Par Ajay Kamalakaran – Le 11 juin 2015 – Source Russia Insider
Mis à part l’aspect émotionnel de la problématique et ses ressources naturelles, le chapelet des îles Kouriles est d’une valeur stratégique immense, et constitue une des principales voies d’accès à l’océan Pacifique pour la flotte russe.
Le premier ministre japonais, Shinzo Abe, a récemment invité le président russe, Vladimir Poutine, à visiter le Japon à titre officiel, séjour au cours duquel les deux pays pourront tenter de résoudre une dispute territoriale vieille de 70 ans.
La Japon et la Russie sont encore à ce jour, juridiquement parlant, en état de guerre puisque ces pays n’ont toujours pas signé un traité de paix mettant fin à la Deuxième Guerre mondiale. Le nœud du problème entre ces deux voisins du lointain Pacifique se rapporte à une chaîne d’îles située entre la presqu’île russe de Sakhaline et l’île japonaise d’Hokkaido.
Les îles sud des Kouriles, qui comprennent les îles de Iturup, Kunashir, Shikotan et l’archipel de Habomai, furent tout d’abord colonisées par le Japon au XIXe siècle. Elles furent par la suite soumises au contrôle de l’Union soviétique, lors des derniers événements concluant la Seconde Guerre mondiale, quand le Japon impérial fut chassé du sud de la presqu’île de Sakhaline.
La Japon réaffirme sa souveraineté sur ces îles, les désignant d’ailleurs par l’appellation territoires du nord. Depuis 1960, Moscou a démontré sa volonté de trouver un compromis en lui retournant les îles de Shikotan et Habomai, mais le Japon s’obstine, par ses requêtes répétées, à voir réintégrer l’ensemble des îles.
Une problématique chargée émotionnellement pour les deux pays
Quand le Japon fut chassé des îles sud des Kouriles en 1945, quelques 17 000 citoyens japonais furent contraints à s’exiler. Beaucoup d’entre eux sont encore en vie et résident à Hokkaido.
«Ce serait un suicide politique pour tout gouvernement, si Tokyo transigeait à propos des territoires du nord, précise Shigeo Tanaka, un analyste politique résidant dans la ville japonaise de Sapporo. L’association des anciens résidents des territoires du nord constitue un puissant et influent lobby politique, et jouit de beaucoup de sympathie.»
Dès qu’un pays évoque l’idée d’un transfert de territoire, il est inévitable qu’une partie de l’opinion publique s’en émeuve. En 2004, quand la Russie transféra à la Chine les îles de Tarabarov et la moitié de l’île de Bolshoi Ussuriski située sur le fleuve Amour, en guise de règlement d’une dispute territoriale, il y eut des protestations dans de nombreuses parties de l’Extrême-Est russe.
Tamara Chikova, professeure à l’université d’état de Sakhaline estime qu’ un transfert de Shikotan et de l’archipel de Habomai (une offre faite par différents gouvernements russes) déclencheraient de fortes protestations. «Le raisonnement des groupes nationalistes est que la Russie ne devrait pas retourner les territoires saisis à un pays qui était allié de l’Allemagne nazie. Est-ce que la Russie devrait rendre Kaliningrad aux allemands?», ironise-t-elle.
Tanaka affirme qu’une telle proposition serait également inacceptable pour la Japon, puisque ce dernier insiste pour que Kunashir et Iturup lui soit restitués. «Le Japon pense s’être déjà trop compromis en acceptant que la souveraineté russe s’exerce sur le sud de la presqu’île de Sakhaline, qui fait partie intégrante du Japon depuis la guerre de 1904-1905», ajoute-t-il.
Les îles de Kunashir et d’Iturup sont riches en ressources et, croit-on, regorgeraient de métaux rares. Les découvertes de gisements de gaz et de pétrole dans les eaux territoriales de Sakhaline ont aussi encouragé les compagnies énergétiques à prospecter les côtes des îles Kouriles, à la recherche de gisements. Ces dernières, avec leurs volcans, leurs forêts vierges et leurs chutes d’eaux possèdent aussi toutes deux un immense potentiel touristique.
Cependant, le gouvernement russe a réservé un accueil glacial à de telles perspectives, et a maintenu l’interdiction de son accès à tout étranger, et ce en incluant même des Russes non résidents de Sakhaline. La raison étant, selon des analystes, la valeur stratégique de première importance que constitue la presqu’île.
Durant ces dernières années, la Russie a intensifié ses activités militaires concernant ces îles. Le 8 juin, le ministre de la défense russe, Sergei Shoigu a commandé la réalisation urgente d’infrastructure
Shoigu en a aussi appelé au développement rapide d’infrastructures militaires dans l’Arctique russe. C’est là la volonté affichée de relier la Russie du centre avec la côte Pacifique via un nouvel itinéraire maritime.
Dans un article intitulé La valeur stratégique d’îles territoriales du point de vue de la sécurité nationale, la revue japonaise spécialisée traitant de thèmes insulaires affirme que l’activité militaire croissante des Russes dans les îles sud des Kouriles est objectivement une anticipation de l’ouverture prochaine d’une voie maritime nordique, un nouvel itinéraire pour les porte-conteneurs qui connecterait la mer de Kara à l’océan Pacifique. Cette route maritime longe la côte arctique russe et devrait fournir des avantages à la fois économiques et militaires à ce pays.
«Cette route maritime fait matériellement de la Russie une puissance majeure de la région asiatico-pacifiq
Les îles de Kunashir et Iturup font partie intégrante du dispositif de défense et de stratégie économique du Pacifique asiatique russe. En de telles circonstances, la seule manière de voir établi un traité de paix entre la Russie et le Japon, clôturant la deuxième guerre mondiale, passe par un compromis de la part de Tokyo.
Traduit par Geoffrey, relu par jj pour le Saker Francophone
Article original publié sur Russia Beyond the Headline