Par Dmitry Orlov – Le 29 septembre 2020 – Source Club Orlov
Au cours du siècle dernier, la guerre chimique est passée d’un moyen stratégiquement inutile mais techniquement efficace pour ruiner la santé de nombreuses personnes à un moyen politiquement puissant mais techniquement inefficace de jouer à des jeux politiques sur son utilisation présumée – mais généralement non prouvée. Et cette année, même les jeux politiques se sont transformés en quelque chose de pire qu’inutile.
Vous êtes peut-être, ou non, un grand fan de l’empoisonnement de masse mais, soyons honnêtes, la guerre chimique est définitivement tombée en désuétude. Pendant la Première Guerre mondiale, les attaques chimiques ont fait environ un demi-million de victimes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, plus d’un million de personnes ont été tuées par l’utilisation du Zyklon B. Plus tard, en 1988, les forces de Saddam Hussein ont utilisé des armes chimiques – fournies par les Américains – contre les Kurdes à Halabja, tuant jusqu’à 5 000 d’entre eux et en blessant peut-être deux fois plus. Mais depuis lors, les utilisations présumées d’armes chimiques ont été en grande partie politiques.
Un exemple en est l’attaque chimique de 2018 dans la Ghouta orientale en Syrie, qui a fait moins de cent victimes et qui était très probablement – en appliquant une norme occidentale contemporaine de preuve – une provocation occidentale contre le gouvernement syrien. En effet, le nombre de fausses attaques chimiques en Syrie est tombé à zéro immédiatement après la mort – que ce soit un meurtre ou un suicide – de James Le Mesurier, chef de la fausse organisation humanitaire dites des Casques Blancs. C’était comme si quelqu’un avait actionné un interrupteur !
Les deux derniers cas d’attaques chimiques présumées contre des individus – Sergei Skripal et sa fille Yulia à Salisbury, Wiltshire, Royaume-Uni en 2018, et contre le blogueur russe de l’opposition Sergei Navalny en 2020 – n’ont tué personne. Le lien entre les deux affaires est l’utilisation présumée d’une arme chimique russe – mais en fait soviétique – légendaire sur le champ de bataille, le Novichok, et c’est plutôt une tentative car aucune preuve n’a jamais été présentée au public. Jusqu’à preuve du contraire, il serait sage de supposer que les manigances autour du Novichok sont aussi réelles que les bouffonneries de feu Mr Le Mesurier en Syrie.
Le but de l’utilisation du Novichok est de tuer instantanément tout le monde aux alentours. Comme cela ne s’est produit dans aucun des deux cas, nous sommes obligés de nous demander si quelqu’un s’est donné la peine de trouver un moyen d’administrer le Novichok à des doses non létales, très faibles mais facilement détectables. Il est douteux que cela soit physiquement possible ; le Novichok est un gaz instable qui résulte du mélange de deux ingrédients stables amorcé par la détonation d’un obus d’artillerie ou d’un missile. Et puis il y a une autre question qui mérite réflexion : compte tenu de toutes les façons parfaitement raisonnables et fiables de tuer une personne, pourquoi diable quelqu’un se donnerait-il la peine de le faire de cette façon ? Comme aucune réponse à cette question n’est disponible, nous devrions supposer que le Novichok est de la même nature que les créatures mythiques conçues pour effrayer les petits enfants et les amener à bien se comporter.
Nous ne savons pas ce qui est arrivé à Sergei Skripal, un personnage louche, un has-been dont le sort n’intéresse personne en dehors de sa famille. On dit qu’il est vivant mais qu’il se cache quelque part. Mais le public a eu droit à une mise en scène soigneusement gérée par une apparition post-Novichok de Yulia Skripal. Et ce que nous avons vu était vraiment étonnant. Observez les photos avant-après suivantes de Yulia Skripal. Avant le traitement au Novichok, ce que nous voyons, c’est une femme triste, mal habillée et vieillissante qui s’était clairement laissée aller. Elle semble beaucoup aimer le vin et affiche un léger surpoids. Il existe de nombreuses photos similaires d’elle – devant une assiette de nourriture et tenant un verre de vin – qui indiquent une sérieuse prédilection pour la nourriture et la boisson.
Après le traitement au Novichok, nous avons maintenant une femme qui a peut-être dix ans de moins, mince, radieuse, élégamment vêtue, pleine d’esprit et manifestement beaucoup plus heureuse qu’avant et réconciliée avec elle-même et sa vie. Plus surprenant encore, sa vue s’est améliorée : sur la photo prise avant le traitement Novichok, elle porte des lunettes qui, d’après la réfraction, indiquent une myopie sévère, alors que, selon les apparences, après le traitement elle lit des notes qu’elle tient à une certaine distance des yeux mais ne porte pas de lunettes. Le seul signe qu’il lui soit arrivé quelque chose de fâcheux est la cicatrice de trachéotomie sur son cou. Il ressort clairement de tout cela que ce que Yulia Skripal a reçu des mains des médecins militaires britanniques super-secrets était une sorte de traitement thermal super chic. Je l’appellerai « le Spa Novichok ».
Le dernier incident impliquant prétendument le Novichok s’est produit assez récemment. Le mignon blogger russe et candidat de l’opposition, Alexei Navalny, est tombé malade lors d’un vol de retour à Moscou en provenance de Sibérie où, comme d’habitude, il a prétendu enquêter avec intrépidité sur de graves malversations d’une sorte ou d’une autre. L’avion a été détourné vers une ville de province où des médecins locaux lui ont sauvé la vie. Une fois son état stable, il a été transporté par avion à la clinique de la Charité en Allemagne et peu de temps après, les autorités allemandes ont déclaré qu’il avait été empoisonné par… roulement de tambour s’il vous plaît… le Novichok, bien sûr !
Notez qu’aucune des personnes autour de lui, ni dans l’avion, aucun des médecins qui l’ont soigné et personne à la Charité n’est mort foudroyé sur place comme ils l’auraient fait si du Novichok avait été déployé à proximité. Une fois de plus, on nous demande de croire que ce poison de champ de bataille peut être administré à des doses homéopathiques, non létales, mais facilement détectables. S’agit-il d’un autre exemple de Spa Novichok ? A vous de juger ; voici des photos d’Alexei avant et après. Avant le traitement, il semble en surpoids, flasque et dépressif ; après, il semble en forme, mince et tranquillement exalté. Sa femme semble également satisfaite du résultat.
Tout le monde est heureux qu’Alexei se soit rétabli, le gouvernement russe en particulier. Pour situer Alexei dans un contexte politique, imaginez un chœur de personnes portant toutes un T-shirt « Je suis avec un idiot » avec une flèche pointant vers la droite. Alexei est au milieu. A sa droite, les différentes ONG occidentales qui ont canalisé des ressources financières vers lui ; à sa gauche, ses différents sous-fifres russes locaux qui ont été payés pour manifester bruyamment grâce à ces ressources financières. Et tous les Russes regardent cette ligne de chœur et votent pour Poutine ou, s’ils ne trouvent pas Poutine suffisamment nationaliste, pour Jirinovski, le pauvre Alexei se situant autour de 1% dans la plupart des sondages d’opinion. S’il venait à mourir, il y aurait une chance que les Américains – qui avaient formé Alexei pour son rôle de leader de l’opposition russe – trouvent quelqu’un de réellement compétent cette fois-ci. Heureusement, il est bien vivant.
Quant à ce qui s’est réellement passé, nous avons maintenant quelque chose qui ressemble à une confession. Dans une conversation rapportée entre le président français Emmanuel Macron et Vladimir Poutine, ce dernier s’est aventuré avec prudence à dire que Navalny, étant un personnage si original, aurait pu s’empoisonner lui-même pour des raisons personnelles. Et puis Navalny, qui s’était alors remis, a réagi à cette nouvelle d’une manière purement freudienne : « Poutine m’a déjoué. Il n’est pas facile à duper. En conséquence, comme un idiot, j’ai passé 18 jours dans le coma, mais je n’ai pas obtenu le résultat que je voulais ». Il n’est pas le seul ; tous ceux qui ont pris le train en marche du Novichok ont l’air bien stupide maintenant.
Compte tenu de tout cela, je me risque à penser que le Spa Novichok ne sera pas particulièrement populaire à l’avenir.
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
Traduit par Hervé, relu par Wayan pour le Saker Francophone