Par Ulson Gunnar – Le 10 janvier 2017 – Source New Eastern Outlook
Le point presse de décembre 2016 du général John Nicholson, commandant en chef des US Forces Afghanistan (USFOR-A), a semblé paradoxal et peut-être révélateur d’une faillite de la politique étrangère définissant l’occupation états-unienne en Afghanistan.
Le département de la défense états-unien a publié l’intégralité de la mise au point du général Nicholson, intitulée Department of Defense Press Briefing by General Nicholson in the Pentagon Briefing Room. De ce document l’on peut dégager trois vérités spécifiques.
1. « Une armée afghane plus forte » nécessite plusieurs années supplémentaires d’assistance états-unienne.
Dans ce point presse, il a paradoxalement été soutenu que le régime mandataire que l’Amérique a tenté d’implanter à Kaboul au cours des 15 dernières années gagne en solidité et en indépendance vis-à-vis du soutien des USA et de l’OTAN, quand bien même des Marines se sont préparés à un redéploiement au sein de la province afghane de Helmand, dans le cadre de rotations de troupes annoncées par le Pentagone pour les prochaines années.
Dans un article intitulé Des milliers de Marines ont combattu dans le Sud de l’Afghanistan. A présent, ils reprennent du service, le Washington Post a signalé ceci :
Environ 300 Marines ainsi qu’une unité appelée Force opérationnelle Sud-Ouest vont se déployer dans le but de conseiller le 215e corps de l’armée afghane et la police nationale afghane au sujet de la 505e zone. Les forces travailleront en partie depuis une vaste installation afghane au cours de précédentes opérations des Marines sous le nom de Camp Leatherneck, mais elles seront implantées dans d’autres localités et pourront être amenées à combattre, d’après les déclarations d’officiers supérieurs des Marines datant de vendredi.
Le Washington Post a également rapporté :
Les officiers supérieurs des Marines n’ont pas dit pourquoi le service prendrait la relève de la mission à Helmand, mais il faut s’attendre à ce qu’il y ait de multiples rotations de forces opérationnelles des Marines dans les années à venir.
En d’autres termes, les promesses d’un retrait états-unien d’Afghanistan, qui constituèrent le fondement des promesses des campagnes électorales depuis des années, ont été faites en vain, compte tenu de la mobilisation sans cesse prolongée des troupes US dans le cadre d’un engagement infructueux visant à occuper l’état d’Asie centrale dans les années à venir, à la façon dont les troupes états-uniennes le firent au Viêtnam durant les années 1960-1970.
De même, les affirmations des commandants et des responsables politiques, selon lesquelles le gouvernement de l’Afghanistan ne cesse d’accroître son indépendance, ne résistent pas aux aveux les plus élémentaires que l’armée US et le gouvernement eux -mêmes concèdent au travers de statistiques et de calendriers de déploiement de troupes états-uniennes.
Tout comme le gouvernement sud-vietnamien révolu, le gouvernement afghan actuel ne peut se maintenir sans une présence étrangère significative car en dépit de l’immense quantité de ressources monétaires, militaires et politiques dont on l’a doté, il manque de légitimité en Afghanistan où cela importe précisément le plus.
2. Les contribuables états-uniens paieront deux fois pour la force militaire inefficace de l’Afghanistan
Le point presse du général a également révélé que les moyens militaires que les contribuables états-uniens ont fourni au régime mandataire de Washington à Kaboul s’avéreront caduques, du fait que la majeure partie de ces moyens repose sur des contributions et de l’aide à la maintenance russes qui ne sont plus disponibles, depuis que Washington inflige des sanctions sans cesse croissantes à l’encontre de Moscou.
Répondant à une question émise durant le point presse, le général Nicholson a indiqué :
[…] les Afghans disposaient traditionnellement d’un noyau de pilotes de MI-17 qui étaient aguerris sur ce type d’appareils et dont certains étaient très expérimentés. Donc avant la Crimée et l’Ukraine et avant les sanctions, il y avait un consensus international favorable à ce qu’on continue d’employer des appareils de fabrication russe.
Tout cela a changé après 2014 et après que ces sanctions ont été imposées. Donc le problème est désormais celui du maintien de cette flotte pendant que nous en déployons une nouvelle. Le président Obama a transmis au Hill une requête ainsi que les fonds complémentaire pour la commande d’hélicoptères de modèle alpha UH-60. Ces hélicoptères seront donc modifiés par une transmission améliorée, de sorte qu’il leur soit possible d’opérer au sein de l’environnement dans ce secteur. Mais cela impliquera une transition pour les pilotes.
Cela signifie que les flottes d’hélicoptères de transport Mil Mi-17, dont les forces afghanes ont fait usage pendant des années, seront remplacées par des Sikorsky UH-60 Black Hawks de fabrication US (propriété du géant de la défense Lockheed Martin).
Du fait de cette initiative, non seulement les pilotes devront suivre une nouvelle formation pour manier les Black Hawks, mais les pièces de rechange, l’infrastructure aéroportuaire, les chaînes logistiques, la formation du personnel au sol et tous les autres aspects nécessaires au maintien des Black Hawks, devront également être établis et entretenus.
En substance, les contribuables états-uniens se retrouvent à financer deux fois les ressources nécessaires au transport en hélicoptère, en raison du surcoût drastique des Black Hawks – le programme dans son entier coûtant des centaines de millions de dollars supplémentaires selon Reuters – pour soutenir un appareil militaire afghan qui peine déjà à assurer sa survie.
3. Les USA ne combattent pas le terrorisme en Afghanistan
Pendant le point presse du général Nicholson, celui-ci a déclaré que la persistance de la présence états-unienne en Afghanistan avait pour but de vaincre al-Qaïda et « État islamique » (Daech). Cependant il était clair, à l’écoute de son compte-rendu, que les Talibans constituaient la principale menace pesant sur le régime mandataire de Kaboul appuyé par les États-Unis.
Le général Nicholson a fustigé le Pakistan, la Russie et l’Iran pour ce qu’il a dénoncé comme leur « influence néfaste » sur l’Afghanistan. Il a particulièrement reproché à la Russie et l’Iran de conférer une légitimité aux Talibans. Il a ainsi affirmé :
La Russie a ouvertement conféré une légitimité aux Talibans. Et leur narrative donne quelque chose de cette sorte : les Talibans sont véritablement ceux qui combattent État islamique, pas le gouvernement afghan.
Quoi qu’il en soit, le général Nicholson omet stratégiquement le fait que les USA et certains de leurs plus proches alliés au Moyen-Orient ont également octroyé aux Talibans une certaine légitimité, en cherchant à négocier auprès du groupe et de son allié qatari la possibilité d’ouvrir, à toutes fins pratiques, une ambassade à Doha, capitale du Qatar.
Le Times britannique a rapporté, dans un article de 2011 intitulé Le bureau taliban au Qatar approuvé par les États-Unis :
Les États-Unis ont donné leur bénédiction à une réhabilitation des Talibans à travers une étape cruciale dans le processus de réconciliation, au moment où le monde a interrompu son activité pour commémorer le 10e anniversaire des attaques du 11 septembre 2001.
Washington a appuyé le projet du réseau islamiste d’ouvrir des sièges politiques au sein de l’état du Golfe qatari d’ici la fin de l’année. L’initiative a été élaborée de sorte que l’Occident puisse entamer des pourparlers de paix formels avec les Talibans.
Plus récemment, la plate-forme médiatique du département d’État US a déclaré, dans un article datant de décembre 2016 intitulé Les Talibans aspirent à une reconnaissance de la part du bureau du Qatar et s’adressent directement aux États-Unis :
Le département des États-Unis a publié une déclaration vendredi, selon laquelle des fonctionnaires états-uniens reconnus ont pris connaissance de la déclaration des Talibans et ne semblent pas rejeter explicitement la perspective de pourparlers avec le groupe d’activistes.
Ainsi que nous l’avons longtemps affirmé, le seul moyen de mettre fin au conflit en Afghanistan réside dans un processus de paix et de réconciliation avec les Talibans. Nous sommes prêts à accepter toute résolution politique du conflit entre le gouvernement afghan et les Talibans, dès lors que l’aboutissement de tout processus garantit un arrêt de la violence, des relations avec le terrorisme international et l’acceptation d’une constitution pour l’Afghanistan, comportant la protection des femmes et des minorités de la part des Talibans.
Ceci entre clairement en contradiction avec les affirmations du général Nicholson.
En reconnaissant les Talibans comme un mouvement politique légitime, à quoi s’ajoute le financement par les alliés des USA des bureaux talibans dans leurs capitales pour renforcer leur légitimité, ce sont les États-Unis et non la Russie qui ont effectué la plus grande part du travail de sape contre leur propre narrative, si l’on tient compte de la soi-disant « guerre contre le terrorisme » et de tout le postulat par lequel ils justifient leur présence prolongée en Afghanistan.
Tandis que les USA affirment qu’ils combattent al-Qaïda et l’autoproclamé « État islamique » en Afghanistan, il est clair que le véritable combat qu’ils livrent se fait contre les Talibans et leur mainmise à travers le pays, face au régime mandataire des USA à Kaboul. L’arrangement négocié qu’ils tentent de conclure dans le même temps avec les Talibans, alors que leur campagne militaire contre le mouvement s’étale sur près de deux décennies, constitue à la fois une offre pour sauver le régime mandataire de Kaboul aux abois et un constat quant aux limites de l’influence états-unienne dans la région.
La couverture médiatique de la présence continue des États-Unis en Afghanistan s’est amenuisée dans médias US et européens, précisément du fait de l’écart considérable entre la narration, censée rendre compte de l’occupation, et la réalité. Au cours de l’année qui va suivre, pour ceux qui suivent attentivement le conflit, les USA continueront à fabriquer des excuses visant à justifier le maintien de leur présence dans le pays, tandis qu’ils s’appliqueront à négocier auprès des Talibans tout en cherchant à amoindrir leur poids politique et militaire.
En ce qui concerne les Talibans, le temps joue en leur faveur ; et si les déclarations du général Nicholson concernant la protection et les ressources que les Talibans recevraient depuis l’étranger sont fondées, alors aucune négociation ni aucune force militaire ne suffiraient à rendre victorieux Washington ou ses mandataires à Kaboul au cœur même de l’Afghanistan.
Ulson Gunnar, analyste géopolitique et écrivain installé à New-York travaillant notamment pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.
Traduit par François, relu par nadine pour le Saker Francophone
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