Par Andrew Korybko – Le 27 décembre 2017 – Source Oriental Review via Global Relay Network
La plupart des gens ne comprennent pas les intentions nationales et internationales de Donald Trump, pensant que son équipe et lui-même sont en train de « tout ruiner » parce qu’ils sont « désespérément incompétents » mais la réalité est plutôt que le Président est un Agent du Chaos (alias « le Kraken ») travaillant délibérément à saper, démolir et finalement à réformer, voire même recréer toutes les institutions existantes parce qu’il s’est convaincu qu’elles ne servent plus les intérêts des USA et ont même été cooptées par ses ennemis, qu’ils soient extérieurs ou intérieurs.
Il est récurrent de nos jours de lire des articles écrits par des gens qui affirment avoir déchiffré l’état d’esprit du Président Donald J. Trump, et celui-ci tombe aussi dans cette catégorie, mais en approchant toutefois le sujet sous un tout autre angle. Plutôt que de prétendre qu’il possède une espèce de « plan magistral » qu’il applique méticuleusement, étape après étape, pour construire un ordre mondial nouveau, ou de promouvoir l’inverse extrême prétextant qu’il est complètement incompétent et qu’il abîme tout ce qu’il touche, il convient mieux de concevoir Trump en tant qu’Agent du Chaos – affectueusement dénommé « le Kraken » par ses supporters – qui détruit délibérément tout ce qui se trouve sur son chemin parce qu’il pense que ce n’est plus utile à son pays.
Le terme « pays » est ambigu et peut impliquer tout un ensemble d’acteurs et de paramètres, mais dans le contexte de Trump, il s’applique à la population en général et aux intérêts à long terme du gouvernement, qui a la tâche de maintenir le mode de vie de la population tel qu’il est déjà établi. Les USA se sont étendus à partir d’une collection de treize colonies majoritairement côtières pour devenir un vaste empire continental qui a fini par conquérir les océans du monde, et par remplacer le Royaume-Uni en tant que première puissance impériale du monde à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aucun jugement de valeur n’est émis ici car il ne s’agit que de l’énonciation de faits, mais ils sont essentiels à la compréhension de l’état d’esprit de Trump.
Son pays a tellement étendu son influence économique, en particulier depuis la fin de la guerre froide, que sa stabilité intérieure est désormais grandement dépendante de facteurs extérieurs dans des contrées lointaines du vaste monde, que ce soit dans les marchés émergents d’Amérique Latine clients de ses entreprises, au cobalt congolais essentiel à presque toute son électronique moderne (à la fois civile et militaire), ou dans le pétrole moyen-oriental qui soutient le système du pétrodollar, parmi de nombreux autres exemples. Le cœur impérial est par conséquent vulnérable à des troubles dans sa périphérie, ce qui explique pourquoi les USA interviennent toujours militairement dans le « Sud global » (Tiers-Monde).
La plupart de ces campagnes n’ont même pas de rapport direct au maintien de la stabilité interne et du mode de vie US, mais consistent plutôt en des actions préventives reposant sur des extrapolations de scénarios, que ce soit par la suppression de menaces avant leur concrétisation ou en privant ses rivaux d’avantages stratégiques tels qu’un accès fiable aux ressources naturelles et aux voies commerciales, dans le but de prolonger indéfiniment l’hégémonie globale des USA. Cette politique a été théorisée par la Doctrine Wolfowitz en 1992 et, dès lors, elle a défini la stratégie globale post-guerre froide des USA en cherchant à protéger l’unipolarité, sur la foi que les USA sont « l’empire bienveillant » qui va réaliser la « fin de l’histoire ».
Bien qu’elle soit entièrement tournée sur elle-même, la stratégie est efficace tant que les individus chargés de son exécution demeurent focalisés sur l’avancement des intérêts géopolitiques et économiques des USA, même si l’élite libérale transnationale qui s’est rapidement hissée au pouvoir après la fin de la guerre froide s’inquiétait davantage de l’avancement de ses propres intérêts personnels et financiers, aux dépens du pays qu’elle était tenue de soutenir. D’autres cliques mondialistes ont émergé ailleurs dans le monde en faisant la même chose à leur peuple, s’en servant comme véhicules pour leur propre enrichissement pécuniaire et leur propre accumulation de pouvoir.
Trump croit fermement que c’en est assez, et que ces types ne doivent plus pouvoir tondre les citoyens US ordinaires à travers des contrats commerciaux biaisés et des politiques pro-élitistes comme les « open borders » [« frontières ouvertes » NdT], affirmant que le fondement idéologique qui les soutient est totalement vérolé, et vide de toute réelle substance. Les catégories d’individus actuellement en faveur des idées précitées et qui ont intérêt au maintien de l’ordre actuel sont considérées comme étant les ennemis internes de Trump, qu’elles travaillent au sein des bureaucraties permanentes du domaine militaire, du renseignement et de la diplomatie (« l’Etat profond ») des USA, ou qu’il s’agisse de « marxistes culturels » au cerveau lessivé se livrant à des émeutes dans les rues après avoir été excités par George Soros.
Sur le front international, les institutions construites par les USA pour la perpétuation de leur pouvoir ont été cooptées par leurs rivaux dans l’application d’une stratégie qui ressemble au judo, retournant les instruments des USA contre leurs propres intérêts tout comme la Nouvelle stratégie de sécurité en accuse la Chine, au sein du cadre économique mondial qui a suivi la fin de la guerre froide. Trump pense que ce n’est qu’une question de temps avant que cette tendance parvienne à neutraliser l’instrumentalisation par les USA de ces institutions, et il craint que la vision de connectivité planétaire d’OBOR de la Chine [One Belt One Road, Une Ceinture Une Route, NdT] fasse des USA un acteur de second plan dans les régions du « Sud Global » desquelles le pays est devenu directement et indirectement dépendant à cause de l’excès de sa portée économique impériale.
Le résultat final de ces deux tendances interconnectées de judo institutionnel et d’OBOR est que les USA seront exclus des positions stratégiques leur permettant d’entretenir leur domination mondiale et de préserver « the American way of life ». En conséquence de quoi, la stabilité interne du cœur impérial en pâtira inévitablement, tandis que les adversaires des USA se vengeront asymétriquement de toutes leurs actions impitoyables durant des décennies, dans leurs efforts pour devenir la puissance dominante à l’échelle mondiale. Tout ce que les rivaux des USA ont besoin de faire à cet égard, c’est de diminuer l’accès de ce pays aux structures de pouvoir, aux ressources et aux marchés dont il est devenu totalement dépendant dans l’ordre mondial contemporain qu’il a ironiquement contribué à élaborer, la déstabilisation intérieure étant sûre de suivre dans la foulée.
Croyant que le système mondial actuel ne promeut pas suffisamment les intérêts US depuis que Washington a perdu le contrôle sur ses outils institutionnels, et que l’issue éventuelle de cette tendance croissante à la multi-polarité dans les affaires du monde signifie la perte par les USA de son empire mondial, Trump a choisi de devenir l’Agent du Chaos pour provoquer sa destruction. La stratégie derrière cette action « révolutionnaire » consiste à placer les USA dans la position la plus avantageuse possible pour ensuite remodeler le monde, en espérant que cela leur permettra de repousser les menaces croissantes à leur position uni-polaire et ainsi garantir la continuation de leur survie impériale, par le biais d’une politique ayant parfois été décrite par diverses sources comme une « correction » globale ou une « restructuration ».
Un autre moyen d’interpréter cet acte est d’y songer comme à l’instrumentalisation de la théorie du chaos, dans le but de produire un changement structurel mondial à travers des guerres hybrides, l’ultime plan de secours voyant les USA se replier vers la « Forteresse Amérique » dans l’hémisphère occidental riche en ressources et en théorie autarcique, qu’ils entendent dominer totalement dans l’éventualité où l’hémisphère oriental s’engouffre complètement et avec abandon dans des guerres mutuellement destructrices. Bien que particulièrement cynique, ce schéma de compréhension est sans doute le meilleur pour expliquer les raisons qui poussent Trump à attiser délibérément les flammes des points les plus chauds du monde, comme en Corée du Nord, et à s’efforcer systématiquement de restructurer les institutions mondiales telles que l’ONU après les avoir minées de l’intérieur par la nomination d’individus « renégats » comme l’ambassadrice Nikki Haley.
L’un des principes centraux de la Théorie du chaos est que les conditions initiales d’un événement déterminent son issue possible de façon disproportionnée, et c’est avec cette idée que l’équipe de Trump pense être à même de refaçonner l’ordre mondial de façon plus marquante que ses rivaux, tant qu’ils prennent l’initiative de le déstabiliser les premiers. Ceci dit, la « loi des conséquences involontaires » fréquemment invoquée a démontré jusqu’ici la maestria avec laquelle le maître judoka russe, le Président Vladimir Poutine, l’a exploitée magistralement en Géorgie, en Ukraine et en Syrie, tirant un avantage de l’instabilité délibérément provoquée par les USA afin de faire progresser les intérêts de son propre pays, tout en positionnant Moscou comme la force « équilibrante » suprême sur le supercontinent eurasiatique pour contrer l’aventurisme chaotique des USA. En outre, ceux-ci ont également et involontairement créé les conditions permettant à leurs cinq adversaires ayant vocation à devenir des grandes puissances de se réunir au sein du nouveau cadre continental multi-polaire du « Cercle d’Or ».
Que ce soit sur le front intérieur pour renverser l’héritage post-guerre froide de ses prédécesseurs Clinton, Bush et Obama ou sur le front international pour démanteler ces institutions naguère construites avec l’aide de son pays, la politique de Trump à l’endroit de l’état actuel des choses peut être décrite de manière assez simpliste comme le recours à « l’option nucléaire » moins le nuage en forme de champignon (au moins pour l’instant). Le Kraken détruit volontairement tous les restes du « vieil ordre » auxquels il touche, depuis NAFTA au statu quo de Jérusalem dans son épopée chimérique pour « Make America Great Again » [« Rendre à l’Amérique sa grandeur » NdT], mais son instrumentalisation de la théorie du chaos pourrait lui revenir dangereusement à la figure si les maîtres judokas russes et chinois réussissent à le maîtriser et à mettre enfin les USA sur la sellette, une fois pour toutes.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie « Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime » (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Lawrence Desforges pour Global Relay Network
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