Par Dmitry Orlov – Le 2 aout 2018 – Source Club Orlov
Cela fait plus de deux semaines que Poutine a parlé à Trump à Helsinki, et le brouhaha autour de cette réunion s’est un peu calmé, ce qui a permis de rassembler quelques réflexions sur ce qui s’y était dit. Évidemment, il y avait beaucoup à discuter pour ces deux chefs d’État, simplement pour éviter que la situation internationale ne devienne incontrôlable, et peut-être l’ont-ils fait. Et, de toute évidence, la seule chose que ces deux pays n’auraient pas pu faire est d’empêcher la situation politique aux États-Unis de devenir incontrôlable.
Peut-être plus important encore, ils ont décidé de relancer le processus visant à remettre sur les rails les pourparlers sur la limitation des armements stratégiques. En réponse à l’abandon par les États-Unis du Traité antimissile antibalistique en décembre 2001, la Russie a passé ces 17 dernières années à développer de nouveaux systèmes de missiles hypersoniques et suborbitaux, certains à propulsion nucléaire et à autonomie illimitée. Ces nouvelles armes ont enterré les rêves de l’Amérique de pouvoir jamais réussir une première frappe nucléaire contre la Russie. Elles ont également réduit le statut des systèmes américains de défense balistique à celui de ferraille très coûteuse. Maintenant que la destruction mutuelle assurée est une fois de plus garantie, il est parfaitement logique que les deux superpuissances nucléaires du monde recommencent à chercher comment garantir la sécurité de l’autre, car toute alternative comporte le risque d’anéantissement nucléaire des deux côtés.
Il semble assez évident que la tenue de pourparlers sur la prévention d’une conflagration nucléaire accidentelle face à des circonstances stratégiques radicalement modifiées est plus importante que tout autre chose. Et pourtant, en Occident, la couverture médiatique de l’événement était dans la lignée de cette manchette de la BBC : « Trump se range aux côtés de la Russie contre le FBI au sommet d’Helsinki ». À leurs yeux, Trump a brisé une règle cardinale en allant à l’encontre du récit de « l’ingérence électorale russe ». En passant, le titre de la BBC est stupide : la Russie n’a pas pris parti contre le FBI. Poutine a déclaré que dans une démocratie, seuls les tribunaux peuvent décider de la véracité de ces allégations, et a offert la coopération du gouvernement russe dans leur enquête. Mais ses mots sont tombés dans l’oreille d’un sourd. Au lieu de cela, le monde a été contraint d’être témoin d’un spectacle très étrange : le président américain a été accusé de rien de moins que de « trahison ». Le mot est entre guillemets parce que ce n’est pas possible : aux États-Unis, la trahison est spécifiquement limitée à l’acte d’aider et d’encourager un ennemi en temps de guerre et ne s’applique pas aux présidents américains qui ont des entretiens avec des dirigeants étrangers.
La réaction des médias américains a été largement discutée dans les médias russes, et a été communément appelée d’« hystérique ». Mais je pense que cette caractérisation manque la cible. Oui, vous pourriez faire référence métaphoriquement à ce qui s’est passé en utilisant des termes empruntés à la psychologie ou à la psychiatrie, mais je ne pense pas que cela ajoute vraiment à la clarté. À quoi sert un diagnostic s’il ne peut être suivi d’une thérapie ou d’un traitement ? S’il y avait la possibilité que des hommes en costume blanc courent sur le plateau de CNN ou MSNBC, brandissant des seringues et des camisoles de force, alors, bien sûr, appelez ça « hystérie » ou « psychose » ou ce que vous voulez. Mais la probabilité que cela se produise est nulle. Plus précisément, ces journalistes, qui ne sont pas tout à fait des journalistes, qui aiment jeter des contrefaits dans tous les sens pour accuser Trump de trahison sans même se donner la peine de « googler » le mot « trahison », car dans ce cas ils auraient découvert que le terme ne s’applique pas et ils auraient essayé d’en utiliser un différent. Ils auraient peut-être essayé de se brancher sur la « déloyauté », mais après avoir pris connaissance de la chaîne de commandement au sein de l’Exécutif, ils auraient découvert que l’exigence de rester loyal revient au FBI et non au président. Ils auraient été forcés de descendre dans la liste pour opter pour autre mot, « scepticisme », ce qui est bien le cas en réalité.
Mis à part les métaphores psychologiques, qu’est-ce qui a possédé (une autre métaphore) les mass-médias aux États-Unis pour appeler Trump un « traître » ? Nous avons déjà établi que ce discours ne pouvait pas donner lieu à une action (en raison des limitations légales sur le sens du terme « trahison »). Il se compose de mots et de phrases évocatrices mais absurdes, répétées sans cesse avec beaucoup d’emphase. Si l’on considère que la politique signifie la poursuite du possible, cela ne peut même pas être qualifié de discours politique. Plus ou moins par processus d’élimination, nous sommes forcés de conclure que c’était… de la poésie. Pas une bonne poésie, à notre avis, mais quelque chose plus dans le sens de la poésie Vogon tel que décrite par Douglas Adams : le genre de poésie qui, récité, amène les spectateurs à se cannibaliser ou à mourir d’hémorragie interne. Comparez, par exemple, la prose de John McCain
Aucun président précédent
Ne s’est jamais abaissé de manière plus abjecte
Sinon un tyran !
et le prostetnic Vogon de Douglas Adams, Jeltz de dire:
Je devrais vous déchirer
Dans les gobberwarts
Avec mon blurglecruncheon !
Mais je pense que c’est Trump qui a commencé ce slam poétique, avec cette salade de mots :
Le président Poutine dit que ce n’est pas la Russie.
Je ne vois aucune raison pour cela …
Il corrigea ensuite avec facétie :
Je ne vois aucune raison pour que ce ne soit pas…
Ces lignes sont dignes du poète lauréat d’Adams, Grunthos le Flatulent.
Qu’est-ce qui a poussé cette retraite américaine vers la mauvaise poésie ? Peut-être que cela a quelque chose à voir avec la prise de conscience que les États-Unis ne sont plus dominants ou prééminents dans le monde, dans tous les sens du terme. Cette prise de conscience doit être cachée par tous les moyens possibles, car de telles pensées ne sont tout simplement pas autorisées dans les médias dominants de la seule nation exceptionnelle du monde. Les poèmes sont utiles ici en ce sens qu’ils n’ont aucune valeur de vérité. Vous ne pouvez pas plus contester un poème que vous pouvez remettre en question les mots de l’hymne national. (« Non, notre drapeau n’était pas encore là ! »). Les poèmes sont, simplement, et si vous remettez en question leur véracité, alors vous êtes contre la poésie elle-même. Même chose avec le récit de l’ingérence/collusion/piratage en Russie : « il est », point à la ligne. Dire que ce n’est pas, est comme dire que Mary n’avait pas de petit agneau.
Je vais vous laisser avec de la poésie Vogon. Il y a presque dix ans, à la fin de 2009, j’ai rédigé quelques prédictions pour la prochaine décennie. Une de mes prédictions, et que je maintiens, est que les Américains, incapables de modérer leur appétit face à des circonstances radicalement modifiées, vont
se consumer dans l’oubli
comme tant de requins éventrés mais toujours voraces
se gaver sans cesse
de leurs propres entrailles flottantes.
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone
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