Par Andrew Korybko – Le 17 octobre 2018 – Source orientalreview.org
Jair Bolsonaro, candidat de droite aux élections présidentielles brésiliennes, a réalisé un score impressionnant au premier tour en début de mois, et le « Trump des tropiques » semble en bonne voie pour se faire élire au deuxième tour.
Le populiste énergique a raté de peu une investiture dès le premier tour, y remportant à la surprise générale 46% des suffrages, et l’homme se trouve bien placé pour dégommer son adversaire de gauche Fernando Haddad au second tour ce 28 octobre. La plupart des gens sont déjà au fait du niveau ultra-controversé des commentaires de Bolsonaro sur le débat social, si bien qu’il n’est sans doute pas très utile de les réitérer d’ici le second tour ; il nous apparaît utile de centrer notre attention à ce moment clé sur les impacts qu’a eu la guerre hybride lancée par les USA sur le Brésil, qui a façonné l’environnement électoral en faveur du personnage. L’« opération Car Wash », la très profonde enquête anti-corruption qui a fait tomber le gouvernement de l’ancienne présidente Dilma Rousseff, et a mené à l’emprisonnement de l’ancien président Lula, tant d’événements qui ont été facilités par la NSA, et ont réussi à exposer le niveau de corruption bien ancré des élites de gauche alors au pouvoir, et de certains membres de l’opposition de droite.
La conséquence en a été une montée inédite de l’indifférence de l’homme de la rue pour le processus politique de son pays. Une autre conséquence en a été de faire de Bolsonaro – jusqu’alors politicien périphérique n’ayant guère fait voter la moindre loi malgré ses décennies passées en tant qu’élu – une sorte de héros national parce qu’il a démontré avoir été l’un des seuls législateurs du pays à ne pas être corrompu. Cette attention renouvelée lui a permis d’amplifier ses messages socio-économiques, promouvant la détention d’armes par le peuple et la privatisation de l’économie, jusqu’à un niveau d’audience national. Ces messages ont été reçus très favorablement, alors qu’ils étaient jusque-là considérés comme des mesures extrêmes. Mais cela n’illustre qu’un fait : la « fenêtre d’Overton » s’est décalée et a rendu normales des positions jusqu’alors radicales, par suite de la guerre hybride menée par les USA contre le Brésil, qui avait soigneusement ciblé la légitimité des socialistes au pouvoir à l’époque.
Le pays a également subi une vague de crimes de plus en plus graves, que l’administration précédente n’avait guère travaillé à enrayer, ce qui explique pourquoi les messages de Bolsonaro sur la détention d’armes et la lutte contre la criminalité sont si bien reçus, à l’image de la popularité des mesures répressives prises par le président Duterte aux Philippines contre les gangs de dealers. Nombre d’habitants du Brésil ont vu leur situation se dégrader au point de ne avoir comme préoccupations que de trouver du pain, un abri et un certain niveau de sécurité ; et alors que les socialistes ont œuvré à répondre aux deux premiers de ces besoins, ce pourrait bien être le troisième d’entre eux, plus que sa réputation d’incorruptible, qui explique le niveau de popularité surprenant dont bénéficie Bolsonaro. Quoi qu’il en soit, son score aux élections dimanche dernier a pris par surprise les sondeurs, nombre de ses soutiens n’ayant pas osé exprimer leur opinion ouvertement avant la tenue du scrutin.
Peut-être que comme pour Trump en 2016, ils ont pu craindre de se voir dénigrer comme « racistes, fascistes » ou « suprémacistes blancs », et ont préféré « auto-censurer » leurs opinions jusqu’au moment de les exprimer en privé et en masse au moment de l’élection. Tout ceci étant dit, il serait déplacé d’attribuer la montée de Bolsonaro à l’unique fait de la guerre hybride menée par les USA contre le Brésil, sans prendre en compte la polarisation pré-existante du pays ou les échecs des politiques menées par les socialistes. On assiste ici à une résultante de ces facteurs, même si l’effet qu’a eu la guerre hybride sur le façonnage de l’environnement électoral a bien pu être identifié par les USA à l’avance, et que Bolsonaro constitue peut-être leur candidat préféré pour diriger le Brésil.
Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le vendredi 12 octobre 2018.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Vincent pour le Saker Francophone