Netanyahou pourra-t-il se repositionner stratégiquement ? Est-ce même possible ?


À quelle sphère Netanyahou penserait-il à attacher le « wagon » israélien ? Rester l’isolat occidental qui fait saillie dans un méga bloc économique et de sécurité eurasiatique consolidé, ou essayer d’aller dans le sens de l’axe russe ?


Par Alastair Crooke – Le 29 juillet 2023 – Source Al Mayadeen

crooke alastairLe « calcul froid » suggère qu’un repositionnement à l’écart des États-Unis serait judicieux. Bien entendu, il ne pourra jamais s’agir d’un pivot « propre » , car une grande partie des Israéliens sont culturellement et politiquement américains : les liens et les attaches sont entrelacés, notamment dans le monde militaire et dans celui des affaires.

Le schisme israélien actuel est dépeint comme un conflit entre la démocratie et une tentative de coup d’État judiciaire (bien qu’il s’agisse d’un gouvernement légal qui légifère grâce à sa majorité au parlement). Ce n’est que de la propagande. Il s’agit plutôt d’une lutte titanesque entre ceux qui sont attachés à la complétion de la « Terre d’Israël » avec une judéité explicite en son centre, et ceux qui veulent maintenir intact le statu quo – avec la laïcité en son centre et la poursuite d’une occupation qui est devenue assez confortable et peu menaçante pour de nombreux Israéliens. Leur mantra est le suivant : « Ne faites pas de vagues » .

« Le gouvernement de Netanyahou est extrémiste, il représente une menace pour les relations américano-israéliennes et Netanyahou est son « complice » » , suggère Biden.

D’éminentes personnalités israéliennes du camp anti-Netanyahou le disent ouvertement : « Un coup d’État militaire est en cours en Israël. C’est la stricte vérité. Dans le même temps, on tente de jouer sur les mots pour éviter de regarder la réalité en face » . Le commentateur chevronné Gideon Levy, quant à lui, voit les choses différemment :

C’est (aussi) l’histoire d’une armée qui avait un État. Un gouvernement est arrivé et a agi pour renverser les ordres du gouvernement, dans l’État de l’armée, et l’armée s’est alors soulevée pour protester contre le gouvernement. Même après la spectaculaire marche vers Jérusalem, dont on n’a jamais vu l’équivalent ici, on ne peut pas se tromper sur le caractère militariste de la protestation, qui éclipse ses fondements civils.

Dans ce contexte menaçant, pourquoi Netanyahou ne chercherait-il pas un soutien ailleurs ?

Il est invité à se rendre en Chine (probablement en octobre). La Chine a indiqué qu’elle était prête à jouer un rôle de médiateur entre « Tel Aviv » et les Palestiniens. Et la Chine a connu des succès dans ce domaine (Iran – Arabie Saoudite). Il s’agirait de sa cinquième visite en Chine.

Netanyahou a également veillé à préserver ses relations avec Moscou. « Israël » n’a pas armé l’Ukraine et, récemment, le chef du Conseil de sécurité de Netanyahou, Tzachi Hanegbi, a déclaré ouvertement qu’« Israël » n’avait pas l’intention de bombarder les installations nucléaires iraniennes. En tout état de cause, l’outil de diversion favori de Netanyahou (« l’Iran se prépare à fabriquer une bombe ») est actuellement inutilisable. Biden souhaite une « tranquillité industrielle » dans ce domaine particulier. Les États-Unis ne soutiendront aucune aventure militaire visant l’Iran pendant la période préélectorale. Et Netanyahou ne ferait qu’irriter davantage l’équipe Biden en exagérant la menace nucléaire.

Il serait difficile d’imaginer que l’invitation de la Chine à Netanyahou n’est pas étroitement coordonnée avec Moscou. Pékin serait le chef de file, mais avec l’expérience de la Russie et ses liens étroits au fil des ans avec toutes les factions palestiniennes, cela fournirait l’ingrédient clé pour étayer toute diplomatie chinoise de « grande puissance » .

Du point de vue de la Russie et de la Chine, une opportunité se présente : les relations de l’administration Netanyahou avec Washington sont exécrables ; il n’y a pas d’amour entre eux. Au contraire, les deux parties se méprisent mutuellement et les relations ne feront qu’empirer.

Netanyahou est effectivement à la tête d’un gouvernement de « colons » qui étend agressivement les colonies, contrairement aux accords formels conclus avec les États-Unis. Qui plus est, la faction des colons prévoit non seulement une expansion, mais une extension massive des colonies en Cisjordanie. Et la Cisjordanie est en ébullition.

Pour être clair, l’interdiction de l’expansion des colonies est la « ligne rouge » des États-Unis depuis 23 ans. Il existe de nombreux accords à cet égard. Il s’agit, au fond, du principal geste de l’Amérique envers les Palestiniens : arrêter le grignotage de la Cisjordanie. Washington ne peut pas se permettre de fermer les yeux parce qu’il n’y a pas d’autre processus politique offert à Ramallah.

Netanyahou évalue donc sa situation : ses relations avec l’administration Biden sont désastreuses et vont empirer ; ses relations avec le candidat Républicain sont rompues ; Netanyahou se rend probablement compte que la normalisation avec l’Arabie Saoudite ne pourra pas se faire tant que Ben-Gvir menacera de construire un « Temple » à la place de la mosquée al-Aqsa ; l’Autorité palestinienne est au bord de l’effondrement ; l’armée israélienne poursuit des tactiques de guerre dans des villes de Cisjordanie telles que Jénine ; et la ligne de son parti est la suppression des droits politiques des Palestiniens en Israël.

Mohammad ben Salmane a souligné que l’Initiative de paix arabe de Beyrouth de 2002 est le socle de la politique de la Ligue arabe. En d’autres termes, pas de « normalisation » avec « Israël » en l’absence d’un État palestinien.

Pourquoi ne pas s’inspirer du président Erdogan qui, après avoir survécu au coup d’État de 2016 contre lui, continue de jouer Moscou contre Washington ? Eh bien, Netanyahou peut essayer, mais comme le montre l’exemple d’Erdogan, vous risquez d’irriter à la fois Moscou et Washington. Et ce n’est pas une bonne chose.

Néanmoins, un repositionnement a son attrait – et c’est une logique froide. Les plaques tectoniques du Moyen-Orient se déplacent : les relations de l’Iran avec l’Arabie saoudite (et donc avec le Golfe dans son ensemble) sont en pleine métamorphose. L’Iran est un membre à part entière de l’OCS. L’OCS et les BRICS se rejoignent et, en août, lors du sommet des BRICS, de nouveaux accords commerciaux monétaires devraient être annoncés.

Le mouvement et la trajectoire de la région sont évidents. À quelle sphère Netanyahou penserait-il à attacher le « wagon » israélien ? Rester dans l’isolat occidental qui fait saillie dans un méga bloc économique et sécuritaire eurasiatique consolidé, ou essayer de suivre l’axe russe (qu’il connaît bien et avec lequel il entretient de bonnes relations) et de se placer du bon côté de l’histoire ?

Si seulement la politique était aussi rationnelle ! Si Netanyahou survit au coup d’État qui est en train d’être monté contre lui, son chemin se terminera probablement par une tragédie – parce que c’est dans sa nature. Il n’a pas d’autre choix que d’en arriver là, car il est dans sa nature de dire une chose à un interlocuteur et d’affirmer carrément le contraire à un autre ; il est dans sa nature d’être indécis, de reporter l’action et de tergiverser, jusqu’à ce que les événements finissent par devenir le révélateur qui le « défera » .

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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