Un point de vue du bord du gouffre


Par James Howard Kunstler – Le 16 septembre 2019 – Source kunstler.com

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Bienvenue dans un monde où les choses n’ont pas de sens. Par exemple, certaines personnes ont fait certaines choses à la raffinerie de pétrole saoudienne d’Abqaiq au cours du week-end. Une salve de missiles de croisière et de drones armés pour la faire exploser. Ils ont fait du bon travail en bloquant l’activité. Il s’agit de la plus grande installation de traitement du pétrole d’Arabie saoudite et, pour l’instant, peut-être pendant des mois, une bonne partie de l’approvisionnement mondial en pétrole sera coupé. Le Président Trump a dit :  » Nous attendons que le Royaume nous dise qui, selon lui, est à l’origine de cette attaque et les termes selon lesquels nous allons agir ! » Le point d’exclamation est de lui.


Combien de fois, ces dernières années, notre gouvernement a-t-il déclaré que « nous avons les meilleurs services de renseignement au monde ». Très bien, alors pourquoi attendons-nous que le Royaume d’Arabie saoudite nous dise qui a frappé Abqaiq ? Qui que ce soit, c’était incontestablement un acte de guerre. Et, bien sûr, qu’allons-nous faire ? – Et que feront certaines personnes à ce sujet ?

Soyons réalistes : les États-Unis ont une dent contre l’Iran depuis quarante ans, depuis qu’ils ont renversé leur shah, envahi l’ambassade des États-Unis à Téhéran, et pris en otage cinquante-deux diplomates et membres du personnel américain pendant 444 jours. D’autre part, les Arabes et les Iraniens se détestent depuis des siècles, bien avant que la famille Saoud ne prenne les choses en main, et à l’époque où l’Iran était connu sous le nom de Perse, une terre de génies, d’épices parfumées avec une histoire glorieuse – alors que l’Arabie était un désert de sable où vivaient des nomades avec leurs chameaux.

La querelle était autrefois de savoir quelle marque de l’islam allait prévaloir, sunnite ou chiite. Dernièrement – les cinquante dernières années – il s’agissait plutôt de la politique du pétrole et de l’hégémonie sur le Moyen-Orient. Depuis que les États-Unis ont envahi l’Irak et démantelé ce pays à cheval sur les deux cultures, la menace existe que l’Iran s’empare de l’Irak, avec sa population majoritairement chiite, en particulier la région de Bassora, riche en pétrole, devenant de fait le leader du Golfe Persique. La présence d’Israël complique grandement les choses, car l’Iran a une dent contre cette nation aussi, et contre les Juifs en particulier, souvent exprimée dans les termes les plus belliqueux et les plus oppressifs, tels que « rayer Israël de la carte » 1. Il n’y a pas d’ambiguïté là-dessus. Le piège, c’est qu’Israël a la capacité de transformer l’Iran en cendres radioactives.

Le monde attend depuis des décennies une guerre majeure au Moyen-Orient, et il pourrait en avoir une à la fermeture des bureaux aujourd’hui. Ou peut-être que certaines personnes ne feront rien. Les rebelles Houthi du Yémen, soutenus par l’Iran, auraient revendiqué l’attentat. C’est très bien. Comme si cette bande de chiffonniers possédait tout un tas de missiles coûtant des millions de dollars ainsi que les connaissances et la capacité nécessaires pour les lancer avec succès, sans parler du système de guidage par satellite. Un correspondant suggère que les missiles ont été tirés depuis une base militaire pro-iranienne en Irak, avec les Houthis amenés sur des tapis volants pour appuyer sur les boutons.

Le président Trump vante l’« indépendance énergétique » de l’Amérique, ce qui signifie que quoi qu’il arrive là-bas, cela ne nous affectera pas. Eh bien, rien de tout cela n’est vrai. Nous importons encore des millions de barils de pétrole par jour, certes beaucoup moins en provenance d’Arabie saoudite qu’avant 2008. Le « miracle » du pétrole de schiste est en train de dérailler ces jours-ci. La production de pétrole de schiste a stagné, le nombre d’installations de forage a diminué, les entreprises font faillite et le financement des activités liées à l’endettement diminue, car les exploitants ont démontré qu’ils ne peuvent pas faire de profits. Ils sont pris au piège du dilemme des rendements décroissants, de la production anticipée, tout en ne parvenant pas à surmonter les courbes de déclin abruptes dans des puits qui ne produisent que pendant quelques années.

Il est également vrai que le pétrole de schiste est un pétrole brut ultra-léger, contenant peu de distillats lourds comme le diesel et le carburant d’aviation, essentiellement du kérosène. Hélas, les raffineries américaines ont toutes été construites avant l’arrivée du pétrole de schiste. Elles ont été conçues pour distiller un pétrole plus lourd et ne peuvent pas supporter le schiste léger. Les « majors » ne veulent pas investir leur capital restant dans de nouvelles raffineries, et les nombreuses petites entreprises n’en ont pas la capacité. Cela rend donc nécessaire un volume élevé d’échanges de pétrole à travers le monde. En l’absence de diesel et de carburant d’aviation, le fret routier et l’aviation commerciale américains ont un gros problème, ce qui signifie que l’économie américaine a un gros problème.

Avec la nouvelle crise au Moyen-Orient, le prix de référence du pétrole West Texas Intermediate est passé d’environ $55 le baril à un peu plus de $60 à l’ouverture du marché – le Brent européen est juste au-dessus de $70. C’est un plus, mais pas spectaculaire, si l’on considère que beaucoup plus de dégâts pourraient survenir dans les jours à venir. La Chine, la Corée et le Japon risquent de perdre gros si les acteurs du Moyen-Orient s’y mettent vraiment et commencent à liquider leurs actifs. Si cela se produit, le monde ne sera plus jamais le même. Vous pouvez dire adieu à l’économie mondialisée pour de bon. Espérons que certaines personnes ne font rien.

Too much magic : L'Amérique désenchantéeJames Howard Kunstler

Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.

Traduit par Hervé pour le Saker Francophone

Notes

  1. Cette remarque n’engage que l’auteur alors que l’histoire de cette « mauvaise » traduction semble connue. Mais cela est un signe du niveau d’endoctrinement aux USA même parmi les personnes les plus critiques comme Kunstler, y compris de l’état d’Israël.
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