Pourquoi les musulmans chinois “réprimés” ont-ils été soudainement ramenés à la lumière ?


Par Timur Fomenko – Le 24 novembre 2023 – Source RT

Au début de cette semaine, les ministres des affaires étrangères d’un groupe de pays à majorité musulmane, dont l’Arabie saoudite, la Jordanie, l’Égypte, l’Autorité nationale palestinienne et l’Indonésie, se sont rendus en Chine afin d’obtenir son soutien en faveur d’un cessez-le-feu dans la guerre contre Gaza.

Le soutien inconditionnel des États-Unis et de leurs alliés à Israël a entamé leur crédibilité dans le monde islamique, et Pékin s’est positionné en défenseur de la paix alors que d’autres n’étaient pas prêts à assumer ce rôle.

Il est curieux que dans les jours qui ont suivi, un rapport ait été publié par Human Rights Watch, accusant la Chine d’étendre sa campagne présumée de fermeture et de réaffectation des mosquées à d’autres régions que le Xinjiang – qui avait été jusqu’à présent au centre des accusations selon lesquelles Pékin sévit contre la minorité ouïgoure, majoritairement musulmane. Même ces allégations avaient été quelque peu reléguées au second plan par les médias officiels ces derniers temps, mais le rapport de HRW a été rapidement repris et amplifié.

Bien que les relations entre les États-Unis et la Chine se soient quelque peu apaisées, il est évident que Washington ne souhaite pas voir Pékin accroître son influence dans le monde musulman, car cela se ferait inévitablement au détriment de l’influence américaine. La tentative d’attirer l’attention sur la prétendue répression de la population musulmane par la Chine, tout en minimisant l’attaque dévastatrice d’Israël sur la population (également musulmane) de Gaza, est un exercice de déflexion et fait partie de la guerre narrative en cours entre la Chine et les États-Unis. Qu’il s’agisse de musulmans ou non, la question du Xinjiang est depuis longtemps un élément clé de cette lutte d’influence.

Depuis 2018, la minorité ouïghoure est un outil de “propagande d’atrocité” utilisé pour mener des offensives de relations publiques contre la Chine. C’est un moyen au service d’une fin, qui disparaît et refait souvent surface dans les médias, coïncidant avec le flux et le reflux de la rhétorique anti-Pékin provenant de l’administration américaine ou du département d’État. Il s’agit notamment de l’utiliser pour retourner l’opinion publique contre Pékin dans certains pays, y compris des pays alliés, ou pour obtenir le consentement à des politiques visant à modifier la chaîne d’approvisionnement ou à la “découpler“, en accusant le travail forcé, en particulier dans les domaines des produits agricoles clés, du polysilicone et des panneaux solaires, ou pour tenter d’embarrasser la Chine sur le plan diplomatique à l’ONU, ou pour pousser au boycott d’événements tels que les Jeux olympiques d’hiver.

Il s’agit d’une attitude incroyablement opportuniste face à ce que les détracteurs de Pékin qualifient de “génocide“. Depuis la fin de l’année 2021, l’administration Biden a largement ignoré la question et l’avait retirée de l’agenda international, précisément parce que Washington avait obtenu les sanctions qu’il souhaitait à l’époque. Toutefois, le conflit Israël-Gaza introduit une nouvelle dynamique : les États-Unis et leurs alliés perdent considérablement la face et leur crédibilité auprès des nations musulmanes parce qu’ils soutiennent inconditionnellement Israël dans son massacre de masse des Palestiniens. D’un point de vue géopolitique, une telle politique est en fait stratégiquement désastreuse car elle aliène l’ensemble du Grand Sud, sert de phare pour projeter l’hypocrisie américaine et, pire encore, renforce directement le pouvoir de la Chine en tant que concurrent.

Ainsi, lorsque vous êtes confronté à une situation dans laquelle Pékin gagne en capital diplomatique grâce à vos propres échecs, que faites-vous ? Vous tentez désespérément de détourner l’attention en essayant d’attirer l’attention sur un autre problème pour tenter de salir Pékin : Le Xinjiang et les Ouïghours. Il se trouve que les pays musulmans ignorent pour la plupart la propagande américaine sur la question du Xinjiang, parce qu’ils la voient pour ce qu’elle est et qu’ils partagent avec Pékin une norme commune de respect de la souveraineté nationale, ce qui est politiquement avantageux pour eux. La seule nation musulmane à s’être exprimée publiquement à ce sujet est la Turquie, parce que les Ouïghours sont un groupe ethnique turc et que la question est perçue à travers le prisme de l’idéologie pan-turque d’Ankara. Toutefois, le président turc Recep Tayyip Erdogan risque encore d’ignorer la question, ou de ne s’y intéresser qu’en fonction de ce qu’il peut en retirer.

D’autre part, les États du Golfe, les principaux alliés des États-Unis au Moyen-Orient, tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, soutiennent la position de la Chine, et la question de Gaza les met sous pression en ce qui concerne leurs relations avec les États-Unis et la décision de normaliser les relations avec Israël. Nous assistons donc soudain à une résurgence de la question du Xinjiang parce que les États-Unis, même s’ils ne peuvent pas influencer leurs gouvernements, veulent attiser la colère des populations musulmanes sur un autre sujet et diminuer la crédibilité de la Chine. Bien que cela soit moins probable dans les États arabes, cela pourrait provoquer des ruptures dans l’opinion publique de pays islamiques asiatiques clés tels que l’Indonésie et la Malaisie, où des organisations telles que la BBC ont consacré d’importantes ressources à la diffusion de contenus relatifs au Xinjiang dans leurs langues respectives.

Mais la question est de savoir si cette campagne sera couronnée de succès. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que le Xinjiang est une question imposée artificiellement et poussée “du haut vers le bas” par les gouvernements et les médias, alors que la Palestine est une question populaire poussée du bas vers le haut, dont les médias et les politiciens s’efforcent d’ignorer sélectivement certains aspects. La gestion musclée des Ouïghours du Xinjiang par la Chine n’est pas vraiment un génocide, et elle ne sera jamais aussi grave que les bombardements et les massacres de Palestiniens, quels que soient les efforts que l’on déploie.

Timur Fomenko

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

   Envoyer l'article en PDF