Rafale : l’accord français de Modi prend son envol


Par MK Bhadrakumar – Le 12 avril 2015 – Source mkbhadrakumar

Si le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi était encore en vie, nous aurions pu lui demander comment les Français s’arrangent avec les dirigeants autoritaires et les dictateurs de pacotille des pays en développement qui portent de gros chéquiers dans leurs poches quand ils voyagent à l’étranger.

Le Premier Ministre Narendra Modi, François Hollande, Jean-Yves Le Drian (G), Anne Hidalgo et Laurent Fabius sur la Seine à Paris.

Comme l’image de rêve dans le journal The Hindu immortalisait le moment pour les historiens de la diplomatie indienne, le gouvernement français a fait tout ce qu’il fallait pour rendre mémorable la visite du Premier ministre Narendra Modi.

Tous les dirigeants – le Président, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et la charmante maire de Paris elle-même – ont renoncé à leur week-end pour escorter Modi dans une croisière sur la Seine. Howzaat? [Comment ça? – probablement avec l’accent indien] Cela rendrait le président Barack Obama vert de jalousie. Même avec ses séduisantes Ceinture et Route de la soie, le président Xi Jinping n’a pas reçu le même accueil que Modi, digne de l’empereur Haïlé Sélassié, le messie rastafarien, le lion de Juda. (En fait, les hôtes français ont même autorisé une manifestation de protestation des Tibétains lorsque Xi est arrivé.)

Bon, il y avait une très bonne raison à tout cela. Les Français ont eu enfin ce qu’ils voulaient, c’est-à-dire une révision des termes de l’accord MMRCA [Medium Multi-Role Combat Aircraft], qui les absoudrait du besoin de fabriquer les avions de combat Rafale dans les mauvaises usines d’armement indiennes.

Tout vendeur aimerait vendre plutôt que coproduire avec l’acheteur, mais le précédent gouvernement de l’Alliance progressiste unie était resté étrangement inflexible, pensant que les Français devaient se tenir aux termes de l’offre avec laquelle ils avaient obtenu le contrat. Peut-être était-ce la touche magique du ministre de la Défense alors en poste, A.K. Antony. Ou peut-être que l’Alliance progressiste unie ne voulait pas avoir encore sur les bras une autre arnaque d’achats d’armements par les forces armées indiennes.

En tout cas, Modi n’a pas cillé. Point barre. Nous devons attendre que Subramanian Swamy honore sa promesse de déposer une plainte à la Cour suprême afin d’aller au fond de ce qui s’est vraiment passé pour que le gouvernement Modi mette au rancart l’accord MMRCA original et opte, en lieu et place, pour un Rafale sur étagère prêt à l’emploi.

Peu importe la propagande qui nous est servie, la vérité effrayante est que l’accord MMRCA a été arbitrairement revu par Modi pendant un doux après-midi à Paris. Juste comme ça. Sans même impliquer le ministre indien de la Défense dans sa discussion à Paris avec ses hôtes français flagorneurs. Le fait que le ministre de la Défense Manohar Parrikar inaugurait une poissonnerie dans son état de Goa au moment même où Modi parvenait à l’accord sur l’envol du Rafale à Paris en dit long sur la manière de gouverner du Conseil des ministres de l’ère Modi. C’est une honte. En général les gens qualifient ces pays de républiques bananières.

L’interprétation donnée est que les Français vendent à un prix concurrentiel. Évidemment, ils vont citer un bon prix. Qu’attendez-vous d’autre d’hommes d’affaires avisés ? Parce que tout vendeur sait que l’astuce, c’est en quelque sorte de faire entrer l’acheteur sur le marché. On peut toujours faire un bon profit à la suite de tels accords en vendant des pièces détachées et des produits d’entretien, et ainsi de suite, sans avoir à passer par des appels d’offres publics.

En outre, les Indiens n’ont maintenant pas d’autre choix que d’acheter des douzaines et des douzaines d’autres avions Rafale. L’armée de l’air indienne est coincée. Il est impossible que ses besoins se limitent à 36 avions après avoir formé tout le personnel à voler et à entretenir les appareils.

Est-ce que les Français ne savent pas tout ça après leur expérience précédente avec les Jaguar ? Quand de nouveaux accords arriveront dans le pipeline pour acheter plus d’appareils, ou quand ces 36 avions auront besoin d’entretien et finalement de mise à niveau, alors les Français prélèveront leur dîme. Ne vous y trompez pas.

Une autre propagande est l’insinuation qu’en contrepartie, les Français qui contrôlent la société Airbus (avec les Allemands) ont l’intention de construire les Airbus en Inde. C’est de la foutaise, pour parler clair.

Je viens de voler dans l’Airbus A 380 de la Lufthansa. Ce sera au XXIIe siècle au plus tôt, le cas échéant, que l’Inde pourra espérer posséder une industrie de machines-outils et aura formé des concepteurs et des techniciens efficaces pour construire un produit aussi sophistiqué que l’Airbus A 380. Les Allemands ne nous permettront jamais non plus de nous approcher à moins d’un mile de leur prestigieux produit Airbus. C’est un porte-drapeau de la technologie allemande. Et, dans tous les cas, nous devons être assez modestes pour savoir que construire un avion, ce n’est pas la même chose que de préparer des pakoras.

Une autre histoire qui nous est servie est le spectre familier des menaces qui nous guettent – menaces de guerres provoquées par le Pakistan et la Chine – pour justifier le besoin d’acheter des avions de chasse dans des conditions prêts à l’emploi. On introduit dans nos esprits la pensée horrible que l’armée de l’air indienne devra bientôt faire la guerre.

Mais alors le ministre de la Défense Parrikar lui-même nous alerte que le premier avion Rafale n’entrera même pas en notre possession avant deux ans « Prêt à l’emploi ne signifie pas demain », a-t-il averti. En tant qu’ingénieur métallurgiste hautement qualifié formé à l’Institut indien de technologie [IIT] de Bombay, il doit savoir ce que nos conseillers en communication semblent ignorer.

Dit autrement, nous sommes amenés à croire que l’armée de l’air indienne se prépare à faire la guerre en 2018 ou un peu plus tard. Mais alors, si le Pakistan ou/et la Chine décident de nous attaquer avant 2018 – disons peu après la visite de Xi au Pakistan en avril et la visite en Chine de Modi en mai ? L’achat de Modi sera perdu ?

Pourquoi le gouvernement Modi et ceux des médias qui ne font pas leur travail correctement prennent-ils le public indien pour des imbéciles ? Tout d’abord personne n’a forcé Modi à abandonner sans arguments sérieux le rêve du Made in India. C’était, au départ, sa trouvaille à lui pour permettre aux Indiens de se sentir fiers et de rehausser le moral de leur morne existence. Mais maintenant il a remballé son rêve et l’a, de son propre chef, jeté dans la Seine durant le week-end sans avoir mis personne dans la confidence. Le réveil est brutal, on ne vend pas un rêve.

Au moins, ce gouvernement devrait nous faire une faveur – Modi et ses ministres ne devraient plus jamais oser prononcer ces quelques syllabes, Made in India. S’ils le font de nouveau, ce sera une insulte au bon sens et à l’intelligence du peuple indien. Un gouvernement inefficace est mauvais. Mais vendre des rêves au peuple est le comble du cynisme politique.

En savoir plus Rafale : le mur du çon a été franchi

 

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker Francophone

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