Par Finian Cunningham – Le 13 mars 2017 – Source Strategic Culture
La destitution spectaculaire de la présidente sud-coréenne Park Geun-hye crée une ouverture politique inattendue susceptible de contrer le cycle d’appréhensions concernant une confrontation dans la région. Le changement politique subit des fortunes politiques qui pourraient préluder au retour de l’ancienne Sunshine Policy, qui fut un jour un signe avant-coureur de relations pacifiques entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, et plus généralement, dans la région.
Les opposants à Park, pro-américaine et de droite, surfent sur la colère populaire contre le parti conservateur au pouvoir (connu comme le Parti libéral). Depuis plusieurs mois, les manifestations populaires ont demandé le départ de Park à cause des scandales de corruption impliquant de grandes entreprises et des trafics d’influence pratiqués par des amis non élus de la famille de la présidente.
L’opposition de gauche, le Parti démocrate, est aujourd’hui propulsé par cette insurrection populaire contre l’administration dirigeante. Un retour au pouvoir politique des Démocrates entraînerait aussi une reviviscence de ce qu’on appelle la Sunshine Policy des anciens présidents de la Corée du Sud, qui promouvait une réunification pacifique entre les anciens ennemis du Nord et du Sud.
Cette évolution surprise intervient au milieu d’une nouvelle vague de tensions militaires dans la péninsule de Corée.
Cette semaine, dans les jours suivant l’annonce par les États-Unis de l’installation d’un nouveau système de missiles en Corée du Sud, suivie par les dénonciations par la Chine et la Russie du danger d’une nouvelle course aux armements, la présidente Park a été chassée sans cérémonie. Park, qui a 65 ans, affronte maintenant des poursuites pénales sur des accusations de corruption après que la Cour constitutionnelle a statué qu’un vote parlementaire antérieur appelant à sa destitution devrait être maintenu.
La destitution de Park – la première fois qu’un dirigeant sud-coréen est légalement contraint de quitter le pouvoir – a ouvert la voie à des élections présidentielles dans les 60 jours.
Des sondages d’opinion récents montrent que l’ancien chef de l’opposition Moon Jae-in remporterait aisément la prochaine élection. Ce défenseur des droits de l’homme a un passé respecté en termes de politique progressiste de gauche. Il a été autrefois impliqué dans les manifestations étudiantes des années 1970 contre la dictature militaire soutenue par les États-Unis, qui gouvernait la Corée du Sud avant l’avènement de la politique électorale. Ironie de l’histoire, l’un des dictateurs les plus impitoyables d’alors était Park Chung-hee (1963-1979), le père de la présidente déchue.
Moon Jae-in, qui a 64 ans, a longtemps été un partisan du dialogue et de la normalisation des relations régionales avec la Corée du Nord et la Chine. Il a en particulier puisé dans le récent mouvement populaire qui s’oppose au nouveau système de missiles THAAD (American Terminal High Altitude Area Defense).
Par conséquent, la prochaine élection présidentielle en Corée du Sud, qui doit se tenir le 9 mai au plus tard, s’annonce comme un référendum sur la politique militaire des États-Unis à l’égard de la péninsule de Corée.
La colère populaire contre Park et son parti au pouvoir – qui a vu pendant des mois des millions de manifestants tenir des veillées aux chandelles à Séoul, la capitale de la Corée du Sud – est en partie fondée sur ce qu’elle perçoit de la corruption entre les dirigeants de droite et les grandes entreprises comme Samsung, Hyundai et d’autres conglomérats industriels, connus sous le nom de chaebols. Mais la colère populaire est aussi liée à ce qui est perçu comme une soumission irresponsable de la souveraineté coréenne à la politique étrangère américaine – une soumission vue comme n’étant pas au service des intérêts des citoyens coréens ordinaires.
Depuis l’an dernier, Washington a poussé à l’installation de son système de missiles THAAD en Corée du Sud. Park et son gouvernement conservateur ont été bien trop disposés à accueillir les plans américains. Pourtant, l’opposition de la population au THAAD a crû parallèlement au mépris général pour la politique gouvernementale visant à plaire aux grandes entreprises.
Washington et ses alliés sud-coréens soutiennent que le THAAD est destiné à la défense contre la prétendue menace de la Corée du Nord. C’est vrai, le gouvernement nord-coréen communiste de Kim Jung-un a réalisé une série d’essais nucléaires et de missiles balistiques qui ont inquiété la région, notamment les alliés de l’Amérique que sont la Corée du Sud et le Japon. La semaine dernière, l’essai de Pyongyang a consisté à lancer quatre missiles balistiques, dont trois ont atterri à quelque 200 kilomètres de la côte ouest du Japon.
Le cercle vicieux des tensions coréennes est un casse-tête compliqué, chargé de griefs historiques non résolus. La Corée du Nord soutient que depuis la fin de la guerre de Corée (1950-1953), les États-Unis et leur allié du Sud ont de fait maintenu la menace de reprendre la guerre – une guerre qui a tué des millions de Coréens dans des bombardements américains intensifs. Le conflit n’a jamais été définitivement terminé par un armistice en 1953, et les États-Unis et leur régime client sud-coréen ont mené pendant des décennies des exercices militaires annuels dans la région, dont la Corée du Nord dit qu’ils sont une menace voilée d’éventuelle invasion.
La Chine, alliée historique de la Corée du Nord, a déploré la semaine dernière la montée des récentes tensions. Beijing et Moscou ont depuis longtemps exprimé leur opposition au déploiement des missiles américains THAAD. Avec raison, la Chine et la Russie soulignent que le système de missiles rompt l’équilibre stratégique des forces dans la région parce que les batteries américaines peuvent cibler leurs territoires aussi bien que la Corée du Nord. Le geste des Américains est donc vraisemblablement une nouvelle course aux armements, comme Moscou en a averti cette semaine.
Le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi, a notamment comparé les nouvelles tensions militaires à une trajectoire de collision entre deux trains en marche. Beijing a ensuite fait la proposition raisonnable à la Corée du Nord de suspendre tous ses tests d’armement en échange du renoncement par les États-Unis et la Corée du Sud à leurs exercices militaires annuels. Tant Washington que ses alliés à Séoul ont promptement rejeté la proposition chinoise.
Washington a indiqué depuis qu’il poursuivait son projet d’installer le THAAD – des composantes ont commencé à arriver en Corée du Sud cette semaine – indépendamment du scandale de la destitution frappant l’ancienne présidente Park et son parti au pouvoir.
Le porte-parole du Pentagone, le capitaine Jeff Davis, a déclaré le week-end dernier : « Les dirigeants changent au fil du temps, ce n’est pas nouveau. »
Mais une attitude aussi arrogante de la part de Washington est susceptible de faire croître encore l’opposition coréenne. La question qui se pose ici est celle de la souveraineté coréenne et de qui gouverne le pays. Sont-ce les citoyens coréens ou les Américains qui se conduisent comme des suzerains avec leurs vassaux à la remorque ?
Une majorité croissante de citoyens coréens voient que le cycle des tensions dans la péninsule est pour une grande part délibérément encouragé par la politique étrangère américaine. Les Coréens, tout comme beaucoup de Japonais, considèrent la présence militaire durable dans leurs pays comme une forme de néocolonialisme qui défie la volonté démocratique tout en mettant en danger leur sécurité. Alors que Washington proclame qu’il offre sa « protection », de nombreux citoyens ordinaires ne voient au contraire dans cette politique qu’un « racket de protection », par lequel les États-Unis alimentent délibérément le conflit se donnant à eux-même une justification politique pour maintenir des forces armées démesurées dans la région.
Les tensions récurrentes dans la péninsule de Corée représentent, pour beaucoup de gens de la région, le risque inacceptable d’une possible guerre catastrophique.
La Chine a réagi furieusement aux missiles américains avec des sanctions économiques nouvellement imposées à la Corée du Sud. La Chine est le plus grand marché de la Corée du Sud, qui y envoie un quart de ses exportations. Des entreprises très importantes, comme Samsung, LG, Hyundai et Lotte, dépendent du vaste marché de la consommation chinois. Celles-ci, à leur tour, sont l’épine dorsale de l’économie sud-coréenne. Donc la souffrance économique sera grave pour les citoyens sud-coréens si les relations avec la Chine continuent à se détériorer. C’est un autre facteur essentiel pour lequel les Sud-Coréens sont en colère contre Washington et ses acolytes coréens qui attisent les tensions dans la région. Les moyens de subsistance sont déjà détruits même si une véritable guerre n’éclate pas.
L’étrange scandale de la disgrâce de l’ancienne présidente Park Geun-hye – impliquant des millions de dollars en pots de vin des chaebols empochés par ses amis sectaires – vient au bon moment. L’élection du dirigeant de gauche mettrait un bâton populaire dans les roues de la course aux armements menée par les États-Unis dans la région.
Le retour d’une Sunshine Policy impliquant dialogue et démilitarisation serait une rupture bienvenue du lugubre cycle des tensions et de l’inéluctable glissement dans la guerre. Un tel résultat serait bénéfique non seulement pour la Corée du Nord et du Sud, mais pour l’ensemble de la région, y compris la Chine, le Japon et la Russie.
La raison pour laquelle la Sunshine Policy est tombée en défaveur dans le passé était largement due à la politique d’agression de Washington contre la Corée du Nord. Entre 1998 et 2008, cette politique d’apaisement était la signature des gouvernements démocrates de gauche. À l’époque, l’actuel leader de l’opposition Moon Jae-in était une personnalité dirigeante – quoique beaucoup plus jeune. Cette politique a donné lieu à une rencontre historique en 2000 entre les dirigeants coréens du Nord et du Sud et à une promesse de réunification pacifique des deux États.
Pourtant, après les attentats terroristes du 9/11 à New York en 2001, l’administration Bush a déclaré que la Corée du Nord faisait partie d’un « axe du mal » mondial. Cette montée en flèche du bellicisme de la part de Washington a eu l’effet toxique de plonger dans le désarroi les relations cordiales entre Pyongyang et Séoul. Le parti conservateur pro-américain a pris le pouvoir en 2008 et a gouverné jusqu’à aujourd’hui, adoptant généralement une ligne nettement hostile à l’égard de la Corée du Nord.
Néanmoins, l’horizon politique de la Corée semble changer aujourd’hui, avec la réapparition de la gauche progressiste dirigée par Moon Jae-in et la renaissance possible de la Sunshine Policy pour le dialogue régional.
Il y a ici un sentiment palpable que les Coréens, comme le reste du monde, ont gagné une nouvelle conscience critique, propice à une orientation politique positive. Cette nouvelle conscience politique chez les Coréens, comme dans d’autres pays dans le monde, voit Washington non pas comme la source putative de stabilité et de protection qu’il prétend être, mais plutôt comme l’exact opposé, une force exploiteuse au service de ses propres intérêts qui sait seulement nourrir les tensions et les guerres.
Finian Cunningham
Traduit par Diane, vérifié par Julie, relu par Michèle pour le Saker francophone
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