Réfugiés militarisés et attaques hybrides


Par Binoy Kampmark − Le 07/09/2021 − Source Oriental Review

Réfugiés afghans coincés entre la Pologne et le Belarus

Les réfugiés et les demandeurs d’asile constituent un riche vivier pour les démagogues et les opportunistes politiques. L’approche australienne politise leur détresse en affirmant qu’ils sont illégitimes selon la façon dont ils arrivent, à savoir par bateau. Le vingtième anniversaire de la tentative du MV Tampa d’accoster à l’île Christmas avec plus de 400 de ces individus a inauguré un régime particulièrement vicieux. Intercepté par les forces spéciales australiennes, les SAS, en août 2001, cela a offert au gouvernement Howard une occasion incroyablement cruelle de récolter des voix. Et ce gouvernement les a récoltés avec enthousiasme.

Plusieurs pays européens ont également adopté une approche similaire : les arrivées navales en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique doivent être contenues, détenues et, de préférence, traitées dans des pays tiers par le biais d’une série d’accords. Le thème commun à tous ces accords est la fermeté des contrôles aux frontières et la dissuasion.

Le Belarus a ajouté une autre option à l’arsenal d’utilisation et d’abus des réfugiés. Le pays, sous la direction d’Alexandre Loukachenko, a mis au point un plan bâclé pour harceler les pays sympathisants de ses opposants et responsables de l’imposition de sanctions à son régime : les submerger. Premièrement : inciter les réfugiés et les migrants d’un certain nombre de pays – Irak, Iran, Afghanistan, Syrie et Cameroun – à arriver avec des visas touristiques. Mobiliser ces personnes pour qu’elles franchissent les frontières polonaises, lituaniennes et lettones.

Des descriptions ont été proposées pour cette stratégie. Le ministre lituanien des affaires étrangères, Gabrielius Landsbergis, a considéré les actes de la part du Belarus comme une « opération de guerre hybride » qui menaçait, a-t-il affirmé avec un effet dramatique, « l’ensemble de l’Union européenne ». En juillet, il a déclaré à la Deutsche Welle que les réfugiés concernés étaient utilisés comme des « boucliers humains » et une sorte d’« arme hybride ». Le vice-ministre lituanien de l’Intérieur, Arnoldas Abramavičius, n’a pas apprécié que les gardes-frontières de son pays « agissent comme une sorte d’hôtel d’accueil pour les migrants pendant longtemps. Il fallait que cela cesse ».

Les États membres ont échangé leurs expériences sur la meilleure façon de faire face à la recrudescence de ces arrivées « Loukachenko ». Lors d’une réunion entre M. Landsbergis et son homologue grec Nikos Dendias en juin, une grande solidarité a été ressentie dans la discussion sur la manière de combattre une menace commune. Les droits de l’homme se sont avérés moins importants que l’intégrité territoriale et la défense européenne. Comme l’a déclaré le ministère lituanien des affaires étrangères, les deux ministres « ont souligné l’importance de la solidarité européenne et la nécessité de prêter attention aux processus dans le voisinage de l’UE, ainsi qu’être prêt à répondre aux menaces dangereuses qui émergent au voisinage de l’UE. »

Les gardes le long de la frontière lituanienne avaient, jusqu’en août, intercepté environ 4 100 réfugiés et demandeurs d’asile rien que cette année. L’année dernière, ce nombre n’était que de 81. Ces chiffres ont incité l’État balte à déclarer l’état d’urgence en juillet. Les ressources de Frontex, cet organisme peu transparent également connu sous le nom d’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, ont déployé du personnel à la hâte ce même mois pour aider à maintenir l’ordre à la frontière avec la Lituanie et la Lettonie.

Selon Frontex, le soutien initial comprendrait « la surveillance des frontières et d’autres fonctions de gestion des frontières ». L’opération commencera par le déploiement de 10 agents avec des voitures de patrouille, et leur nombre sera progressivement augmenté.

Le directeur exécutif de l’agence, Fabrice Leggeri, n’a pas tari d’éloges sur les prouesses de l’organisation aux allures militaires, suggérant une aide face à des barbares menaçants à la frontière de l’Europe. « Le déploiement rapide en soutien à la Lituanie et à la Lettonie met en évidence la valeur des troupes permanentes de Frontex, qui permet à l’agence de réagir rapidement à des défis inattendus, en apportant la solidarité européenne pour soutenir les États membres aux frontières extérieures. »

L’humanitarisme est la dernière chose à laquelle pense M. Leggeri lorsqu’il évoque le rôle des « gardes-frontières et patrouilleurs supplémentaires de Frontex », qui « travaillent côte à côte avec leurs collègues lettons et lituaniens » pour « protéger nos frontières extérieures » en faisant cause commune.

Au début du mois, la Pologne a rejoint la Lituanie avec une ferveur alarmiste, en déclarant l’état d’urgence. Cette mesure a eu pour effet de militariser inutilement la situation, tout en faisant appel au jingo intérieur. Il s’agit du premier ordre de ce type depuis l’époque communiste du pays, qui interdit les rassemblements de masse et limite les mouvements de la population dans une bande de 3 km le long de la frontière pendant 30 jours. Marta Anna Kurzyniec, habitante de la ville frontalière polonaise de Krynki, a décrit une atmosphère « généralement violente ». Il y avait « des militaires en uniforme et armés partout… cela me rappelle la guerre ».

À l’utilisation de troupes s’ajoutent des barrières inhospitalières telles que la construction d’une clôture en fil de fer rasoir de 508 km par les autorités lituaniennes. La première ministre lituanienne, Ingrida Simonyte, a estimé qu’il s’agissait d’un élément essentiel de la stratégie de son pays pour repousser les arrivées indésirables. « La barrière physique est vitale pour repousser cette attaque hybride, que le régime biélorusse entreprend contre la Lituanie. »

Des personnalités politiques telles que le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki et le Lituanien Landsbergis ont également encouragé la diffusion de messages sévères de désapprobation à ceux qui tentent d’entrer dans leur pays. « Nous devons informer les gens qu’on leur ment », s’est emporté Landsbergis. « On leur promet un passage facile vers l’Europe, une vie très libre en Europe. Ce n’est pas ce qui va se passer. » Morawiecki, bien que revendiquant une certaine sympathie pour « les migrants qui ont été dans une situation extrêmement difficile », a estimé qu’« il faut clairement dire qu’ils sont un instrument politique. »

La situation a également vu la Cour européenne des droits de l’homme faire une apparition bien nécessaire en demandant à la Pologne et à la Lettonie de « fournir à tous les requérants de la nourriture, de l’eau, des vêtements, des soins médicaux adéquats et, si possible, un abri temporaire ». La Cour a toutefois tenu à faire savoir « que cette mesure ne doit pas être comprise comme exigeant que la Pologne ou la Lettonie laissent les requérants entrer sur leur territoire. »

Le gouvernement polonais, quant à lui, insiste sur le fait que son cœur ne s’est pas endurci, et s’adonne à son propre jeu de dissimulation pour la presse. Comme l’a affirmé une porte-parole du ministère de l’intérieur, « ces personnes se trouvent du côté biélorusse de la frontière ».

La manipulation de ce trafic humain a créé son lot de réalités bestiales ignorant les principes fondamentaux de la Convention des Nations Unies sur les réfugiés et d’un assortiment d’instruments internationaux, dont la Convention de Genève. C’est notamment le cas d’un certain nombre de réfugiés afghans qui se retrouvent bloqués à Usnarz Gorny, à 55 km à l’est de Bialystok. « Ils sont les victimes du jeu politique entre les pays », a déclaré avec justesse Aleksandra Fertlinska, d’Amnesty International Pologne. « Mais ce qui est le plus important, c’est que la source de ce jeu politique n’a pas d’importance. Ce sont des réfugiés, et ils sont protégés par [la] Convention de Genève ; ce que nous devons faire, c’est les accepter. »

Un réfugié irakien du nom de Slemen, se trouvant dans les environs détrempés de Rūdninki, à quelque 38 kilomètres de la capitale lituanienne Vilnius, offre sa propre observation pertinente. « Ce n’est pas parce que nous sommes passés par la Biélorussie que nous sommes de mauvaises personnes », a-t-il expliqué à Der Spiegel. Mais lui, et ses compagnons de voyage, sont présentés comme mauvais par des États qui négligent la compassion du traitement des demandes au profit d’une politique instinctive mettant l’accent sur le déluge et la menace plutôt que sur le salut et l’espoir.

Binoy Kampmark

Note Saker Francophone
Il est assez étonnant de voir que la Biélorussie renvoie la monnaie de leur pièce à la Pologne et aux États Baltes après les déstabilisations récentes, et avec des techniques utilisées par les forces globalistes pour imposer le multiculturalisme en Occident.

Traduit par hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

   Envoyer l'article en PDF