Voici comment le statut régional de l’Iran est en train de changer


Le paiement par les États-Unis de 400 millions de dollars à l’Iran est un signe que sa longue période d’isolement touche à sa fin.

Par Adam Garrie – Le 5 août 2016 – Source The Duran

Les révélations sur le transfert de 400 millions de dollars du gouvernement Obama à l’Iran, payés en liquide, en ont fait tiqué plus d’un à travers le monde. Cela a confirmé le rapprochement entre deux nations dont les relations ont, pendant des décennies, été au plus bas. Bien que ce rapprochement ne soit pas d’aussi grande envergure et aussi ambitieux que celui de Nixon avec la Chine maoïste, il est curieux de voir que le rôle de l’Iran dans la région et dans le monde a changé si rapidement, si récemment.

Au début des années 1980, l’Iran était globalement isolé. En dépit du fait que l’Union soviétique fut parmi les premiers pays du monde à reconnaître la toute nouvelle République islamique, les relations entre l’État communiste et la jeune théocratie restèrent lâches. Les relations avec l’Amérique et leurs alliés étaient plus ou moins inexistantes et, à l’exception de la Syrie, l’Iran était isolé du monde arabe voisin. Les membres de l’OTAN, leurs alliés ainsi que les pays du Pacte de Varsovie avaient investi dans une victoire irakienne durant la guerre prolongée entre la République islamique et l’État arabe laïque de Saddam.

Les choses se sont à peine améliorées dans les années 1990, alors que les turbulentes années 1980 se clôturaient avec l’appel de l’Iran à l’exécution du romancier Salman Rushdie, résidant à Londres. Qu’est ce qui a changé depuis 2003 ? Pour citer Harold Macmillan, « Les évènements, mon garçon, les évènements ». Les tragiques évènements se déchaînant dans le monde arabe depuis l’invasion de l’Irak en 2003 ont renversé la dynamique politique de toute la région, la mettant sens dessus-dessous. On peut résumer la chronologie de ces évènements de la manière suivante.

  • La guerre en Irak créa une nouvelle puissante base pour les Arabes chiites au sud et dans quelques parties du centre de l’Irak.
  • Les divisions sectaires explosives qui ont causé une guerre civile en Irak ont conduit de nombreux Irakiens chiites à comprendre les concepts d’union irakienne (un objectif de Saddam), à laisser tomber l’objectif pan-arabique, moins préférable qu’une alliance basée sur la loyauté religieuse avec un puissant voisin chiite non-arabe. Suite à quoi les gouvernements de Bagdad ont été dominés par les chiites, renforçant cette tendance.
  • La guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah procura à ce dernier, allié de l’Iran, un prestige accru au Liban, tandis que le gouvernement de Beyrouth semblait autoriser des évènements externes pour casser leur contrôle. Le Hezbollah affirma la victoire qui eut des répercussions géopolitiques à travers le Liban.
  • La promotion du wahhabisme et surtout du terrorisme wahhabite dans le monde arabe, financé par les États du Golfe, la Turquie (selon les révélations de la Russie) et l’Amérique (comme le prouvent les derniers courriels fuités d’Hillary Clinton) ont causé de profondes divisions dans le monde arabe, alors que les États arabes laïques et souvent plurireligieux continuent d’être ravagés par l’EI. La conséquence en est que le rêve d’unité arabe du milieu du XXe siècle, duquel l’Iran était isolé en tant qu’État impérial laïque comme en tant que théocratie chiite, n’est plus qu’un lointain souvenir pour beaucoup.
  • L’élection du président iranien Hassan Rohani en 2013 a amené une touche modérée et ouvert l’Iran plus largement au monde, en contraste avec son prédécesseur qui était plus connu pour sa rhétorique flamboyante et sa capacité à offenser les puissances étrangères, que pour sa diplomatie.
  • Le contrat iranien de 2015 contribua à apaiser les tensions entre l’Iran et la communauté internationale. L’Iran s’est grâce à cela enrichi de 400 millions de dollars. Bien sûr, ce contrat n’aurait pas pu aboutir sans la patience, le pragmatisme et le talent des équipes de négociation russes. La plupart de l’Asie l’a compris, mais les médias européens et américains n’en ont jamais parlé (alors que la thématique du moment est le changement, la Russie, soit diabolisée soit ignorée par les médias occidentaux, ne semble pas faire partie du récit de ce changement).

La combinaison de ces évènements a fait que l’Iran est passé du stade d’État isolé, à l’apparence bien plus extrême que ses voisins laïques arabes, à celui de source de stabilité et de modération dans une région décimée par la guerre et les soulèvements politiques. Cela contraste fortement avec l’autre grande puissance non-arabe de la région, la Turquie. Tout au long des précédentes années, Erdogan a endossé tous les costumes politiques possibles, du chef turc islamique qui démantèlera presque un siècle de laïcité, à celui de nouveau sultan qui gagnera le respect des Arabes, puis de nouveau sultan qui dominera les Arabes (ces derniers ont clairement dit non merci, comme en 1916). Il a été pro-Israël, puis anti-Israël, et de nouveau pro-Israël. Il est passé de vouloir rejoindre l’UE à forger une alliance avec la Russie, puis il provoqua une guerre avec la Russie, et maintenant il demande pardon à la Russie en rampant. Il combat les Kurdes qui combattent la Turquie, et finance EI qui combat tout le monde. Erdogan représente le politique maniaco-dépressif dans son pire état. Tout à coup, le calme du président iranien semble être un complément bienvenu à la folie du Sultan Erdogan.

Le problème le plus crucial tient au fait que la seule alliance légitime de la région combattant contre EI est celle de la Russie, de l’Iran, de la Syrie, des combattants kurdes et du Hezbollah. Malgré toutes les différences qui les séparent, ils ont fait preuve de grand sérieux dans la lutte contre l’EI, alors que la Turquie et les États du Golfe ont créé et favorisé le problème EI.

Le monde s’est psychologiquement uni contre EI. En terme d’alignement politique pour le détruire, tout le monde adhère au scénario selon lequel celui qui combat EI agit au nom de la cause commune de la civilisation contre la barbarie. C’est largement plus convainquant que les arguments fébriles d’Obama et d’Hillary Clinton, qui ne peuvent que dire qu’Assad est une menace pour l’humanité (sans dire pourquoi ou comment). Et pendant ce temps, faisons semblant de haïr EI… Oh, et au fait, ne regardez pas ces courriels sur Wikileaks, et si vous le faites, sachez que comme tout le reste dans le monde, c’est la faute de Poutine… Pathétique.

L’Iran a intérieurement  changé depuis les années 1980, mais de manière plus importante, les changements de la région en ont inévitablement secoué plus d’un. Les évènements, mon garçon, les évènements.

Adam Garrie

Article original publié  dans The Duran

Traduit par Ismael, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone.

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