Par Valentin Katasonov – Le 7 août 2016 – Source Strategic-Culture
Suite à l’accord nucléaire avec l’Iran, Washington a annoncé qu’elle allait commencer la levée des sanctions économiques contre Téhéran. Les banques iraniennes ont été autorisées à se reconnecter au réseau de communication de SWIFT, qui gère les opérations de paiement internationales, l’interdiction des exportations de pétrole iranien a été levée, et Washington a finalement décidé de dégeler les actifs financiers de l’Iran détenus à l’étranger − les actifs ont été saisis en 2012. Personne ne sait vraiment le volume et la structure de ces actifs. Des responsables iraniens ont estimé le montant total à $130 milliards, tandis que l’Institute of International Finance à Washington l’évalue à $100 milliards.
Les réserves de change de la Banque centrale, ainsi que le Fonds national de développement de l’Iran, représentent une proportion significative de ces actifs. En janvier 2015, le secrétaire d’État américain John Kerry déclarait que $55 milliards d’actifs gelés pourraient être libérés. Mais la Banque centrale d’Iran présente des chiffres différents. Selon son gouverneur, Valiollah Seif, le montant en question est de $32,6 milliards. De toute façon, il s’agit de montants considérables.
Prévoyant déjà dans les années 2000 que ses actifs financiers à l’étranger seraient saisis, l’Iran les avait déplacés vers des lieux plus sûrs. Du point de vue des experts iraniens, ces lieux étaient des banques hors de la juridiction des États-Unis et de l’Europe occidentale. Les actifs de l’Iran ont été retirés des banques occidentales et placés dans des banques en Chine, au Japon, en Corée du sud, en Turquie et à Taïwan. Cependant, les experts iraniens ont fait un mauvais calcul. Washington a été en mesure de saisir l’argent, même dans ces lieux-là. Ceci devrait également être pris en compte par la Russie, contre laquelle l’Occident peut encore utiliser des armes comme le gel de ses réserves étrangères de change.
La confiscation des réserves de change iraniennes
En avril, la joie de Téhéran à l’annonce du déblocage de ses réserves de change a été de courte durée. La Cour suprême américaine a refusé de rendre $2 milliards d’actifs gelés appartenant à la Banque centrale d’Iran et a jugé que l’argent devait être envoyé aux familles des Américains tués dans des attaques terroristes dont l’Iran est présumé responsable. Cela fait référence à l’attaque terroriste de 1983 à Beyrouth, où 241 soldats américains ont été tués. La Cour suprême des États-Unis a trouvé l’empreinte digitale de l’Iran dans l’attaque qui a eu lieu il y a 33 ans. La demande est tirée par les cheveux et a été réfutée à plusieurs reprises par les experts iraniens et occidentaux. En 2001, Caspar Weinberger, qui était le secrétaire américain à la Défense au moment de la tragédie au Liban, a reconnu qu’il n’y a jamais eu d’informations fiables en ce qui concerne ceux qui sont derrière l’attaque de Beyrouth.
L’appétit vient en mangeant, et les autorités américaines qui ont confisqué $2 milliards des réserves de l’Iran ont également préparé une autre décision. Le tribunal américain a trouvé l’empreinte digitale de l’Iran dans les événements du 11 septembre 2001 et a ordonné à Téhéran de payer $7,5 milliards en compensation aux familles des Américains tués dans l’attaque − sur la base de $2 millions par victime. En outre, Téhéran a été condamné à payer $3 milliards en compensation pour les compagnies d’assurance qui couvraient les dommages de l’attaque terroriste du 11 septembre 2001. Il n’y a aucune preuve réelle pour étayer l’allégation selon laquelle les autorités iraniennes ont été impliquées dans la préparation et l’exécution de l’attaque terroriste. Téhéran ne va pas se conformer à la décision du tribunal américain, de sorte que les autorités américaines préparent une résolution pour une nouvelle confiscation des réserves de change de l’Iran à hauteur de $10,5 milliards.
La deuxième cible : l’Arabie saoudite
Il y a toutes les chances que l’Iran ne soit qu’un début de ce que l’oncle Sam pratique. Et l’oncle Sam préfère les réparations à long terme aux confiscations. Selon les États-Unis, il s’agit de compenser les dommages subis par l’Amérique et ses citoyens au cours de diverses attaques militaires et terroristes. La prochaine victime de ces réparations / confiscations est l’Arabie saoudite.
Un projet de loi intitulé Justice contre les commanditaires du terrorisme est actuellement en cours de préparation au Congrès américain, qui permettra aux familles des victimes du 11 septembre de poursuivre les États impliqués dans l’attaque terroriste de 2001. Bien que le document ne mentionne aucun État, tout le monde sait que le projet de loi vise spécifiquement l’Arabie saoudite. En 2014, les réserves internationales de cette dernière s’élevaient à près de $750 milliards. Elles ont diminué suite à l’effondrement des prix du pétrole, mais les réserves du pays totalisent encore aujourd’hui un peu moins de $600 milliards. Voilà quelques morceaux de gâteau savoureux pour l’Oncle Sam !
À l’heure actuelle, les relations entre Washington et Riyad sont complexes et le scénario de réparation / confiscation est très probable. Riyad a déjà déclaré qu’il pourrait retirer des États-Unis ses réserves de change, à hauteur de centaines de milliards de dollars. Mais cela soulève au moins deux questions. Tout d’abord, les réserves de change de l’Arabie saoudite auraient dû être retirées plus tôt, lorsque les relations entre les deux pays étaient encore amicales. Maintenant, Washington pourrait bloquer le retrait à grande échelle des réserves et des actifs. Deuxièmement, même si Riyad avait retiré ses réserves et ses actifs des États-Unis, il y a toujours la question de savoir où ils pourraient être déposés en toute sécurité. L’expérience malheureuse de l’Iran montre que la main de l’Oncle Sam n’atteint pas seulement les banques en Europe, mais aussi au Japon, en Corée du Sud, en Chine, à Hong Kong, en Turquie et à Taïwan.
En ce qui concerne les banques chinoises, elles ne pouvaient pas, de toute façon, être considérées comme un refuge fiable pour les actifs de l’Arabie saoudite, à tout le moins parce que le Congrès des États-Unis a commencé à discuter de la possibilité d’introduire des sanctions économiques contre la Chine. Le temps est venu pour Pékin de réfléchir aux scénarios d’un gel possible de ses gigantesques réserves de change. La Chine est dans une position extrêmement vulnérable, étant donné que ses réserves de change sont les plus importants dans le monde : au 1er mai 2016, elles s’élevaient à $3,2 mille milliards. En outre, la Chine a plus de $1,24 mille milliards en titres du Trésor américain − plus ses réserves de change déposées dans les banques américaines. Pour réduire sa vulnérabilité, la Chine augmente la part de l’or dans ses réserves, puisque ce métal précieux est immunisé contre diverses sanctions. Cependant, l’Arabie saoudite ne peut pas troquer ses réserves de change pour de l’or au même rythme que la Chine et la Russie, parce que, contrairement à ces deux pays, elle n’est pas un pays producteur d’or, et l’achat de grandes quantités d’or sur le marché mondial est problématique − la demande dépassant de beaucoup l’offre.
Téhéran considère les actions de Washington comme du «vol pur et simple»
À la fin d’avril 2016, le ministère iranien des Affaires étrangères a protesté auprès de Washington en ce qui concerne la confiscation de $2 milliards des réserves de change de l’Iran. Les médias iraniens ont qualifié les actions de Washington de «vol pur et simple» et Téhéran a décidé de passer de la défensive à l’offensive. En mai, le Majlis [le Parlement, NdT] iranien a approuvé un projet de loi demandant au gouvernement de poursuivre les États-Unis et de réclamer des dommages-intérêts suite aux actions subies par l’Iran, du fait des Américains, depuis 1953. L’histoire des activités subversives contre l’Iran commence avec le renversement du gouvernement légitime le 19 août 1953 organisé par les États-Unis et les agences de renseignement britanniques. Plus loin sur la liste vient la guerre de huit ans entre l’Iran et l’Irak (1980-1988) lancée à l’initiative de Washington. Le Majlis réclame qu’une indemnité soit versée aux familles des 223 000 victimes iraniennes, ainsi qu’aux 600 000 anciens combattants de la guerre contre l’Irak, et a invité le gouvernement à estimer le montant de la créance. Le paiement des réparations pour les pertes subies à la suite des 37 années de sanctions économiques introduites par Washington en 1979 occupe une place particulière dans les plaintes formulées contre les États-Unis.
Sur l’évaluation monétaire de la civilisation américaine
Il y a un court épilogue à cette histoire. En mai 2016, le président américain a terminé une tournée dans les pays d’Asie. Dans plusieurs d’entre eux, les États-Unis ont commis des crimes contre l’humanité, infligeant des dégâts matériels et moraux colossaux sur les peuples de ces pays. Ceci se rapporte, d’abord et avant tout, au Japon. Les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki en août 1945 correspondent complètement à la définition moderne d’un acte de terrorisme. Les experts estiment que les bombes atomiques américaines ont coûté la vie à 300 000 personnes. Il y avait aussi les effets génétiques des bombes atomiques. Washington n’a jamais présenté ses excuses pour ces actes barbares, et le Japon n’a jamais soulevé la question de l’indemnisation pour les dommages causés. Supposons, cependant, que la compensation pour chaque civil japonais tué soit égale à l’indemnité calculée par les États-Unis pour l’attaque terroriste de 1983 au Liban − 2$ millions par personne. Dans ce cas, le Japon pourrait exiger le paiement de réparations par les États-Unis totalisant $600 milliards. Et cela, sans compter les dommages génétiques qui touchent actuellement environ un quart de la population japonaise ou les dégâts matériels causés par la destruction des bâtiments et des infrastructures dans les zones de l’explosion atomique.
Barack Obama a également visité le Vietnam. Comme le Japon, Hanoï est resté silencieux et n’a pas présenté au président des États-Unis des demandes de réparations liées à l’agression américaine dans les années 1960 et 1970. Pourtant, suite à l’utilisation des seules substances toxiques, au moins cinq millions de citoyens vietnamiens ont développé des maladies et des anomalies génétiques. Par ailleurs, les soldats américains ont également été touchés par ces produits chimiques, mais ils ont finalement réussi à obtenir une compensation de leur gouvernement. Sur la base du montant de l’indemnité accordée à ces soldats américains, l’indemnisation des dommages causés à la population du Vietnam irait chercher dans les centaines de milliards de dollars.
Avec ses demandes de réparations contre les États-Unis, l’Iran espère créer un précédent bien nécessaire pour que le Japon, le Vietnam et d’autres pays auxquels l’Amérique a imposé sa vision de la démocratie, puissent en tirer profit dans le futur.
Valentin Katasonov
Traduit et édité par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone
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