Pourquoi tout le monde déteste Made in China 2025


Le grand plan chinois de développement de son secteur haute technologie n’est guère apprécié à l’étranger. En voici les raisons.


Par Lorand Laskai – Le 28 mars 2018 – Source Council on Foreign Relations

Le jour même où l’administration Trump annonçait 60 milliards de dollars de taxes douanières contre la Chine la semaine dernière, le Bureau américain au commerce (USTR) publiait les résultats de son enquête, au titre de l’article 301, sur les pratiques commerciales déloyales de la Chine. Ce rapport de près de 200 pages est une mise en accusation cinglante du mépris de la Chine pour la propriété intellectuelle, sa discrimination à l’égard des entreprises étrangères et l’utilisation de politiques industrielles préférentielles pour soutenir injustement les entreprises chinoises. Il est intéressant de noter que le rapport cite une initiative du gouvernement chinois, en particulier, comme un excellent exemple du comportement flagrant de Pékin : Made in China 2025.

Made in China 2025, approuvé par le Conseil d’État chinois en 2015 est mentionné ou cité cent seize fois. En revanche, la loi chinoise sur la cybersécurité, qui a causé un sacré mal de tête à de nombreuses multinationales américaines, n’est mentionnée que treize fois. Et pour une bonne raison. Le grand projet de Pékin de moderniser sa base manufacturière a agité les gouvernements du monde entier, confirmant leur suspicion du fait que la Chine ne cherche pas tant que cela des relations commerciales « gagnant-gagnant » comme le disent si souvent ses émissaires à l’étranger. Dans la saga de la rivalité économique entre les États-Unis et la Chine, Made in China 2025 se profile comme étant le vrai méchant, la véritable menace existentielle pour le leadership technologique des États-Unis.

Qu’est-ce que Made in China 2025 ? C’est le plan de développement économique de Pékin qui vise à transformer le pays en un centre de haute technologie  dominant dans les industries de pointe comme la robotique, les technologies de l’information, l’aviation et les véhicules à énergie nouvelle. Cette ambition a un sens dans le contexte de la trajectoire de développement de la Chine : les pays visent généralement à s’éloigner des industries à forte intensité de main-d’œuvre et à gravir la chaîne de valeur ajoutée à mesure que les salaires augmentent, de peur de tomber dans ce que l’on appelle le « Middle-income trap » [le piège du revenu moyen]. Les décideurs politiques chinois ont étudié avec diligence le concept allemand « Industry 4.0 » qui montre comment des technologies avancées comme les capteurs sans fil et la robotique, lorsqu’elles sont combinées à l’Internet, peuvent générer des gains significatifs en termes de productivité, d’efficacité et de précision.

Cependant, l’intention de la Chine et de son Made in China 2025 n’est pas tant de rejoindre les rangs des économies de haute technologie comme l’Allemagne, les États-Unis, la Corée du Sud et le Japon, que de les remplacer complètement. Made in China 2025 appelle à atteindre l’« autosuffisance » par la substitution technologique tout en devenant une « superpuissance manufacturière » qui dominerait le marché mondial des industries de haute technologie les plus importantes. Cela pourrait être un problème pour les pays qui dépendent de l’exportation de produits de haute technologie ou de la chaîne d’approvisionnement mondiale pour les composants de haute technologie.

Qu’y a-t-il de mal à ce que la Chine fixe des quotas d’autosuffisance ? D’une part, de tels quotas violent les règles de l’OMC contre la substitution technologique. Made in China 2025 fixe des objectifs d’autosuffisance de 70% pour les composants de base et les matériaux de base dans des industries comme les équipements aérospatiaux et les équipements de télécommunications d’ici 2025. Cela pourrait dévaster l’économie de pays comme la Corée du Sud et l’Allemagne, où les secteurs de haute technologie constituent une part importante de la production industrielle et de leurs exportations.

Quels pays sentent le souffle de Made in China 2025 ?

Les chaînes d’approvisionnement pour les produits de haute technologie s’étendent généralement au-delà des frontières, avec des composants hautement spécialisés souvent produits dans un pays et modifiés ou assemblés ailleurs. Plutôt que de se conformer au libre marché et au commerce fondé sur des règles, la Chine a l’intention de ramener à elle l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement mondiale de haute technologie en subventionnant l’industrie nationale et des politiques industrielles mercantilistes. Des documents semi-officiels prévoient des quotas encore plus spécifiques pour les fabricants chinois. Les fonctionnaires du ministère chinois de l’Industrie et des Technologies de l’information (MIIT) insistent sur le fait que ces objectifs ne constituent pas une politique officielle, bien qu’un rapport du Mercator Institute for Chinese Studies affirme que les fonctionnaires utilisent des documents internes ou semi-officiels pour communiquer les objectifs aux entreprises chinoises afin de ne pas violer ouvertement les règles de l’OMC.

Comment Pékin acquiert les technologies de pointe pour réaliser Made in China 2025 ?  Tout aussi problématique que l’objectif « d’autosuffisance » et de devenir une « superpuissance manufacturière » est la manière dont elle prévoit de l’atteindre. Les responsables chinois savent que la Chine est à la traîne dans les secteurs critiques de haute technologie et, par conséquent, ils préconisent une stratégie visant à promouvoir les acquisitions étrangères, les accords forcés de transfert de technologie et, dans de nombreux cas, le cyberespionnage commercial pour acquérir des technologies et un savoir-faire de pointe.

Alors que l’administration Obama a passé des années à faire pression sur Pékin pour freiner le cyber-espionnage commercial, Washington et d’autres capitales ne font que commencer à s’attaquer aux répercussions des accords d’investissement et de transfert de technologie chinois. Contrairement au cyber-vol, ni l’un ni l’autre n’est illégal en soi. La montée en flèche des investissements chinois aux États-Unis et en Europe est une histoire récurrente ces dernières années. Toutefois, les législateurs s’inquiètent de plus en plus du fait que ces investissements, en particulier dans les secteurs de haute technologie, ne sont pas seulement le produit des forces du marché mais aussi guidés par Pékin.

Des preuves circonstancielles confirment cette suspicion. Les investissements chinois aux États-Unis et ailleurs, en particulier dans les secteurs de haute technologie, ont monté en flèche depuis 2015. Souvent, ces investissements témoignent d’une stratégie coordonnée plus large. Prenons l’exemple de Fujian Grand Chips, une société chinoise prétendument privée, qui a tenté d’acquérir le constructeur de machines allemand Aixtron en 2016. Peu de temps avant la prise de contrôle publique d’Aixtron, une autre société du Fujian, San’an Optoelectronics, a annulé une commande critique d’Aixtron pour des raisons douteuses, faisant chuter ses actions et offrant à Fujian Grand Chips l’occasion de les racheter. Fujian Grand Chips et San’an Optoelectronics partageaient un investisseur commun : un important fonds national de semi-conducteurs contrôlé par Pékin. L’acquisition a été bloquée par une intervention de dernière minute de représentants du gouvernement mais elle a démontré comment Pékin peut gérer elle-même l’investissement à l’étranger, souvent de manière très coordonnée.

Les accords de transfert de technologie et les pratiques commerciales restrictives en Chine posent un problème similaire. Les entreprises étrangères concluent souvent des accords de transfert de propriété intellectuelle à des partenaires chinois en échange d’un accès au marché. Ces accords peuvent être une forme d’exploitation et mettre en évidence les asymétries d’accès au marché entre la Chine et le reste du monde. Parlant des acquisitions chinoises d’entreprises allemandes, le ministre allemand de l’économie, Sigmar Gabriel, a déclaré que l’Allemagne ne devrait pas « sacrifier ses entreprises sur l’autel du marché libre »  car la Chine refuse aux entreprises allemandes l’égalité d’accès aux investissements sur le marché chinois.

Que peut-on faire de façon réaliste ? Le mot-clé dans les récentes taxes douanières de Trump contre la Chine est « réciprocité ». C’est la bonne approche. Un groupe de travail de l’Asia Society a conclu l’année dernière que les États-Unis devraient insister de toute urgence sur la réciprocité dans les relations commerciales et d’investissement entre les États-Unis et la Chine, même si cela ajoute de la tension dans les relations. Cependant, une guerre commerciale, comme le souligne Scott Kennedy, n’est pas un jeu d’enfant, et il n’est pas clair si l’administration a une idée précise de la finalité souhaitée. De plus, Trump utilise une boule de démolition alors qu’un outil plus précis aurait fourni un meilleur résultat. En plus des mesures commerciales contre la Chine, Trump a également annoncé un tarif général sur l’acier étranger, qui touche autant les alliés américains que la Chine. Même si de nombreux alliés ont obtenu des exemptions temporaires au tarif douanier, le comportement pugilistique de Trump dégoûte les bonnes volontés. Comme Matthew P. Goodman et Ely Ratner l’ont fait valoir dans Foreign Affairs, de nombreux pays partagent le désir de Trump de combattre le mercantilisme chinois de haute technologie, mais Trump divise les alliés plutôt qu’il ne les unifie pour affronter la Chine.

Au lieu de cela, l’administration devrait se concentrer sur la construction d’un consensus politique à l’intérieur et à l’étranger. Cela devrait inclure le renouvellement du Comité sur l’investissement étranger aux États-Unis (CFIUS) afin de mieux contrôler les investissements chinois dans les secteurs de haute technologie ; l’utilisation d’instances existantes comme l’OMC pour présenter des arguments contre les politiques industrielles chinoises ; et la réintégration du Partenariat Transpacifique qui fixe des normes élevées en matière de protection de la propriété intellectuelle, des normes du travail et de garanties contre la concurrence déloyale des entreprises d’État. Les investissements de bon sens dans le pays d’origine devraient également être une priorité. Investir dans l’éducation, l’infrastructure et les sciences fondamentales ne fait pas les mêmes manchettes qu’une guerre commerciale, mais fera davantage pour s’assurer que les États-Unis maintiennent leur avantage.

Lorand Laskai

Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.

 

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