Stephen F. Cohen : « Repenser Poutine » une brève recension



2015-09-15_13h17_31-150x112Par le Saker – Le 8 février 2018 – Source The Saker

Récemment, j’ai eu le plaisir de regarder une brève présentation du professeur Stephen F. Cohen intitulée Rethinking Putin (Repenser Poutine), qu’il a donnée le 2 décembre 2017 lors de la croisière annuelle de Nation (voir ici l’article original de Nation et la vidéo originale sur YouTube). Dans sa présentation, le professeur Cohen fait un superbe travail d’explication de ce que Poutine N’EST PAS, et cela comprend les points suivants (mais avant de continuer, regardez la vidéo originale – en anglais).

  1. Il n’est pas l’homme qui a dé-démocratisé la Russie (Eltsine et la Maison Blanche l’ont fait) ;
  2. Il n’est pas le dirigeant qui a créé la corruption et la kleptocratie en Russie (Eltsine et la Maison Blanche l’ont fait) ;
  3. Il n’est pas un dirigeant criminel qui a ordonné le meurtre d’opposants ou de journalistes (pas de preuve) ;
  4. Il n’a pas commandé le piratage des serveurs du Comité national démocrate (pas de preuve) ;
  5. Il n’était pas anti-américain ou anti-occidental dès le départ (Poutine a changé avec le temps) ;
  6. Il n’est pas un dirigeant néo-soviétique (il est très critique à l’égard de Lénine et de Staline) ;
  7. Il n’est pas un dirigeant agressif en politique étrangère (il a été un dirigeant réactif) ;
  8. Il n’est pas défini par ses années passées au KGB.

Le professeur Cohen a terminé son exposé en suggérant quelques éléments qui pourraient faire partie d’une future biographie honnête :

En tant que dirigeant jeune et inexpérimenté placé à la tête d’un État en train de s’effondrer :

  1. Il a reconstruit, stabilisé et modernisé la Russie de manière à éviter de futurs écroulements ;
  2. Il a dû reconstruire la « verticale » du pouvoir : une « démocratie dirigée » (c’est-à-dire l’ordre rétabli) ;
  3. Il avait besoin d’une histoire consensuelle recollant les époques tsariste, soviétique et post-soviétique sans imposer une version unique de l’histoire ;
  4. Il avait besoin du soutien occidental pour moderniser l’économie russe ;
  5. Il voulait que la Russie soit une grande puissance, mais pas une superpuissance ;
  6. Il n’a jamais favorisé l’isolationnisme du rideau de fer ; c’est un internationaliste (plus européen que 90% des Russes, au moins au début).

La thèse essentielle est celle-ci : Poutine a commencé comme un dirigeant européen et pro-occidental et, avec le temps, il s’est de nouveau rangé à une vision du monde russe beaucoup plus traditionnelle. Il est aujourd’hui plus en accord avec les électeurs russes.

Le professeur Cohen a conclu en abordant deux sujets qui, je suppose, préoccupaient beaucoup son auditoire : il a dit que, contrairement à la propagande occidentale, les prétendues lois « anti-gay » en Russie ne sont pas différentes des lois de 13 États américains. Ensuite, que « de toute évidence, que cela se passe en Russie ou dans les relations avec Israël, avec le consentement de tous, personne ne le nie, les juifs en Russie sous Poutine sont mieux lotis qu’ils ne l’ont jamais été dans l’histoire russe. Ils ont plus de liberté, moins d’antisémitisme officiel, plus de protection, plus d’admiration officielle pour Israël, plus d’interactions, plus de liberté d’aller et venir ».

Tout cela est très intéressant, surtout lorsque c’est livré à un auditoire progressiste-libéral-de gauche américain (avec, probablement, un fort pourcentage de juifs). Franchement, la présentation du Professeur Cohen me fait penser à ce que Galilée a peut-être ressenti lorsqu’il a fait ses propres « présentations » devant le tribunal de l’Inquisition (les articles et les livres de Cohen figurent aujourd’hui aussi dans l’équivalent moderne de l’« Index Librorum Prohibitorum »). En vérité, le professeur Cohen est tout simplement fidèle à lui-même : il s’est opposé aux fous pendant la vieille Guerre froide et maintenant il s’oppose aux mêmes fous pendant la Nouvelle Guerre froide. Toute sa vie, le professeur Cohen a été un homme de vérité, de courage et d’intégrité – un pacificateur au sens des « Béatitudes (Matt 5:9) ». Donc, bien que je ne sois pas surpris par son courage, je suis quand même extrêmement impressionné. Certains pensent peut-être que faire une brève présentation sur un bateau de croisière n’est pas vraiment le signe d’un grand courage, mais je ne suis pas du tout d’accord. Oui, personne ne tirera sur Cohen, dans la nuque, comme, disons, le ChK-GPU-NKVD soviétique l’aurait fait, mais je soutiens que ces méthodes visant à « imposer » un seul et unique consensus officiel étaient beaucoup moins efficaces que leurs équivalents modernes : les techniques pour imposer la conformité (voir Asch Conformity Experiment) si répandues dans la société occidentale moderne. Regardez seulement les résultats : il y avait beaucoup plus de lecture et de pensée (de toute sorte) dans la société soviétique qu’il n’y en a aujourd’hui dans l’Empire anglosioniste moderne (tous ceux qui se souviennent de la méchante vieille URSS le confirmeront). Comme dit la plaisanterie : en dictature, c’est « taisez-vous » tandis que dans une démocratie c’est « causez toujours ». CQFD.

Pour revenir aux points soulevés par le professeur Cohen, les numéros 1, 2, 3 et 4 sont des faits de base. Rien à débattre ici – Cohen met les faits au clair. Le numéro 5 est beaucoup plus intéressant et discutable. D’une part, nous parlons de points de vue, d’intentions, qui sont difficile à juger. Poutine a-t-il toujours été pro-occidental ? Qui le sait ? Peut-être ses meilleurs amis ? Ma conviction à ce propos est que cette question doit être examinée en lien avec le numéro 8 : le service de Poutine au KGB.

Il y a encore énormément de désinformation sur l’ancien KGB soviétique en Occident. Pour l’Américain moyen, un « agent du KGB » est un type prénommé Vladimir, aux yeux gris-bleu acier, qui cogne sur les dissidents, vole les secrets technologiques occidentaux et espionne les femmes des politiciens (et même couche avec). C’est un communiste pur et dur qui rêve d’envoyer une bombe nucléaire ou d’envahir les États-Unis et qui parle avec un accent russe épais.

Description de l'image Anna Chapman mug shot.jpg.Ou alors il y a Anna Kouchtchenko (c’est-à-dire Anna Chapman) – une poupée sexuelle perfide qui séduit les hommes occidentaux pour les amener à trahir. Ces prototypes sont aussi adéquats que James Bond est une représentation adéquate du MI6. La réalité ne pourrait être plus différente.

Le KGB soviétique était en tout premier lieu une immense bureaucratie avec des directions, des départements et des sections totalement différents. Oui, une de ces directions s’est effectivement occupé des dissidents et des activistes anti-soviétiques (principalement le 9e Département de la 5e Direction) mais même au sein de cette (tristement célèbre) 5e Direction, il y avait quelques départements qui, en coordination avec d’autres directions et départements du KGB assumaient des tâches plus légitimes comme par exemple la détection précoce des organisations terroristes (7e Département). D’autres directions du KGB s’occupaient de la sécurité économique (6e Direction) de la sécurité intérieure et du contre-espionnage (2e Direction) ou même de la protection des officiels (9e Direction).

Poutine était un officier (pas un « agent » – les agents sont recrutés à l’extérieur du KGB !) de la Première direction générale (PGU) du KGB : le renseignement étranger. Poutine lui-même a récemment révélé qu’il travaillait dans le département le plus sensible de la PGU, le « Département S » celui des « illégaux ». C’est très important. La PGU était tellement séparée de toutes les autres directions du KGB qu’elle avait son propre siège dans le sud de Moscou. Mais même au sein de la PGU, le Département S était le département le plus secret et séparé de tous les autres départements de la PGU (pas moins de dix). Ayant passé moi-même de nombreuses années comme activiste anti-soviétique et ayant eu des rapports personnels, en face à face, avec des officiers du KGB (de diverses directions), je peux confirmer que le KGB dans son ensemble a non seulement sélectionné quelques-uns des meilleurs et des plus brillants en Russie, mais que la PGU a obtenu les meilleurs d’entre eux et que seuls les meilleurs de ce groupe trié sur le volet ont pu entrer dans le légendaire Département S. Voyons maintenant quel genre de compétences était exigé des officiers de la PGU en général (à part les deux qualités évidentes : être très brillant et très digne de confiance).

D’abord et avant tout, un officier PGU doit être un spécialiste de haut niveau dans son domaine d’expertise (dans le cas de Poutine : l’Allemagne, bien sûr, mais aussi le reste de l’Europe et, puisque l’Europe était – et est toujours – une colonie américaine, les États-Unis). Tandis qu’on disait au peuple soviétique que l’Occident était l’ennemi, les officiers PGU devaient comprendre pourquoi et comment l’Occident était cet ennemi.

Concrètement, cela implique non seulement de connaître et de comprendre les réalités culturelles, politiques, sociales et économiques officielles du régime politique de l’ennemi, mais également les réels rapports de pouvoir au sein de cette entité politique. Une telle compréhension est non seulement utile pour aborder et évaluer l’utilité potentielle de chaque personne avec laquelle vous interagissez, mais aussi pour être capable de comprendre dans quel environnement cette personne doit travailler. L’idée que les officiers de la PGU étaient des cocos sectaires est risible car ces hommes et ces femmes étaient très cultivés (ils avaient un accès illimité à toutes les sources d’informations occidentales, y compris anti-soviétiques, aux rapports classifiés et à toute la littérature anti-soviétique imaginable) et ils étaient des réalistes/pragmatiques absolus. Bien sûr, comme dans toute organisation, les hauts dirigeants étaient souvent nommés à des postes politiques et les bureaucrates et les officiers du contre-espionnage étaient beaucoup moins raffinés. Mais pour des officiers comme Poutine, comprendre vraiment la réalité de la société occidentale était une compétence vitale.

Deuxièmement, un bon officier de la PGU devait être sympathique ; très, très sympathique. Être aimé des autres est également une compétence essentielle pour un bon officier du renseignement. Concrètement, cela signifie qu’il ou elle non seulement doit comprendre ce qui motive l’autre, mais comment l’influencer dans la bonne direction. Lorsqu’il s’agit des « illégaux » cela signifie également être leur meilleur ami, leur confesseur, leur soutien moral, leur guide et leur protecteur. Vous ne pouvez pas faire ça si les gens ne vous aiment pas. Donc ces officiers du renseignement sont des maîtres pour être de bons amis et compagnons ; ils sont des auditeurs attentifs et ils en savent long sur comment faire pour que vous les aimiez. Ils comprennent aussi exactement ce que vous avez envie d’entendre, ce que vous voulez voir et quels mots et quels actes vous mettent en mode détendu et confiant.

Maintenant, combinez ces deux choses : vous avez un homme qui est le meilleur spécialiste de l’Occident et qui est superbement formé pour être aimé par les Occidentaux. Quelle probabilité y a-t-il que cet homme ait beaucoup d’illusions sur l’Occident, pour commencer ? Et s’il en avait, les aurait-il montrées ?

J’ai le sentiment que c’est peu probable.

Ce qui est bien plus probable est que Poutine a joué le rôle du « meilleur ami de l’Occident » aussi longtemps que possible et qu’il l’a abandonné lorsque cela n’était manifestement plus productif. Et oui, en le faisant, il a rejoint l’opinion publique dominante en Russie. Mais ce n’était qu’une retombée utile et non la cause ou le but de ce réalignement.

Examinez les points 9 à 13 du professeur Cohen ci-dessus (je les résumerai par « réparer la Russie »). Ils ont tous un sens pour moi, même si « il était un dirigeant jeune et inexpérimenté ». Il y a une énorme différence entre être un officier PGU compétent et être l’homme qui règne sur la Russie. Et même si Poutine avait perdu certaines de ses illusions, c’était surtout parce que l’Occident lui-même avait beaucoup changé entre les années 1980 et les années 2010. Mais Poutine doit en effet avoir toujours su que pour mettre en œuvre les points 10 à 13 de Cohen, il avait besoin de l’aide de l’Occident ou, si ce n’était pas possible, au moins du minimum d’ingérence/résistance occidentale. Mais croire qu’un homme qui avait pleinement accès à l’information réelle sur les deux guerres de Tchétchénie aurait eu la moindre illusion sur les sentiments véritables de l’Occident à l’égard de la Russie est profondément erroné. En fait, quiconque vivant en Russie dans les années 1990 aurait finalement réalisé que l’Occident voulait que tous les Russes soient des esclaves ou, plus précisément, comme l’a dit le sénateur McCain – des préposés de « station-service ». Poutine lui-même l’a dit quand il a déclaré, parlant des États-Unis : « Ils ne veulent pas nous humilier, ils veulent nous soumettre. Ils veulent résoudre leurs problèmes à nos dépens, ils veulent nous subordonner à leur influence. » Poutine a ensuite ajouté : « Personne dans l’histoire n’a jamais réussi à le faire et personne ne réussira jamais. » Premièrement, j’estime que Poutine comprend parfaitement les objectifs de l’Occident. Deuxièmement, je soutiens également qu’il n’a pas subitement « découvert » cela en 2013. Je pense qu’il le savait depuis toujours, mais qu’il a commencé à le dire ouvertement après le coup d’État soutenu par les États-Unis en Ukraine. En outre, en 2014, Poutine avait déjà accompli les points 9 à 13 et il n’avait plus autant besoin de l’Occident.

Regardons maintenant les points 6 (le point de vue de Poutine sur la période soviétique), 12 (l’histoire consensuelle) et 14 (la Russie est une grande puissance mais pas une superpuissance). Et considérons de nouveau le fait que les officiers de la PGU avaient un accès total à tous les livres d’histoire, aux archives secrètes, aux mémoires, etc., et qu’ils étaient très libres de parler en termes analytiques pragmatiques sur tous les sujets historiques avec leurs enseignants et leurs collègues. Ici, je soutiens que Poutine n’avait pas plus d’illusions sur le passé soviétique qu’il n’en a eu ensuite sur l’Occident. Le fait qu’il se soit référé à l’effondrement de l’Union soviétique (qui, rappelons-nous, s’est passé d’une manière totalement antidémocratique !) comme à une « catastrophe complètement inutile » n’implique aucunement qu’il n’était pas pleinement conscient des horreurs, tragédies, gaspillage, corruption, dégradation et du caractère généralement mauvais du régime soviétique. Tout ce que cela montre est qu’il est également conscient des immenses victoires, réalisations et succès qui font aussi partie du bilan historique de l’époque soviétique. Enfin, le plus important, cela montre qu’il comprend quel désastre absolu, quel cataclysme de proportions véritablement cosmiques a représenté l’effondrement de l’Union soviétique pour toutes les populations de l’ancienne URSS et quel cauchemar absolu cela a été pour la Russie de vivre une décennie entière comme une colonie assujettie à l’Oncle Sam. Je suis certain que Poutine a suffisamment étudié Hegel pour comprendre que les horreurs des années 1990 étaient le résultat des contradictions internes de l’époque soviétique tout comme l’époque soviétique était le résultat des contradictions internes de la Russie tsariste. En langage clair, cela signifie qu’il a pleinement compris les dangers inhérents à être un Empire et qu’il a décidé, avec l’immense majorité des Russes, que la Russie ne devrait jamais redevenir un Empire. Un pays fort, respecté et souverain ? Oui. Mais un Empire ? Jamais plus. Pas question !

Cette conclusion fondamentale est aussi la clé de la politique étrangère de Poutine : elle est « réactive » par nature simplement parce qu’elle n’agit qu’en réponse à quand (et quoi) quelque chose affecte la Russie. On pourrait dire que tous les pays « normaux » sont « réactifs » parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement. S’impliquer partout, dans toutes les luttes ou les conflits, c’est ce que font les empires basés sur des idéologies messianiques, mais pas les pays normaux, quelle que soit leur taille ou leur puissance. Malgré toutes les hallucinations malades et paranoïaques des russophobes occidentaux à propos d’une « Russie renaissante » la réalité est que les diplomates russes ont souvent mentionné ce que sont les véritables buts des politiques étrangères russes : transformer les ennemis en neutres, les neutres en partenaires, les partenaires en amis et les amis en alliés. Et c’est pourquoi le professeur Cohen a absolument raison, Poutine n’est pas isolationniste du tout – il veut un ordre international nouveau, multipolaire, de pays souverains ; non parce qu’il est un idéaliste naïf, mais parce que c’est ce qui est pragmatiquement bon pour la Russie et son peuple. On pourrait dire que Poutine est un internationaliste patriote.

Passons maintenant aux homosexuels et aux juifs. Premièrement, les deux assertions du professeur Cohen sont correctes : les homosexuels et les juifs sont très bien lotis dans la Russie moderne. Je serais même d’accord pour dire qu’ils vont mieux que jamais auparavant. Bien sûr, le professeur Cohen et moi sommes tous deux factuels et très superficiels lorsque nous disons ça. Comme j’ai déjà discuté de ces deux sujets en détail (voir ici et ici), je n’y reviens pas. Je dirais simplement que dans les deux cas, nous parlons d’une minorité assez réduite dont le traitement, pour une raison ou une autre, est considérée comme LA mesure de l’humanité, de la bonté, de la civilisation et de la modernité en Occident. Bon, d’accord, chacun son truc. Si, en Occident, le traitement de ces deux minorités est Le Seul et Unique Sujet Le Plus Important Dans l’Univers – c’est bien. Personnellement, je ne m’en soucie pas beaucoup (en particulier parce que je ne pense pas devoir une considération particulière à l’un ou l’autre). Cela dit, j’affirmerais aussi que la préoccupation première de Poutine ne concerne pas une minorité spécifique. Cependant, et c’est là que c’est en effet très intéressant, sa préoccupation pour la majorité n’implique pas du tout un quelconque mépris ou d’irrespect pour les libertés fondamentales et les droits des minorités, mais inclut sa préoccupation pour toutes les minorités (et, dans ce cas, pas seulement pour les deux qui sont traitées comme « plus égales que les autres »).

C’est là que divers droitiers et autres alt-right « perdent » complètement Poutine. Le même Poutine qui a dit à une assemblée de juifs orthodoxes à Moscou que 80% à 85% des dirigeants bolcheviks était juifs (voir la vidéo sous-titrée ici) le même Poutine qui a écrasé les oligarques (majoritairement juifs) de l’époque Eltsine dès qu’il est arrivé au pouvoir, et le même Poutine qui a totalement ignoré tous les crises d’hystérie de Bibi Netanyahou sur le rôle des Russes en Syrie est aussi le même Poutine qui a fait tout son possible pour protéger les juifs russes en Russie et qui considère que les juifs et les Russes sont unis pour toujours dans leur mémoire commune des horreurs de la Seconde Guerre mondiale.

Aparté
Personnellement, j’aimerais que la Russie dénonce Israël pour ce qu’il est, un État voyou raciste illégitime porté sur le génocide et son expansion, mais je n’ai pas de parents là-bas. Je ne suis pas non plus le président d'un pays qui a des liens très forts avec les communautés juives russophones du monde entier. À mon avis, je ne suis responsable devant personne d’autre que ma conscience et Dieu, alors que Poutine est responsable devant ceux qui l’ont élu et continuent à le soutenir.

La culpabilité par association, la punition de tous pour les actes de quelques-uns, le bouc émissaire, la persécution ignoble de minorités au nom d’un idéal – tout cela a été essayé dans le passé, tant en Russie qu’en Occident. Les Nazis l’ont fait, et les Soviétiques aussi. Tant les Nazis que les Soviétiques ont infligé des horreurs indicibles aux nombreux peuples de l’Union soviétique et au-delà. Poutine est pleinement conscient des dangers du nationalisme, tout comme il est conscient des dangers de l’impérialisme et il l’a dit à maintes reprises : la Russie ne peut se permettre de nouveaux conflits nationalistes car ceux-ci ont presque complètement détruit la Russie dans les années 1990. Regardez l’Ukraine moderne et vous verrez à quoi une Russie déchirée par les idéologies nationalistes aurait pu ressembler si Poutine n’avait pas réprimé durement divers nationalistes (y compris et surtout russes).

Loin de s’en prendre à un lobby juif (certes puissant) en Russie, Poutine essaie en fait de réunir le plus grand nombre possible de gens et de minorités différents pour son projet de Nouvelle Russie ; et ce projet inclus les juifs russes, non seulement pour le bien de ceux-ci, mais principalement pour le bien de la Russie. Il en va de même pour une autre minorité importante en Russie – les musulmans. Eux aussi constituent une partie essentielle du projet de Poutine pour la Russie. Bien sûr, les racistes, les nationalistes et d’autres moins brillants en Russie rêveront toujours de l’expulsion de tous les juifs (ou des musulmans) du pays. Bref, cela n’arrivera pas (ce serait physiquement impossible) et Poutine et ceux qui le soutiennent combattront de tels projets avec tous les instruments légaux à leur disposition. Là encore, on pourrait dire que Poutine est un internationaliste patriote.

Pendant ce temps, l’Occident est toujours coincé dans ses vieilles habitudes idéologiques : impérialisme nationaliste et exclusivisme messianique d’une part, et reddition totale au post-modernisme, haine de soi culturelle, politique mesquines des minorités et relativisme moral de l’autre. Il n’est par conséquent pas surprenant que les deux camps dominants en Occident interprètent très mal Poutine et ne peuvent comprendre ce qu’il est en train de faire.

Le professeur Cohen a raison : le vrai Poutine n’a absolument rien, rien du tout de commun avec le pseudo-Poutine que présentent les médias occidentaux à leur public infiniment crédule et zombifié. Hélas, personne n’écoutera Cohen, du moins pas jusqu’à ce que le régime à Washington DC et la structure du pouvoir qui le soutient, et dont il représente les intérêts, s’écroulent. Mais je crois que le professeur Cohen passera finalement dans l’histoire comme le spécialiste de la Russie le plus honnête intellectuellement et le plus courageux aux États-Unis.

The Saker

Cette analyse a été écrite pour Unz Review

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone

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