Oprah président(e), vraiment ?

« Être président, ce n'est pas animer un talk-show ou diriger un business médiatique. Le succès d'Oprah dans son domaine n'est pas plus révélateur de son potentiel à être un bon président que le succès de Trump dans l'immobilier. Vous ne pouvez pas critiquer Trump de n'avoir, ni expérience valable, ni simple compréhension de la politique publique, et dire ensuite que la solution, pour les démocrates, est juste d'agiter les mains en recherchant leur propre célébrité à promouvoir. »

- Paul Waldman, « Essayez de comprendre, les gars ! Oprah ne devrait pas se présenter à la présidence » Washington Post

2016-09-24_11h42_10Par Mike Whitney – Le 12 janvier 2018 – Source CounterPunch

Voudra, voudra pas ?

Personne n’est certain. Sa meilleure amie, Gayle King, dit qu’Oprah Winfrey n’a pas l’intention de se présenter à la présidence, mais son partenaire de longue date, Stedman Graham, n’est pas d’accord. il dit carrément : « Elle le ferait absolument. C’est au peuple de décider. »

Alors, qui a raison et qui a tort ? Et quoi de neuf avec les Golden Globes ? La réaction au discours émotif de Winfrey était-elle vraiment aussi spontanée que nous l’avons cru ou était-ce un déluge de couverture médiatique déjà en préparation ? Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, la ridicule avalanche de louanges – y compris plus de 700 articles surgissant dans les médias de masse, accompagnés d’une campagne de saturation sur les médias sociaux – sent le poisson pourri. Était-ce censé être un discours inspiré pour les fans et les sympathisants ou un lancement de produit par les chefs du Parti démocrate qui avaient besoin d’un lieu fastueux pour présenter leur future candidate à la présidentielle, Mme Talk TV elle-même, Oprah Winfrey ?

Si j’étais un joueur, je parierais que toute l’extravagance de dimanche soir, y compris l’oraison déchirante de Winfrey, était une mise en place du brouet pour les nuls. Ma conjecture est que les huiles du Parti démocrate ont cyniquement décidé que leur meilleure chance de battre Trump en 2020 est de suivre le modèle qui a fonctionné pour Barack Obama, le sénateur inexpérimenté après seulement deux ans de mandat, dans l’Illinois.

Premièrement, ils commencent avec le lancement du produit auprès d’un public cible, puis ils créent un buzz positif dans les médias et sur Internet, puis ils amplifient la taille de la « vague » de soutien (vous souvenez-vous des femmes évanouies lors des discours d’Obama ?), puis ils transportent leur candidat d’une estrade à l’autre où il assaisonne les mêmes salades défraîchies, encore et encore, devant la foule en extase.

Ah oui, autre chose : les vraies questions doivent être évitées comme la peste tandis que les promesses doivent être faites dans les termes les plus vagues, mais les plus exaltants possibles. C’était la clé du succès d’Obama et il semblerait qu’Oprah suive son exemple. Voici un bref extrait de son discours :

« J’ai interviewé et dépeint des gens qui ont résisté à certaines des choses les plus laides que la vie puisse vous infliger, mais la seule qualité qu’ils semblent partager est la capacité à maintenir l’espoir d’un lendemain meilleur – même pendant les nuits les plus sombres. »

Ahh, encore huit ans d’espoir et de changement. Qui l’aurait deviné ?

Bien sûr, Winfrey est extrêmement populaire, mais sa popularité ne se traduit pas nécessairement par un soutien politique. Jetez un coup d’œil à cet extrait d’un article du Washington Post et vous comprendrez pourquoi son chemin de la célébrité télévisuelle à la présidentielle pourrait être plus cahoteux que ce que beaucoup de gens attendent :

« Un sondage de l’Université Quinnipiac de mars 2017 a révélé que Winfrey avait une cote de popularité  favorable de 52% (et défavorable de seulement 23%). Elle était la plus populaire auprès des Démocrates (72%) et des indépendants (51%). Mais cela ne signifie pas que les sondés voulaient qu’elle jette son chapeau dans l’arène : un peu plus d’un sur cinq a dit que Winfrey devrait se présenter en 2020, et 69% ont dit qu’elle ne devrait pas. »

Cela ne signifie pas que c’est une cause perdue, cela signifie simplement que son pari présidentiel n’est pas gagné. Ça va être une montée longue et difficile avec plein de pièges et de médisances. Malgré tout, la plupart des analystes s’attendent à ce que Winfrey navigue à travers les primaires démocrates sans se fouler. Il n’y a tout simplement aucun candidat potentiel dans le parti qui pourrait rivaliser avec son charisme, sa popularité ou sa large base de fans. Mais en acceptant la nomination, et en devenant le porte-drapeau du parti, Oprah se trouvera dans une position où elle pourrait se mesurer au grand Don Trump, sur un ring où tous les coups sont permis, pour décider si le pays sera gouverné par un oligarque milliardaire flamboyant ou par une oligarque milliardaire flamboyante. Est-ce que ça pourrait être plus glauque ?

J’ai toujours pensé que les Démocrates mettraient Michelle Obama sur le ticket de 2020, après tout, pour des gens axés sur la « politique de l’identité » Michelle a tout pour plaire ; elle est noire, femme, brillante, elle a une grande renommée, une stature, de la gravité, du charisme, elle sait comment prononcer un discours captivant, elle sait se débrouiller parmi les dignitaires, et elle connaît « la musique » c’est-à-dire qu’elle sait que le président est une figure de proue insignifiante qui a très peu de pouvoir et suit un script serré écrit par ses électeurs fortunés. Michelle sait tout ce qui fait d’elle la candidate parfaite.

Mais Michelle ne voulait probablement pas du job. Et pourquoi en voudrait-elle ? Son mari vient de signer un contrat de 60 millions de dollars pour un livre, alors Michelle peut se permettre de garder les doigts de pieds en éventail et profiter de la vie. C’est pourquoi les Démocrates sont passés à la porte numéro 2 : Oprah Winfrey. Si Trump peut gagner sans expérience politique (c’est ce qu’on pense), alors pourquoi pas Winfrey ?

Pourquoi pas, en effet ? Voici comment Paul Waldman du Washington Post le résume :

« Il est vrai que les Démocrates ont sous-estimé l’importance du charisme dans la politique présidentielle. Mais la réponse à ces échecs électoraux n’est pas d’arrêter de se soucier de la substance. Il s’agit de trouver des candidats à la fois charismatiques et sérieux, capables à la fois de gagner et de faire le travail une fois qu’ils ont pris leurs fonctions… »

Bingo. Et que faudrait-il pour faire d’Oprah Winfrey une candidate « sérieuse » ?

Eh bien, elle devrait avoir une bonne compréhension des enjeux, ce qui signifie qu’elle devrait suivre un cours intensif sur la politique, les affaires mondiales, la négociation et l’économie. Elle aurait besoin d’avoir une opinion sur l’impasse nucléaire avec la Corée du Nord ; la confrontation en mer de Chine méridionale ; la guerre saoudienne et le blocus du Yémen ; l’escalade du conflit en Afghanistan ; l’occupation américaine de la Syrie orientale ; les relations avec la Turquie ; les sanctions économiques contre l’Iran ; la Russie ; le Venezuela et Cuba. Et elle devrait comprendre les problèmes intérieurs ; les coupures au niveau du plan de santé Medicaid ; les baisses d’impôt sur les sociétés ; les déficits budgétaires croissants ; les salaires stagnants ; le prix exorbitant des frais de scolarité ; les coûts incontrôlés des soins de santé ; le libre-échange ; la déréglementation ; Wall Street ; le transport ; l’application de la loi ; la sécurité nationale et l’éviscération régulière de la classe moyenne américaine. Ouf.

Le fait qu’Oprah n’a vraiment aucune compréhension de ces choses ni aucune compréhension de la façon de négocier avec le Congrès, avec le personnel d’une administration, ou de nommer des juges, me fait penser que les huiles démocrates l’utilisent simplement comme un faire-valoir pour s’installer à nouveau au pouvoir, et encore une fois, profiter du butin de la guerre.

N’est-ce pas le but réel de toute cette vague médiatique : « Oprah pour président(e) ? » Les gros bonnets du parti, et leurs sponsors en coulisse, ne recherchent-ils pas le bon véhicule pour vanter leur message et brandir leur bannière sans avoir l’intention de s’attaquer aux problèmes qui préoccupent vraiment les travailleurs ordinaires ?

Évidemment c’est ce qu’ils cherchent. Ces gens sont cyniques.

Mike Withney

Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

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