Par Stephen Gowans – Le 7 mars 2017 – Source gowans.wordpress.com
La Maison Blanche envisage une « éventuelle action militaire pour forcer au changement de régime » en Corée du Nord, une autre dans la longue suite de menaces que Washington a émises contre Pyongyang, en plus d’une agression ininterrompue dirigée contre le pays par les États-Unis dès sa naissance en 1948.
En plus de l’intervention militaire directe entre 1950 et 1953 contre la République populaire démocratique de Corée (le nom officiel du pays), l’agression américaine a consisté en de multiples menaces d’annihilation nucléaire accompagné du déploiement d’armes nucléaires tactiques en Corée du Sud jusqu’en 1991. Un redéploiement est aujourd’hui à l’étude à Washington.
La plus grande partie des menaces nucléaires étasuniennes contre Pyongyang ont été proférées avant que la Corée du Nord ne s’engage dans son propre programme d’armement nucléaire et constituent une des principales raisons pourquoi elle l’a fait. Le fait que le pays soit déclaré membre fondateur de l’Axe du Mal par l’administration Bush, en même temps que l’Irak et l’Iran, a donné un élan supplémentaire.
L’agression américaine contre la Libye de Kadhafi, après l’abandon par le dirigeant nationaliste arabe et africain du programme d’armement nucléaire de son pays, dans un vain effort pour parvenir à une entente avec l’Occident, n’a fait que renforcer la position de Pyongyang dans sa décision d’acquérir une dissuasion nucléaire solide et impérative. Commettre la maladresse de Kadhafi serait un suicide.
La Corée du Nord a en outre été menacée par des exercice militaires américains annuels, impliquant des centaines de milliers de soldats, effectués le long de ses frontières. Tandis que les dirigeants étasuniens décrivent le rassemblement, deux fois par an, d’importantes forces militaires à portée de la RPDC comme normale et défensive, il n’est jamais clair pour l’armée nord-coréenne si les manœuvres dirigées par les États-Unis sont des exercices défensifs ou les préparatifs d’une invasion. Par conséquent, les exercices sont objectivement comminatoires.
Des responsables américains ont décrit les exercices militaires russes le long de la frontière occidentale de la Russie comme des « provocations » et un signe de l’« agression » russe. Un officiel américain a dit: « Les Russes ont fait une quantité d’exercices rapides contre les frontières, avec beaucoup de troupes. De notre point de vue, nous pourrions prétendre que c’est un comportement extraordinairement provocateur. » Et pourtant, lorsque des troupes américaines et sud-coréennes font la même chose, tout près des frontières de la Corée du Nord, leurs actions sont jugées routinières et défensives. (Des menaces routinières, faut-il le souligner, ne deviennent pas des non-menaces simplement parce qu’elles sont habituelles.)
En plus de l’agression militaire, les États-Unis ont ajouté une agression économique qui dure depuis des décennies dans leur tentative de provoquer un changement de régime en Corée du Nord. Pendant près de soixante-dix ans, Washington a mené une guerre économique contre la RPDC, conçue pour faire ce que les sièges économiques sont censés faire : rendre la vie des gens ordinaires suffisamment difficile et misérable pour qu’ils se révoltent contre leur propre gouvernement.
Tandis que les États-Unis se pavanent dans le monde entier comme les champions auto-proclamés de la démocratie, tout en comptant des rois, des émirs, des sultans et des dictateurs militaires parmi leurs plus proches alliés, ils ont imposé des sanctions à la Corée du Nord pour la raison la plus profondément antidémocratique. Un rapport du Service de recherche du Congrès américain de 2016, North Korea : Economic Sanctions [Corée du Nord : sanctions économiques], énumère une liste détaillée des pénalités économiques imposées à la Corée du Nord pour avoir la témérité de pratiquer une économie « marxiste-léniniste » contraire aux prescriptions approuvées par Wall Street et Washington. Par conséquent, les États-Unis mènent une guerre économique contre des gens dans d’autres pays parce qu’ils n’aiment pas les décisions que ceux-ci prennent sur la manière d’organiser leurs propres vies économiques (et plus précisément parce que ces décisions ne correspondent pas aux intérêts lucratifs de l’Amérique des grandes entreprises, le seul secteur des États-Unis dont les voix comptent dans la politique américaine.) Qu’est-ce qui pourrait être plus hostile à la démocratie – et plus impérialiste – que cela ?
La décision des États-Unis d’envisager une action militaire contre la Corée du Nord pour forcer à un changement de régime peut être considérée comme une réponse aux « menaces » de Pyongyang, mais la RPDC, indépendamment de ses fanfaronnades, n’a jamais représenté une menace à la sécurité physique des États-Unis. Elle est beaucoup trop petite (sa population n’est que de 25 millions) et trop faible militairement (ses dépenses militaires annuelles atteignent moins de 10 milliards de dollars, submergés par les mises de fonds himalayennes de ses adversaires, des $36 milliards de la Corée du Sud aux $41 milliards du Japon et aux $603 milliards des États-Unis), pour représenter une menace importante, ou même une menace dérisoire. En plus, elle est totalement dépourvue de moyens pour déplacer une armée sur le sol américain, puisqu’elle manque de bombardiers à longue portée et d’une marine compétente.
Certes, Pyongyang a peut-être développé des ICBM capables d’atteindre les États-Unis, et elle peut avoir acquis le savoir-faire pour miniaturiser les ogives nucléaires qui peuvent être transportées au dessus d’eux, mais l’idée que Pyongyang lancerait une attaque offensive contre les États-Unis est risible. Le faire équivaudrait à une mêlée entre un porc-épic et un lion des montagnes. Comme les porcs-épics n’ont aucun espoir de vaincre les lions des montagnes, et qu’ils seraient massacrés dans leur tentative, ils évitent les confrontations avec les lions. Ils ont toutefois des piquants pour se défendre – l’équivalent des programmes nord-coréens d’armement nucléaire et de missiles balistiques – pour dissuader les lions des montagnes et d’autres prédateurs de les approcher de trop près.
La Corée du Nord est souvent critiquée pour être un pays garnison, fermé au monde extérieur. Pourtant on peut comprendre son insularité comme un impératif pour survivre en tant qu’État indépendant souverain dans un monde où les États-Unis insistent pour exercer un « leadership » mondial (c’est-à-dire en déniant à d’autres pays le droit à leur souveraineté) et en utilisant leur suprématie militaire pour contraindre le monde à marcher derrière leur domination sur l’économie mondiale.
Washington a mené une cyber-guerre contre la Corée du Nord, dont on pense qu’elle pourrait être responsable d’une série d’échecs de lancements de missiles qui ont récemment plombé le programme missile de la RPDC et, en plus, permet d’expliquer pourquoi le gouvernement du pays se méfie de l’ouverture. Vous ne facilitez pas le sabotage de votre propre pays en l’ouvrant à un gouvernement hostile qui s’est engagé à vous destituer. Et s’il devait encore y avoir des illusions sur ce que sont les intentions de Washington, considérez les paroles de John R. Bolton. En 2003, Bolton était le secrétaire d’État adjoint américain pour le contrôle des armements. Interrogé par le journaliste du New York Times Christopher Marquis sur la politique de Washington à l’égard de la Corée du Nord, Bolton « se dirigea vers une étagère, en sortit un ouvrage et le jeta sur la table. Il était intitulé The End of North Korea (La fin de la Corée du Nord). ‘Ça, c’est notre politique’, dit-il ». Les programmes d’armement nucléaire et de missiles de la Corée du Nord n’ont absolument rien à voir avec la volonté de Washington de mettre fin à la Corée du Nord, puisque cela a été la politique des États-Unis depuis 1948, l’année de la fondation de la RPDC, longtemps avant que Pyongyang se mette à développer des armes nucléaires et les moyens de les lancer. Au contraire, les raisons de l’hostilité de Washington résident dans l’économie et le refus de Pyongyang de se soumettre à la domination américaine.
Le mois prochain, la Corée du Sud augmentera significativement les récompenses qu’elle paie aux transfuges du Nord qui trahissent et diffusent des secrets d’État ou remettent de l’équipement militaire. Des responsables nord-coréens de haut rang recevront $860 000 pour déserter et vendre leurs compatriotes tandis que la même somme sera offerte aux pilotes pour piloter leurs avions de combat en Corée du Sud. Les marins qui livreront leurs navires de guerre à Séoul recevront aussi $860 000. En même temps, des paiements allant de $43 000 à $260 000 seront remis aux soldats de l’armée nord-coréenne qui désertent s’ils amènent avec eux des armes moins importantes comme des chars blindés ou des mitrailleuses.
La Corée du Sud, contrairement au Nord très menacé, est un appendice néo-colonial des États-Unis qui héberge des dizaines de milliers de soldats américains sur son sol, apparemment pour la protéger contre la RPDC, même si la Corée du Nord est plus faible militairement que son homologue sur la péninsule, dispose d’un équipement et de systèmes d’armes moins avancés et si ses dépenses militaires ne correspondent qu’à un quart de celles de Séoul. La Corée du Sud renonce à son contrôle souverain sur sa propre armée, le cédant de jure au commandement américain dans les périodes d’urgence et sinon de facto à son contrôle. Cela reflète l’histoire du pays. Il a commencé comme un régime de collaborateurs avec les Japonais, des collaborateurs qui ont fait passer leur collaboration aux nouveaux seigneurs américains à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pendant ce temps, au nord, ce sont les guérilleros qui ont combattu la colonisation japonaise et ont donné leurs vies pour l’affranchissement de la Corée du contrôle étranger qui ont fondé le gouvernement à Pyongyang. Alors, comme aujourd’hui, une moitié de la péninsule de Corée manifestait une farouche indépendance, tandis que l’élite de l’autre moitié se soumettait à un colosse impérialiste (contrairement à un mouvement populaire de guérilla dans le Sud qui a cherché, sans succès, à secouer le joug de l’oppression des gouvernements collaborationnistes et de leur suzerain étasunien).
L’hostilité de la Corée du Sud à l’égard de son voisin du Nord favorable à l’indépendance, parallèlement aux sept décennies ou presque d’agression ouverte des États-Unis contre la RPDC, est directement responsable de la fermeture et du caractère de pays garnison autoritaire de l’État nord-coréen. L’orientation anti-démocratie libérale du pays n’est pas l’expression d’une préférence idéologique pour un État policier plutôt que de droit, mais une adaptation à une réalité géopolitique. La nature de l’État nord-coréen, sa stratégie militaire et ses programmes d’armement nucléaire et de missiles sont des conséquences de son engagement idéologique pour l’indépendance, jointes à ses difficultés à tracer une voie indépendante au milieu de voisins hostiles et beaucoup plus forts dont le patron étasunien insiste sur la soumission nord-coréenne.
Lorsque le jeune État bolchevique était entouré d’ennemis plus forts que les Bolcheviques sous de nombreux aspects, Lénine a soutenu que laisser la liberté de s’organiser aux ennemis de la révolution serait auto-destructeur. « Nous ne souhaitons pas nous éliminer nous-mêmes en nous suicidant et par conséquent nous ne le ferons pas », a déclaré le dirigeant bolchevique. En se ralliant volontairement à une démocratie libérale sans restriction – une société ouverte – la Corée du Nord mettrait également en péril le projet nationaliste ce qui se traduirait par une faillite qu’elle s’infligerait à elle-même.
La RPDC est aussi critiquée pour être une cause perdue économiquement, bien que ses souffrances économiques soient presque invariablement exagérées. Néanmoins, près de soixante-dix ans de guerre économique et les contraintes de maintenir une armée assez forte pour dissuader l’agression de voisins hostiles et de leur patron impérialiste ont nécessairement des conséquences néfastes. Essayer de faire tomber la RPDC en lui imposant des sanctions commerciales, travailler à couper Pyongyang du système financier mondial et pousser le pays à une position où il a été contraint de faire de lourdes dépenses de défense pour survivre (on estime que Pyongyang alloue 15% à 24% de son PIB à sa défense, comparés aux 2.6% de la Corée du Sud et aux 3.3% des États-Unis), puis attribuer ses difficultés économiques au fait qu’elle n’est pas une « économie de marché », comme Washington l’a fait, est extrêmement malhonnête.
Peut-être est-ce une façon de mesurer le bellicisme des États-Unis que leurs menaces de guerre soient traitées comme assez routinières pour pouvoir être mentionnées négligemment dans la presse sans soulever beaucoup d’attention ou susciter des protestations. Selon un calcul, les États-Unis ont été en guerre pendant 224 des 241 années de leur existence. Dans le contexte de leur culte permanent et dévot à Mars [le dieu de la guerre, NdT], l’examen par Washington des mérites de l’engagement dans une nouvelle guerre fait de cette dernière éruption de belligérance un spectacle familier. Cela pourrait expliquer la tranquillité avec laquelle la possibilité d’une intervention militaire contre la Corée du Nord a été accueillie. Ce qui contribue à la tranquillité est la réalité que la guerre avec la RPDC ne requerrait pas la participation de l’immense majorité des citoyens américains, mis a part leurs applaudissements aux tribunes. Cela, joint à la totale diabolisation de la Corée du Nord, rend une intervention militaire (si elle devait se faire) facile à accepter pour le public américain, ou du moins à la repousser aux marges de leur conscience.
La révélation que la Maison Blanche envisage une action militaire contre sa victime de longue date a été discrètement insérée dans un article du Wall Street Journal, et on a pensé qu’elle portait si peu à conséquence qu’elle ne méritait même pas de figurer en première page. Au lieu de quoi, le gros titre de l’article mentionnait que la Corée du Nord avait lancé « quatre missiles balistiques dans les eaux au large de la côte, dit la Corée du Sud », conformément à la représentation de la RPDC comme signe de menace. Par conséquent, l’annonce qu’une frappe militaire américaine est envisagée contre la Corée du Nord pourrait être considérée comme une réponse légitime à une prétendue provocation de celle-ci, plutôt que de présenter plus raisonnablement l’essai de lancement de missiles balistiques comme une réaction légitime à près de soixante-dix ans de belligérance étasunienne.
Certains progressistes, préoccupés par le rythme croissant des bruits de sabre américains contre Pyongyang, adjurent Washington de négocier un traité de paix avec la RPDC en échange, pour la Corée du Nord, de refaire la folie de Kadhafi et de démanteler ses programmes d’armement nucléaire et de missiles balistiques. L’idée que les États-Unis rendront la pareille n’est jamais prise en compte et elle est vue comme chimérique. L’arrangement préféré est celui d’un apartheid des armes nucléaires où les États-Unis et leurs subalternes conservent leurs armes nucléaires comme une nécessité « évidente » d’autodéfense et un rempart contre le « chantage nucléaire », tandis qu’on attend du reste du monde qu’il se soumette volontairement au chantage nucléaire des États-Unis et des membres établis du club de l’armement nucléaire.
Presque tout aussi chimérique, cependant, est l’idée que la RPDC renoncera à ses armes nucléaires et aux moyens de les lancer. Les États-Unis ont involontairement créé des conditions qui rendent un programme nord-coréen d’armement nucléaire presque inévitable, et tout à fait adéquat du point de vue de Pyongyang. Pour une dissuasion nucléaire, non seulement il oblige Washington à une extrême circonspection dans le déploiement de ses moyens militaires contre la RPDC, il permet aussi à Pyongyang de réduire ses dépenses en dissuasion conventionnelle, libérant des ressources pour son économie civile. Les armes nucléaires sont rentables. Cette réflexion est implicite dans la « politique nord-coréenne du Byungjin », « le ‘programme à deux voies’ visant à construire l’économie et l’armement nucléaire, défini dans la résolution adoptée par la 7e congrès du Parti des travailleurs de Corée en mai dernier, comme son ‘orientation stratégique permanente’ ».
James Clapper, l’ancien chef du renseignement américain a dit au groupe de réflexion dirigé par Wall Street, The Council on Foreign Relations, d’oublier de négocier un accord nucléaire avec Pyongyang. « Je pense que l’idée d’obtenir des Coréens du Nord qu’ils se dénucléarisent est une cause perdue, a dit Clapper en octobre dernier. Ils ne vont pas le faire. C’est leur ticket de survie. Et j’ai eu un avant-goût de cela, lorsque j’étais là-bas, sur à quoi le monde ressemble de l’endroit où ils se trouvent. Et ils sont assiégés… Donc l’idée de renoncer à leur capacité nucléaire, quelle qu’elle soit, est une ineptie pour eux. »
« Donc un genre de négociations comme avec l’Iran, qui fixerait un plafond ou une suspension n’est pas envisageable – votre expérience diplomatique en déduit que c’est peu susceptible d’arriver », lui a-t-on demandé.
Clapper a répondu : « Je ne le pense pas. »
Stephen Gowans
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par M pour le Saker francophone
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