables ont tourné et c’est la propagande occidentale qui n’est plus prise au sérieux nulle part (bon, à part peut-être en Pologne et dans les États baltes) et qui finit par nuire à la crédibilité de l’Occident.
La propagande de l’Empire est tout simplement contraire aux faits et totalement illogique, et c’est tout à fait évident pour un public russe. C’est pourquoi la dernière chose que le Kremlin voudrait faire, est d’empêcher la population russe d’y être exposée.
The Saker
Article original publié sur The Unz Review
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker francophone
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