Sur le médiatique “Russiagate” et les fausses histoires connexes


Par Moon of Alabama – Le 2 février 2023

La semaine dernière, Matt Taibbi, ayant accès aux documents internes de Twitter, a démystifié la propagande du Dashboard Hamilton 68 qui a été utilisé pour créer de nombreuses histoires sur la prétendue désinformation russe. J’avais fait de même cinq ans plus tôt, mais je n’avais pas accès aux données originales. Il y avait pourtant suffisamment d’indications secondaires pour conclure que le Dashboard était une imposture. Il n’en reste pas moins que le fait de disposer de données primaires constitue un ajout précieux.

Il n’y a pas eu de campagne d’influence ou de désinformation russe.

Deux jours plus tard, la Columbia Journalism Review (CJR) a publié un article en cinq parties issu d’une enquête de 18 mois sur le drame du “Russiagate” et sur la façon dont les médias l’ont monté.

Le rédacteur en chef de la CJR en a écrit l’introduction :

Aucun récit n’a autant contribué à façonner les relations de Trump avec la presse que le Russiagate. L’histoire, qui comprenait le dossier Steele et le rapport Mueller parmi d’autres moments totémiques, a donné lieu à des prix Pulitzer ainsi qu’à des rétractations embarrassantes et des carrières endommagées. Pour Trump, la poursuite de cette histoire sur la Russie par la presse l’a convaincu que toute sorte de relation normale avec la presse était impossible.

Depuis un an et demi, CJR a examiné la couverture médiatique américaine sur Trump et la Russie dans les moindres détails, et ce que cela signifie alors que le pays entre dans un nouveau cycle politique. Le journaliste d’investigation Jeff Gerth a interrogé des dizaines de personnes au centre de cette histoire – des rédacteurs et des journalistes, Trump lui-même et d’autres personnes dans son orbite.

Le résultat est un regard encyclopédique sur l’un des moments les plus marquants de l’histoire des médias américains.

Gerth, qui a 78 ans, est un journaliste d’investigation expérimenté qui a écrit pour de grands médias. Le résultat de son enquête est effectivement encyclopédique, détaillé et très dommageable.

Les quatre parties sont classées par ordre chronologique et je recommande de les lire toutes pour saisir l’ampleur réelle de l’échec des médias.

Pour ceux qui n’ont pas le temps de lire les quatre longs articles, il existe un article de Foxnews qui résume bien leur contenu.

Gerth termine son compte rendu par une postface personnelle :

Depuis plus de cinquante ans que je suis journaliste, j’ai toujours évité de donner mon avis. Cette fois, cependant, je me suis senti obligé de m’exprimer. Pourquoi ? Parce que je m’inquiète du déclin de la crédibilité du journalisme et de la polarisation croissante de la société. Ces deux tendances sont, selon moi, intimement liées.

Ma principale conclusion est que les missions premières du journalisme, à savoir informer le public et demander des comptes aux intérêts puissants, ont été sapées par l’érosion des normes journalistiques et le manque de transparence des médias sur leur travail. Cette combinaison renforce la méfiance des gens à l’égard des médias et exacerbe les différences politiques et sociales.

Ma dernière préoccupation, et ma dernière frustration, est le manque de transparence des organisations médiatiques dans leurs réponses à mes questions. J’ai contacté plus de soixante journalistes et seule la moitié d’entre eux m’ont répondu. Parmi ceux qui ont répondu, plus d’une douzaine ont accepté d’être interviewés pour mémoire. Cependant, pas un seul grand média n’a mis à disposition un responsable de salle de rédaction pour parler de la façon dont ils ont traité l’histoire.

La plupart des Américains (60 %) disent vouloir des sources d’information impartiales. Pourtant, 86 % pensent que les médias sont partiaux. Les conséquences de ce décalage ne sont que trop évidentes : 83 % de l’audience de Fox News penche du côté Républicain alors que 91 % des lecteurs du New York Times penchent du côté Démocrate.

Walter Lippmann a évoqué ces dangers dans son livre Liberty and the News, publié en 1920. Lippmann s’inquiétait alors que lorsque les journalistes “s’arrogent le droit de déterminer par leur propre conscience ce qui doit être rapporté et dans quel but, la démocratie est inapplicable“.

J’ai la même inquiétude que celle exprimée par Gerth et Lippmann.

Les trois principaux responsables de l’imposture du Russiagate, le News Times, le Washington Post et CNN, n’ont pas encore rendu compte de l’histoire du CJR. Ils craignent probablement d’admettre que leurs reportages sur le Russiagate, qui ont eux-mêmes alimenté de grandes parties de l’histoire, étaient plein d’erreurs et d’omissions en raison de leur vision partisane.

J’ai écrit des dizaines d’articles sur la critique et l’échec des médias. Mes préoccupations concernant la partialité systématique des médias et l’influence “officielle” sur ces derniers n’ont cessé de croître. Les fausses histoires sont un ingrédient majeur pour préparer des guerres. Le Dashboard Hamilton, le dossier Steele et d’autres éléments du Russiagate ont probablement été inventés dans ce but.

L’objectivité des médias a été mise à mal. Elle est maintenant menacée de devenir encore pire. Leonard Downie Jr, ancien rédacteur en chef du Washington Post, a publié un article d’opinion qui plaide pour encore moins d’objectivité.

Opinion. Les salles de presse qui vont au-delà de l'”objectivité” peuvent renforcer la confiance

En cette période de défis et de changements profonds qui secouent les médias d’information américains aujourd’hui, les salles de rédaction se demandent si l’objectivité traditionnelle doit rester la norme pour le reportage. La plupart des dictionnaires définissent l'”objectivité” comme l’expression ou l’utilisation de faits sans déformation par des croyances personnelles, des partis pris, des sentiments ou des préjugés. L’objectivité journalistique a généralement été comprise comme signifiant à peu près la même chose.

Mais de plus en plus, les journalistes, les rédacteurs en chef et les critiques des médias affirment que le concept d’objectivité journalistique est une déformation de la réalité. Ils soulignent que cette norme a été dictée pendant des décennies par des rédacteurs en chef masculins dans des salles de rédaction majoritairement blanches et qu’elle a renforcé leur propre vision du monde. Ils estiment que la recherche de l’objectivité peut conduire à un faux équilibre ou à un “deuxcotésàlafoisisme” trompeur lors de la couverture de sujets tels que la race, le traitement des femmes, les droits des LGBTQ+, l’inégalité des revenus, le changement climatique et de nombreux autres sujets. Et, dans les salles de rédaction qui se diversifient aujourd’hui, ils ont le sentiment que cela nie nombre de leurs propres identités, expériences de vie et contextes culturels, les empêchant de rechercher la vérité dans leur travail.

Le fait que les informations soient rapportées à travers les lunettes teintées d’un nombre toujours plus grand d'”identités” n’améliorera pas la qualité généralement mauvaise des médias d’aujourd’hui.

Elle ne fera qu’aggraver le problème de la partisanerie et des préjugés qui conduisent à un public de plus en plus désuni.

Réfléchissez-y : Qui a intérêt à cela ?

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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