Par M.K. Bhadrakumar – Le 14 septembre 2025 – Source Indian Punchline
Reste à voir dans quelle mesure la bonne volonté du président américain Donald Trump envers l’Inde et son Premier ministre Narendra Modi via les médias sociaux se traduira en action. Trump a en tête de faire pression sur l’Inde avec une taxe douanière supplémentaire de 25% pour que Modi persuade le président russe Vladimir Poutine d’arrêter la guerre en Ukraine.
Mais, jusqu’à présent, cela ne fonctionne pas. D’ici la fin du mois de septembre seulement, nous saurons avec certitude la trajectoire future des achats de pétrole russe par l’Inde. Le port de Mundra, géré par Adani, a cessé de recevoir du pétrole russe.
Dans l’ensemble, Trump s’attend à ce que l’Inde remplace le pétrole russe par des achats supplémentaires aux États-Unis. Dans notre vision en tunnel, nous ne comprenons pas que si la motivation principale derrière les taxes douanières supplémentaires de 25% de Trump sur l’Inde pourrait être de frapper Poutine, sa stratégie globale est en fait beaucoup plus nuancée.
Selon le célèbre penseur stratégique américain George Friedman (Président de Geopolitical Futures), la question fondamentale ici est double — à savoir faire pression sur la Russie pour qu’elle mette fin à la guerre en Ukraine et, deuxièmement, mettre fin à la « double relation » entre les États-Unis et la Chine.
Friedman explique que « la double relation avec la Chine est que nous [les États-Unis] dépendons économiquement de la Chine. La Chine est dépendante de nous mais nous lui sommes hostiles au niveau militaire. Il est très dangereux d’être économiquement dépendant d’un pays qui mène constamment des actions militaires qui semblent être des préparatifs de guerre contre les États-Unis. Donc, vous ne devez pas avoir ce double chemin. On ne peut pas à la fois être très étroitement intégré économiquement et hostile militairement. Nous voulons donc avoir des relations plus étroites avec les Chinois. On a besoin de ça. Ils ont besoin de ça.”
Par conséquent « retirer l’Inde de la table en tant qu’allié militaire est un cadeau majeur pour les Chinois. Ce n’est pas nécessairement celui que nous continuerons si les Chinois ne réagissent pas correctement. Mais en même temps, cela indiquait deux manières. Et c’était de deux manières. Les Russes ont vu cela comme une demande et ils n’ont pas très bien répondu. Les Chinois ont été un peu plus calmes récemment. De toute évidence, les Chinois et les États-Unis sont en quelque sorte en pleine négociation. Ils ont conclu un accord temporaire après l’escalade douanière du début d’année.”
La Chine s’accroche
En termes simples, le résultat des entretiens du secrétaire américain au Trésor, Scott Bessent, à Madrid les 14 et 15 septembre avec le Vice-Premier ministre chinois He Lifeng, leur quatrième grande réunion en personne, sera surveillé de près. Samedi, la Chine a annoncé une position ferme en lançant une enquête anti-discrimination sur la politique commerciale américaine pour le commerce des puces et une deuxième enquête sur des soupçons de dumping de certaines puces analogiques américaines.
Dans une déclaration distincte sur les pourparlers de Madrid, la Chine a également demandé « Quelle est l’intention des États-Unis en imposant des sanctions aux entreprises chinoises en ce moment ?” La Chine s’accroche, alors que les deux pays cherchent à maintenir une trêve commerciale qui réduise les taxes de rétorsion des deux côtés et rétablit le flux de minéraux de terres rares chinois vers les États-Unis. Trump a approuvé la prolongation de cette pause dans sa guerre commerciale jusqu’au 10 novembre.
Pendant ce temps, Bessent et l’USTR Jamieson Greer ont publié vendredi une déclaration commune appelant les ministres des Finances du G7 à ce que “s’ils sont vraiment déterminés à mettre fin à la guerre en Ukraine, ils devraient se joindre aux États-Unis pour imposer des droits de douane aux pays qui achètent du pétrole à la Russie.”
La déclaration dit « Grâce au leadership audacieux du président Trump, les États-Unis ont déjà pris des mesures spectaculaires contre les acheteurs de pétrole russe. Nous sommes encouragés par les assurances de nos collègues pays du G7 qu’ils sont déterminés à mettre fin à cette guerre, et nous espérons qu’ils se joindront à nous pour prendre des mesures décisives en ce moment critique. »
Trump s’est également adressé aux alliés de l’OTAN en déclarant qu’il était prêt à imposer des “sanctions majeures” à la Russie à condition que « tous les pays de l’OTAN CESSENT D’ACHETER DU PÉTROLE À LA RUSSIE” plus “l’OTAN, en tant que groupe, imposant DES DROITS DE DOUANE DE 50% à 100% À LA CHINE. »
Trump a écrit « la Chine a un contrôle fort, et même une emprise, sur la Russie, et ces puissantes taxes douanières briseront cette emprise. » Puis, il a défié les alliés européens en disant : « Si l’OTAN fait ce que je dis, la GUERRE se terminera rapidement et toutes ces vies seront sauvées ! Sinon, vous ne faites que me faire perdre mon temps, et le temps, l’énergie et l’argent des États-Unis. »
Cela dit, avec le tango sino-américain, on ne peut jamais vraiment savoir. Un commentaire important de Xinhua hier soir sur les prochains pourparlers de Madrid semblait conciliant. Il est écrit :
« L’inclusion de TikTok dans les discussions en Espagne démontre une fois de plus leur engagement continu à résoudre les différends par le dialogue.
La Chine exhorte les États-Unis à trouver des solutions qui garantissent un environnement commercial ouvert, équitable, juste et non discriminatoire pour les entreprises chinoises, y compris TikTok, afin de poursuivre leurs activités aux États-Unis.
Au cœur des relations économiques sino-américaines se trouvent le bénéfice mutuel et la coopération gagnant-gagnant. Des forces complémentaires et des intérêts communs ont favorisé la coopération entre les entreprises et les personnes des deux côtés… Les pourparlers à venir [à Madrid] représentent non seulement un dialogue approfondi mais aussi une interaction cruciale qui concerne la confiance et la stabilité mondiales.”
L’Inde est utilisée comme outil
Cette affaire a pris une tournure transatlantique avec la tentative de l’UE d’entraver le processus de négociation américano-russe sur l’Ukraine à la suite de la réunion Trump-Poutine en Alaska. L’UE a d’abord tenté en vain d’impliquer les États-Unis dans la fourniture d’une “garantie de sécurité” à l’Ukraine. Lorsque Trump a fait obstruction, l’UE a changé de tactique et a proposé que les États-Unis puissent rejoindre le 19e paquet de sanctions contre la Russie en préparation.
Trump a accepté mais a ajouté une mise en garde selon laquelle l’UE devrait d’abord mettre fin à toutes les importations d’énergie russe. (En 2024, l’UE a officiellement payé 21,3 milliards d’euros pour l’approvisionnement énergétique russe.) L’UE a deux façons d’abandonner les ressources énergétiques russes. La première consiste à cesser complètement d’acheter directement du pétrole et du gaz. Bruxelles a récemment présenté une « feuille de route » pour atteindre cet objectif d’ici 2028.
La deuxième voie, que Trump préconise également, implique que l’UE cesse d’acheter des ressources énergétiques russes par l’intermédiaire de pays tiers, y compris l’arrêt de l’achat de tous les produits pétroliers qui sont transformés, par exemple, en Inde, puis se retrouvent en Europe.
Fondamentalement, l’introduction de restrictions contre la Russie dépendra de la dynamique des relations russo-américaines. Des sanctions supplémentaires contre la Russie pourraient compliquer le dialogue sur le règlement ukrainien. Trump hésite à prendre des mesures sévères contre la Russie qui rendraient sa conversation avec Poutine plus difficile et moins productive. Alors que Trump n’arrête pas de dire qu’il est « déçu » et « insatisfait » de Poutine, il n’abandonne pas ses tentatives de résolution du conflit ukrainien.
Par conséquent, si Trump accepte de rejoindre le 19e paquet de sanctions de l’UE, cela dépendra de la fin complète des importations de pétrole de la Russie par l’UE et de l’imposition de restrictions secondaires contre les pays qui achètent activement des ressources énergétiques à la Russie.
La préférence de Trump est d’accroître la pression sur les pays pour lesquels il a déjà imposé des droits de douane accrus, comme l’Inde. Il souhaite que ce régime douanier devienne universel. Et il estime, à juste titre, que l’adhésion de l’UE créerait un certain effet cumulatif, qui à son tour permettrait de tordre les bras de l’Inde et du Brésil — et à l’avenir de la Chine aussi — avec plus de confiance.
Cependant, Bruxelles n’est pas prête à prendre des mesures radicales contre Pékin. La Chine reste le deuxième partenaire commercial de l’UE et l’UE craint d’éventuelles mesures de rétorsion de la part de la Chine. En ce qui concerne l’Inde, Ursula von der Leyen a déclaré que la Commission européenne prévoyait d’achever les négociations sur un accord de libre-échange avec elle d’ici la fin de 2025. Sans surprise, Modi s’adresse également aux dirigeants de l’UE.
L’essentiel est, comme le conclut l’hypothèse de Friedman en termes quelque peu austères, que l’Inde est confrontée à la vérité intérieure qu’elle “n’a pas les mêmes pouvoirs que la Russie et la Chine peuvent avoir sur les États-Unis” et qu’elle “pourrait être utilisée comme un outil. C’est dans la nature des choses.”
Friedman conclut « Maintenant, sans aucun doute, ces taxes seront arrêtés en temps voulu. Elles ne sont que temporaires. Mais en même temps, c’est le problème des nations plus faibles qui essaient de jouer avec des nations très fortes. Elles sont utilisées.”
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.