Pour l’amour de la Russie :
de Kazan à Saint-Petersbourg [2/3]

Le Saker Original

Avant-propos

Je continue ma série d'articles sur la vraie Russie.Je poste aujourd'hui un journal de voyage écrit par Kolya Malloff, dans lequel il partage magnifiquement ses sentiments sur le retour dans sa patrie. Il y a beaucoup de vraie Russie dans ce texte que je recommande fortement à tous, en particulier à ceux d'entre vous qui ne sont jamais allés en Russie, ou ont seulement vu les aspects superficiels montrés généralement par les agences de voyages touristiques.

Le Saker Original

Par Kolya Maloff – Le 8 avril 2015 – Source thesaker.is

La marche folle

Une fois les premières semaines passées et les équipes Volodine et Yakovlev m’ayant montré leurs Moscou et Ryazan respectifs, nous avons reporté notre attention sur mon envie de prendre la route et visiter quelques endroits qui m’attiraient particulièrement. J’avais Kazan, Saint-Pétersbourg et Sébastopol en ligne de mire. Yakovlev, propriétaire d’une agence de voyage florissante, nous a rapidement concocté une excursion de cinq jours. Notre marche folle.

Nous sommes partis de Ryazan, pour un trajet de trois heures en van jusqu’à Murom. Murom est une ancienne cité nommée d’après le guerrier médiéval Ilya Murometz. Il existe de nombreux contes fantastiques qui ont canonisé le personnage d’Ilya, décrivant sa puissance physique et spirituelle sans égale, qu’il a invoquée pour combattre les Mongols, ou, comme les appellent les russes, les Tartares.

J’ai appris par Yakovlev que l’un des contes les plus populaires débutait avec un Murometz infirme et ne pouvant tenir sur ses deux jambes. Il était condamné à une vie en intérieur. Lorsque les Tartares envahirent les terres, des batailles faisaient rage tout autour de sa maison. Murometz y était seul, incapable de fuir. Un guerrier russe se précipita à travers sa porte et lui demanda de lui apporter une coupe d’eau. Murometz lui annonça qu’il acceptait bien sûr de lui donner de l’eau, mais que le guerrier devrait la récupérer lui-même, car il était infirme et ne pouvait marcher. Le guerrier refusa d’entendre cette réponse et affirma à Murometz que celui-ci avait le pouvoir de se lever de par sa seule volonté. Il insistait donc pour que cela soit Ilya qui lui amène un peu d’eau. La légende veut que cet incident permette à Murometz de puiser au fond de lui-même suffisamment de force pour trouver le courage de se lever. Ilya Murometz devint un guerrier légendaire que les Russes célèbrent pour ses combats héroïques contre les envahisseurs tartares. Il sert de métaphore pour évoquer l’esprit de résilience russe.

Nous avons pris un train de nuit depuis Murom vers Kazan. Le train est l’expérience ultime pour traverser les immensités russes. Les voies sont une série d’artères sans fin, qui transportent les nutriments et l’énergie aux nombreuses villes à travers les terres. Notre voyage en train a été parsemé d’une abondance presque absurde de rires et de festivités.

En arrivant à Kazan à quatre heures du matin, nous nagions à travers les vapeurs résiduelles de notre voyage animé. Il faisait encore sombre, et Kazan était endormie. J’ai été tout de suite frappé par la merveille qu’est la blancheur scintillante de son Kremlin. Les minarets de la mosquée de Kul Sharif pointaient vers les cieux, embellis par l’accueil qu’ils faisaient à l’aube approchante. Nous n’avions rien prévu de particulier. Quelques taxis étaient tout ce que nous voyions à notre portée. Nous avons sauté dans une Lada et fait un tour d’une trentaine de minute dans les ombres du matin. L’air était précieux, vif et turbulent.

Après ce bref tour de la ville, nous nous sommes arrêtés dans le seul restaurant ouvert. Nous avons mangé quelques fallafels, sorti notre plan, réduit tout risque de mal de crâne avec quelques bières, et avons attendu le soleil. Une fois celui-ci arrivé, nous nous sommes dirigés vers l’hôtel Maxime Gorky. Nous nous sommes écroulés en entrant dans les chambres, avons mis l’alarme à onze heures du matin. C’est devenu une habitude pendant les quatre jours suivants. Notre programme s’est vite transformé en un mélange sauvage de transports, de restaurants et de balades. Nous étions menés par un rythme des plus singuliers, une sorte d’arythmie, en fait.

Kazan est une ville magnifique, avec ses merveilles architecturales, ses sites historiques, sa cuisine merveilleuse, ses prouesses athlétiques, ses richesses pétrolières et ses modes sophistiquées. La diversité culturelle y est prononcée. J’ai pris un immense plaisir à entendre les appels à la prière du muezzin alors que nous parcourions le site de l’éblouissant Kremlin blanc de Kazan. A mon sens, la Russie fait un beau travail en démontrant une coexistence pacifique et harmonieuse entre ses diverses religions.

La ville était également illuminée par mes camarades. Leur mystérieuse prédisposition à la jovialité était une bénédiction contagieuse. Chaque endroit que nous visitions s’emplissait de rires et d’anecdotes de qualité. J’en suis venu à comprendre que cette marche folle n’était en fait qu’un catalyseur pour atteindre l’expression la plus juste de ma Grande Aventure Patriotique, qui, pour faire simple, fut la sincère camaraderie et la généreuse hospitalité de mes nouveaux frères.

Après avoir fait notre terrain de jeu du centre de Kazan, nous avons continué vers l’Ouest et Saint-Pétersbourg. Nous avons quitté Kazan durant les heures précédant l’aube du jour suivant, dans l’air froid du matin. Les équipes de l’aéroport et des douanes étaient encore ensommeillées lorsque nous avons débarqué. L’endroit semblait fonctionner au rythme d’une valse tranquille que nous avons transformée en rumba endiablée. J’ai été ébahi de nous voir passer les contrôles de douanes. Le soleil essayait en vain de nous réchauffer quelque peu, mais le vent réduisait aussitôt ses efforts à néant. Nous avons embarqué dans un Antonov moderne et puissant, pour ce qui pourrait bien être le décollage le plus vertical que j’ai pu expérimenter dans un appareil civil.

J’aime la façon dont les Russes voyagent en avion. Pas de contrôles de sécurité ridicules. Pas de harcèlement stupide, mais une manière rapide et efficace d’embarquer, démarrer et décoller. Vu le peu d’entrain que l’équipage de cabine avait pour la langue anglaise, et comme ils ne souhaitaient apparemment pas nous faire perdre du temps, ils nous ont gratifié d’un numéro de marmonnements inintelligibles et pleins d’humour, rappelant les crachats d’un robinet défectueux, en lieu et place des messages de sécurité. Apparemment, j’étais le seul à bord, avec une autre femme parlant anglais, à comprendre la blague.

L’endurance est dans le sang

Le soleil nous a poursuivis à travers l’immensité russe, de Kazan à Saint-Pétersbourg. Alors que nous approchions de cette cité chargée d’histoire, elle nous est apparue couverte d’un brouillard bas et épais, illuminé par les rayons du soleil levant. Vous pouviez littéralement voir le brouillard brûler sous la lumière réfléchie par les canaux et les voies d’eau. Les rayons semblaient repousser les brumes comme deux aimants de polarité opposée. Nous nous sommes rendus au centre de Saint-Pétersbourg et avons trouvé un restaurant où manger un morceau et préparer notre plan d’attaque.

Ce jour était celui de la célébration de l’Aïd par les musulmans. Les rues étaient remplies d’une foule joviale d’Ouzbeks, de Kyrghizes, de Turkmènes, de Kazakhs, de Tadjiks et d’autres citoyens musulmans. Ce fut un rappel éloquent de l’héritage multiculturel florissant qu’a légué l’ancien empire soviétique à la Russie. Il est intéressant de noter que les personnes venues célébrer l’Aïd prenaient également le temps de visiter les sites orthodoxes russes, posant et prenant des photos à la cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé, au Palais d’Hiver, à la cathédrale de Kazan, à la cathédrale Saint-Isaac, et ainsi de suite.

Saint-Pétersbourg est souvent présentée comme la Venise du Nord. Rivale de Moscou, elle prétend à une double place dans la culture russe. C’est une cité dédiée à la volonté humaine et aux arts. Pierre le Grand a décidé de la forcer à exister. Son héritage légué à la Russie n’en a été que plus immense. Le combat héroïque pour la survie de la ville contre le siège nazi est une part immortelle de l’histoire humaine. Plus d’un million de personnes sont mortes suite aux combats et aux famines durant le blocus, le chiffre effroyable de 3,5 millions de blessés a été enregistré. Ce blocus est considéré comme celui ayant entrainé le plus de pertes durant l’histoire humaine.

Durant un match de hockey à Moscou, j’ai pu discuter d’histoire avec un ami canadien. Celui-ci m’a raconté que lors du siège de Leningrad, de nombreuses personnes ont dû faire un choix d’une cruauté inouïe. Quel enfant serait sacrifié afin que la famille puisse survivre ? Il n’y avait plus de rats, de chats, plus aucun animal de rue à manger. La ville avait été transformée en un décor d’apocalypse. La situation était si désespérée que les cadavres étaient consommés pour espérer vivre un peu plus. Il est difficile d’imaginer, bien que cela soit compréhensible, le chaos dans lequel une société captive peut sombrer après deux ans et demi sans apport de nourriture et complètement coupée de soutien extérieur. Si vous n’étiez pas prêt à sacrifier l’un de vos enfants, alors le sort de toute votre famille serait scellé, détruit par ces conditions infernales. Il est décent de se recueillir silencieusement, sans jugement d’aucune sorte, pour considérer les horreurs inimaginables qui ont pu être engendrées par une telle tragédie.

Ne sous-estimez jamais la capacité des villes russes à guérir des blessures du passé. Saint-Pétersbourg nous a gratifiés d’un soleil éblouissant, d’un vent vif et d’un air frais venu du large alors que nous titubions de paysage en paysage. Elle nous a à peine laissé le temps de contempler les marques de l’Histoire étalées tout autour de nous. Au fil des années, j’ai eu l’occasion de manger dans plusieurs restaurants nommés Raspoutine, mais en ce jour, j’ai pu manger dans la véritable maison du mystérieux et fameux moine qui avait envouté la tsarine Alexandra et sa cour, alors que le Tsar Nicolas II était sur les lignes de front de la Première Guerre mondiale. Le restaurant Raspoutine était une pièce voûtée au sous-sol, à un jet de pierre du Palais d’Hiver.

Dans ce qui me fut présenté comme un phénomène typique de Saint-Pétersbourg, le temps nous a gratifiés d’une alternance schizophrénique de moments chauds et froids, suivant notre exposition aux bourrasques le long de la Néva ou aux rayons du soleil réfléchis dans les rues abritées, les canaux et les cours intérieures.

Une fois notre marathon frénétique dans Saint-Pétersbourg achevé, nous nous sommes rendus à l’aéroport international Pulkovo. Ce fut l’occasion pour nous de comprendre que les chauffeurs de taxi sont les sources d’informations et de perspectives les plus efficaces offertes par une ville. Tout particulièrement en Russie, ou les plus vieux chauffeurs de taxis vous présentent leurs souvenirs poignants de l’ère soviétique, de simples expériences personnelles, mais qui ont tendance à synthétiser le contexte de toute une époque. Notre chauffeur de taxi nous a raconté les transformations vécues par la ville depuis les années quatre-vingt-dix. La nostalgie pour l’époque soviétique persiste, bien que personne ne semble près à le reconnaître en Occident. Nous voyons tous l’histoire à travers un point de vue fixé. Personne ne veut un retour à l’ère soviétique, mais en Russie, beaucoup de gens se souviennent des nombreuses réalisations de cette époque, qui semblent maintenant être rentrées en hibernation, ne sont plus célébrées, et sont parfois même ignorées.

Kolya Maloff

Traduit par Étienne, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone.

À suivre… Pour l’amour de la Russie : en Crimée [3/3]

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