Options russes dans le conflit du Karabakh


Par The Saker − Le 30 septembre 2020 − Source The Saker

Avec les yeux de la plupart des gens rivés sur le débat entre Trump et Biden, le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie au sujet du Haut-Karabakh (NK) a reçu relativement peu d’attention en Occident. Pourtant, c’est une situation potentiellement très dangereuse.

Pensez à ceci : les Arméniens accusent les Turcs d’avoir abattu un Su-25 arménien au-dessus de l’Arménie – pas au dessus du Nagorno-Karabakh ! Si cela est vrai, certains diront que c’est une énorme nouvelle car cela signifierait qu’un État membre de l’OTAN a commis un acte d’agression contre un membre de l’OTSC [Collective Security Treaty Organization]

Location and extent of the former Nagorno-Karabakh Autonomous Oblast (lighter color).

Cela signifie-t-il que la guerre entre deux plus grandes alliances militaires de la planète est inévitable ?

À peine.

En fait, il me semble que ni l’OTSC, ni l’OTAN n’ont beaucoup d’enthousiasme pour s’impliquer.

Prenons un peu de recul et mentionnons quelques éléments de base.

  • L’Arménie a suivi une voie anti-russe depuis la révolution de couleur soutenue par Soros en 2018.
  • L’Azerbaïdjan est clairement allié avec, et soutenu par, la Turquie – un pays actuellement dans des crises politiques, ou autres, avec à peu près tout le monde. Erdogan est clairement une planche pourrie perdante et on ne peut lui faire confiance en aucune circonstance.
  • En vertu du droit international, le Haut-Karabakh fait partie de l’Azerbaïdjan. Pour cette raison, l’Arménie ne peut pas faire appel à l’OTSC – tout comme le plaidoyer d’Erdogan pour le soutien de l’OTAN contre la Russie lorsque les Turcs ont abattu un Su-24M russe au-dessus de la Syrie a été rejeté par l’alliance.
  • Militairement parlant, l’Azerbaïdjan a l’avantage quantitatif et même qualitatif sur l’Arménie, même si cette dernière dispose d’un équipement moderne. Pourtant, comme aucune des deux parties ne dispose d’une force aérienne moderne, il n’est pas impossible que la Turquie ait envoyé des F-16 pour aider l’armée de l’air azérie, pour l’essentiel obsolète, à s’occuper des Su-25 arméniens.

Découvrez l’immense complexe de l’ambassade américaine à Erevan et demandez-vous ce que font tous ces gars toute la journée ?

On aurait pu imaginer que la Russie se rangerait immédiatement du côté de l’Arménie chrétienne contre les Azéris musulmans, mais cette fois-ci, il y a des preuves que les Russes ont – enfin ! – tiré des leçons douloureuses de l’histoire, en particulier sur les « frères putatifs orthodoxes » de la Russie. La triste vérité est que, tout comme la Biélorussie sous Loukachenko, l’Arménie suit, depuis au moins 2018, le même type de parcours politique «entre deux chaises» que la Biélorussie. Je résumerais cette politique comme ceci : «tenir un cap politique anti-russe tout en exigeant le soutien de la Russie». Les Russes n’aimaient pas plus cela en Arménie qu’en Biélorussie. Mais la grande différence est que si la Russie ne peut pas se permettre de «perdre» la Biélorussie, elle n’a pas du tout besoin de l’Arménie, en particulier d’une Arménie hostile.

Cela ne veut pas dire que la Russie devrait soutenir l’Azerbaïdjan. Pourquoi ? Eh bien, cela n’a rien à voir avec la langue ou la religion et tout à voir avec le fait que l’Azerbaïdjan moderne est un protégé politique de la Turquie d’Erdogan, ce protégé est vraiment l’un des pays et des régimes politiques les plus dangereux, que la Russie devrait approcher avec la prudence d’un charmeur de serpents face à une vipère particulièrement méchante et imprévisible. Oui, la Russie doit s’engager à la fois avec la Turquie et l’Azerbaïdjan, ne serait-ce que parce que ces deux pays sont puissants, au moins dans un sens régional, et parce qu’ils sont presque toujours prêts à faire le pire, en particulier la Turquie.

Ensuite, il y a la question du rôle des États-Unis dans tout cela. Nous pouvons être à peu près sûrs que les États-Unis parlent aux deux parties en leur disant que tant qu’ils maintiennent un cap anti-russe, ils obtiendront le soutien de l’oncle Shmuel. Il y a deux problèmes avec cette attitude :

  • Les deux parties savent que les États-Unis parlent aux deux côtés
  • Quand les choses se gâtent, le soutien des États-Unis importe vraiment très peu

Je dirais même que toute escalade majeure du conflit prouvera aux deux parties que les États-Unis sont prolixes sur les promesses et avares de les tenir réellement. En revanche, la Turquie tient ses promesses. Oui, imprudemment et, oui aussi, en violation du droit international, mais quand même – la Turquie tient ses promesses et elle n’hésite pas à le confirmer.

Tout comme dans le cas de la Biélorussie ou de l’Ukraine, la Russie pourrait mettre fin à ce conflit, surtout si le Kremlin décide d’utiliser la force militaire, mais ce serait terrible en termes politiques, et je suis convaincu que la Russie n’interviendra pas ouvertement. D’une part, cette guerre est un cas clair de jeu à somme nulle dans lequel un compromis négocié est presque impossible à atteindre.

De plus, les deux parties semblent déterminées à aller jusqu’au bout, alors pourquoi la Russie devrait-elle intervenir ?

Il semble que rester un intermédiaire neutre est la meilleure et la seule chose que la Russie devrait faire pour le moment. Une fois la poussière retombée et une fois que chaque partie se rendra pleinement compte que l’oncle Shmuel est plus fort en paroles qu’en actes, alors peut-être que la Russie pourra, une fois de plus, essayer d’offrir une solution régionale, impliquant éventuellement l’Iran et excluant les États-Unis à coup sûr. Mais cela ne pourra se faire que plus tard.

À présent les deux côtés se sont bloqués chacun dans un coin du ring et semblent également engagés vers une victoire militaire totale.

Conclusion

Dans ce conflit, la Russie n’a ni alliés, ni amis. À l’heure actuelle, les Azéris semblent gagner, mais si l’Arménie engage ses missiles Iskander ou reconnaît l’indépendance du Haut-Karabakh – ce que les Arméniens menacent maintenant de faire – cela tournera mal et une intervention turque deviendra possible.

Voyons comment – et même si – les États-Unis feront quelque chose pour aider Erevan. Sinon, il sera intéressant de voir ce qui se passera une fois que les Arméniens redécouvriront une vérité historique bien connue : l’Arménie ne peut pas survivre sans la Russie. Et même si les Arméniens arrivent aussi à cette conclusion, je recommanderais tout de même que la Russie fasse très attention en plaçant son poids derrière les deux camps du conflit, d’autant plus que les Azéris ont le droit international de leur côté.

En d’autres termes, je recommande à la Russie d’agir uniquement et exclusivement dans son propre intérêt géostratégique et de laisser toute la région découvrir à quel point l’oncle Shmuel peut vraiment apporter, ou pas, son aide. Plus précisément, j’affirme qu’il est dans l’intérêt de la sécurité nationale de la Russie de s’assurer que :

  • La Turquie reste aussi faible que possible le plus longtemps possible
  • Les USA restent aussi faibles que possible dans toute la région

À l’heure actuelle, la Pax Americana est aussi mauvaise dans le Caucase qu’elle l’est au Moyen-Orient. C’est bon pour la Russie et elle ne devrait rien faire qui puisse aider l’oncle Shmuel. Ce n’est qu’une fois que les États-Unis seront hors jeu, y compris en Arménie, que la Russie pourra offrir son aide et son soutien à un accord de paix entre les deux belligérants.

The Saker

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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