Par Christian Darlot − Août 2022
Par son influence mondiale sur les pensées, les comportements et les relations sociales, le Christianisme ne concerne pas seulement les croyants mais toute l’humanité. Parmi les diverses confessions, l’Église Catholique est la plus présente dans le monde et le Pape est, de fait, le principal représentant de la Chrétienté. Puisque l’évolution des conflits dépend à présent de l’influence autant que de l’économie et des actions militaires, les déclarations du Vatican retentissent sur la politique mondiale. Ces déclarations résultent en principe de réflexions théologiques et, par fidélité à l’Évangile, tiennent un discours de paix, mais les plus récentes montrent une orientation idéologique nouvelle.
1 Une évolution étonnante
Depuis bientôt dix années, les textes publiés par le Vatican surprennent nombre de fidèles et de théologiens : les encycliques sont humanistes et écologistes plus que religieuses. Certes le souci de la sauvegarde des écosystèmes marque le respect envers la Création, mais une exhortation apostolique étonne si elle ne concerne ni la foi, ni la morale, ni la liturgie, ni l’évangélisation.
La foi chrétienne est élargie à la vénération de la Pachamama, divinité qui a quelque affinité avec la Bonne Mère, mais est bien distincte de Notre-Dame, de la Sainte Vierge, et plus encore de Marie mère de Jésus et Mère de Dieu, aspects divers de celle qui a accepté la condition humaine. Divinité à sa place dans la forêt d’Amazonie, mais dont le culte paraît incongru dans les jardins du Vatican. De même, lors d’une visite pontificale au Canada, le clergé canadien s’est trouvé associé à des rites chamaniques, preuve d’ouverture d’esprit, certes, mais cérémonie incompatible avec la foi chrétienne.
La morale est forcée de cohabiter avec une institution nouvelle liant le Vatican aux plus grandes firmes financières, celles-là mêmes dont les décisions sont imposées aux nations, bouleversent les sociétés, et entraînent indirectement la dévastation des écosystèmes. L’Académie pontificale pour la vie publie des avis sur l’avortement ou l’euthanasie suggérant des règles flottantes, troublantes pour l’esprit.
L’unité de l’Église est menacée par un nouveau revirement sur la liturgie du concile de Trente, retour à la ligne du deuxième concile du Vatican au mépris de la conciliation faite par le Pape, Benoît XVI. Valide pendant des siècles, ce rite est à nouveau abrogé en pratique, tandis que les rites orientaux sont maintenus et de nouveaux rites africains encouragés. Ce qui fut la norme devient interdit, et des fidèles ont la candeur de s’en étonner ; les desseins des clercs paraissent impénétrables.
Motivée sans doute par une volonté d’entente et d’échange, la promotion de l’œcuménisme relègue au second rang l’annonce de la Bonne Nouvelle.
La pierre angulaire du Christianisme est l’Incarnation de Dieu fait homme, préalable à la Résurrection qui a assuré la Rédemption et le triomphe sur la mort, mort de l’âme et mort du corps. La présence surnaturelle de Jésus parmi les fidèles, lorsqu’ils se réunissent en son nom, est affirmée dans l’Évangile et tous les Chrétiens l’admettent, mais au cours de la messe, catholique ou orthodoxe, Dieu est censé être présent en la personne de Jésus, et même physiquement sous la forme du pain et du vin. La présence divine n’est toutefois pas une exclusivité chrétienne, les religions savent envoyer des messagers vers l’autre monde (chamanisme) ou faire venir les divinités (adorcisme vaudou, par exemple). Les prêtres védiques célébrant des cérémonies y invitaient les dieux, qui ne manquaient pas de venir se régaler des offrandes des hommes.
La pensée que la foi et la bonté sont de meilleures voies de salut que les rituels religieux a cependant partout et toujours existé, et a inspiré maints actes charitables dans toutes les religions. Selon la pensée chrétienne traditionnelle, l’Église guide tout le peuple chrétien collectivement vers le salut, mais les fidèles se sont toujours inquiétés de leur salut personnel. Cette inquiétude a tourné à l’angoisse à partir du XIVe siècle, temps de malheur et aussi de progrès de l’instruction et de la conscience de soi. Au XVIe siècle, l’impression de la Bible en langues vivantes permit de lire les textes sans devoir recourir au truchement d’un prêtre connaissant le latin. La vérité fut cherchée dans l’Ancien Testament, mais, les méthodes de connaissance de l’Histoire étant alors à leur tout début, la lecture littérale fit chercher dans des évènements mythiques les modèles des évènements en cours, et valorisa la violence des récits guerriers, nombreux dans les livres bibliques de l’Ancien Testament. La primauté affirmée de la foi sur les œuvres bouleversa la sensibilité religieuse. Le Protestantisme a conservé l’Incarnation mais n’admet plus le sacré dans les cérémonies. Depuis lors, la foi en la présence réelle dans l’hostie distingue l’Église Catholique des Églises réformées. 1
Maintes personnes admiratives du message évangélique doutent des dogmes, et considèrent toute religion comme un chemin spirituel. Peut-être le Christianisme sera-t-il à l’avenir considéré comme une philosophie, de même que le Zoroastrisme n’est plus la religion que d’une minorité de croyants en Iran et en Inde, tout en restant une référence culturelle essentielle de la culture persane.
Mais l’avenir est imprévisible, et la vocation du clergé est de maintenir la foi et l’institution.
Or les décisions des dirigeants de l’Église catholique révèlent une importante évolution en cours. L’œcuménisme envers toutes les religions, le culte de la Grande Mère amazonienne, la participation à un rite chamanique, l’intérêt marqué pour la sexualité, l’encouragement aux migrations massives organisées, la collaboration avec la finance, la recommandation des contraintes sanitaires, prouvent une orientation mondialiste. Par despotisme, un bouleversement est imposé au Vatican, et aura des conséquences sur la culture religieuse et l’équilibre politique de l’ensemble du monde.
L’Église a toujours composé avec les puissances temporelles, qui veillent à leurs intérêts. Elle a oscillé entre l’indépendance et la soumission : au XIIe siècle, la Papauté s’émancipa des pouvoirs politiques par la réforme grégorienne, et voulut même ensuite dominer les rois ; puis, au temps de l’absolutisme, les monarchies catholiques d’Autriche, d’Espagne et de France s’arrogèrent un droit de veto sur les candidats à la papauté. Mais les puissances temporelles ne sont pas seulement les États. Comme son nom l’indique, l’Église Catholique – « universelle » – a des ramifications dans le monde entier, c’est la plus ancienne et la plus grande institution supranationale. Pour exercer son action temporelle, le Vatican, centre spirituel, procède à de nombreuses transactions financières dont les comptes ne sont pas publics. La Curie a toujours été traversée d’influences et exposée au risque de malversations, puisque l’Église n’est pas seulement une institution divine mais aussi humaine. De graves scandales financiers et sexuels étant devenus évidents, Benoît XVI tenta d’y remédier. Les circonstances de sa renonciation sont étonnantes : la société de transferts financiers Swift interrompit les transactions du Vatican quelques jours avant son annonce, et les rétablit peu de temps après. Révolution blanche et or ? Chantage à tous les étages ? Depuis cette renonciation et l’avènement du successeur, les commissions d’enquête interne du Vatican sont plongées dans un sommeil réparateur.
Comme dans toute institution, combattre les détournements et les abus de pouvoir est une lutte incessante. Mais les liens officiels avec le pouvoir financier, et la publication de textes sans rapport à la religion, sont des faits nouveaux. Les fidèles ont été récemment exhortés à subir une injection comme un acte d’amour, et le Vatican est allé jusqu’à frapper des pièces de monnaies à la gloire de la piqûre. Quelle est la compétence des clercs sur les injections d’ARN messager ? La parole du Vatican est importante pour éclairer la foi et aider à résoudre les conflits humains, mais pontifier hors de son domaine est galvauder son autorité. Est-ce à dessein ?
Depuis plusieurs décennies, des intérêts pétroliers, financiers et expansionnistes, arment des terroristes islamistes pour agresser des pays du Proche-Orient. Les troubles entraînent des « nettoyages ethniques », selon l’affreuse expression employée pour l’expulsion des Serbes de la Krajina, et, en Irak et en Syrie, presque toutes les communautés de Chrétiens d’Orient, deux fois millénaires, se sont exilées pour échapper au meurtre. Sur ce drame, le Vatican est peut-être actif discrètement, mais peu disert publiquement, et les réfugiés amenés à Rome dans l’avion papal étaient tous musulmans. Pas un chrétien. Bien sûr, toute personne dans le malheur mérite la compassion, mais la sauvegarde d’une poignée de victimes fut voulue comme un exemple, et ce choix est symbolique.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la diplomatie pontificale ne brille pas par ses efforts pour rétablir la paix, et une délégation d’épouses et de mères de soldats d’un régiment ukrainien a été reçue au Vatican, malgré l’idéologie avouée de ce régiment.
L’abandon du titre de « Pasteur universel », traditionnel pour le chef de l’Église Catholique, paraît indiquer une volonté de faciliter le dialogue entre religions, mais est-ce à dire que l’Église délaisse sa vocation d’annoncer l’Évangile à tous, dans le monde entier ? Le renoncement au titre de « Vicaire du Christ » ne réduit pas le pouvoir du Pape, mais rend moins évident le devoir de fidélité à l’enseignement du Maître ressuscité. Lubie ? Ou, peut-être, projet d’atténuer la référence au Christ et à l’Incarnation, donc aussi à la Rédemption, pour transformer le Catholicisme en doctrine humaniste et faire de l’Église une institution purement humaine, cessant d’affirmer son origine surnaturelle. Origine bien sûr incompréhensible par la raison mais affirmée par les textes.
Choix d’une orientation ou d’une Grand-Orientation ?
Paroles, écrits et actes du Vatican révèlent ainsi l’influence des mondialistes dans l’Église catholique, influence durable puisque le chef nomme lui-même les électeurs de son successeur.
Sainte Greta aussi a été fabriquée, dans un but complémentaire : brouiller le débat politique, déprécier les nations et affaiblir les États, au nom de l’urgence planétaire. En effet, au « stade financier », le capitalisme, devenu spéculateur, prédateur et non productif, a besoin de détruire toute structure sociale pour absorber les biens collectifs, se subordonner les hommes et les dominer un par un sans recours.
2 Des changements périlleux
Cette évolution continue les changements des dogmes et de la liturgie que le deuxième concile du Vatican décida il y a soixante ans, et dont l’application pratique eut pour effets de modifier radicalement la pratique religieuse et de bouleverser la relation des âmes à la foi.
La religion traditionnelle rassurait et donnait espoir. Les trois aspects de Dieu, les trois personnes de la Trinité, exprimaient des symboles complémentaires : le Père Bon Dieu, créateur, disait les règles, Jésus le Fils, frère et ami de l’humanité, montrait la voie de la vérité et de la vie, et l’Esprit, la Colombe, inspirait les pensées et conseillait pour agir. La Bonne Mère protégeait les fidèles et apparaissait de temps en temps pour les réconforter ou les mettre en garde. Les saints du paradis, que l’on espérait rejoindre dans l’autre monde, montraient des modèles humains accessibles, imitables.
À la messe, les paraboles charmaient les esprits et proposaient des règles de vie morale directement comprises ; les épîtres ennuyaient, mais comme les gens étaient polis, ils feignaient d’écouter. Le sermon était un morceau de bravoure permettant de jauger le curé. Le reste de la cérémonie était un peu inquiétant, mais on savait que c’était l’essentiel, on goûtait la tension, et le soulagement attendu venait ensuite. Les chants, en chœur ou alternés, revigoraient et apaisaient les âmes. La bonne humeur générale s’épanchait dans les bavardages après la messe, sur le parvis de l’église, troisième mi-temps propice aux échanges entre adolescents s’adressant de doux regards.
La Toussaint et la Saint Jean étaient héritées de rites antérieurs au Christianisme ; le baptême et la première communion ponctuaient la croissance des enfants, rites de passage bienvenus. Les récits de miracles étaient écoutés comme des contes, avec un peu d’espoir et beaucoup de sourires indulgents. Les Catholiques étaient marcionistes sans le savoir, mais le concile voulut les transformer en authentiques Chrétiens liés à la Bible. 2
Au cours des années soixante, maints fidèles ont eu le sentiment qu’on leur imposait de devenir protestants, puis israélites et à présent mahométans ou athées. Ils étaient d’accord pour qu’on supprime une part du cérémonial, mais voulaient garder les traditions, le décor, les belles chasubles, quelques cantiques et prières dans une langue qui ne servait qu’à cela, et un peu d’encens deux fois l’an. Ils furent consternés par le vandalisme, la liturgie gnangnante, la multiplication des textes bibliques et le blabla sociologique. Le baratin remplaça le bas latin.
Les fidèles attendent de la religion qu’elle apaise la crainte de tout ce qui dépasse notre volonté et notre entendement, dans le monde réel, dans les relations humaines et jusque dans notre esprit : cette part d’irrationnel que l’on nomme le sacré. La beauté, l’harmonie, l’action en commun, rassurent. En simplifiant à outrance la liturgie, les clercs ont privé les laïcs de la participation semainière à une œuvre d’art collective, ont brisé le lien avec la tradition, et ont rompu le contact avec le sacré. L’angoisse n’est plus apaisée. Les croyants sont privés de réconfort. Les curés conciliaires et peu conciliants ont chassé les fidèles, sans relâcher leur effort pendant six décennies. Leur persévérance a porté ses fruits : les églises sont vides, et comme deux générations sont passées, elles ne se rempliront plus. Le vivier de clercs est désormais si peu peuplé qu’on y pêche le plus petit fretin pour en faire des évêques. Ils lorgnent avec admiration vers les mosquées pleines. La France ne sera plus jamais un pays chrétien. Fait rare dans l’Histoire, pour une fois il n’y a pas eu besoin de persécution pour éradiquer une religion. Le cléricalisme a fait l’affaire. Chapeau (rouge) bas. Pourtant la quête du sacré, expulsé des églises, perdure dans le Christianisme par le succès des mouvements charismatiques, et hors du Christianisme par l’adhésion à des sectes. Et puisque les rites ne l’apprivoisent plus, le sacré revient sous son aspect terrible, et fait irruption par la pure violence immotivée.
Quelle fut l’erreur des clercs ? Être trop rationnels dans l’irrationalité ! Depuis plus d’un siècle que tout le monde va à l’école, la rationalité a progressé dans les esprits. 3 Pour la masse des fidèles de bons sens, même la Résurrection est difficile à croire, et l’espoir irrationnel était soutenu par les rites. L’usage occasionnel d’une langue liturgique participait au mystère, très relatif car les missels étaient bilingues et les fidèles connaissaient les textes des prières par cœur. Les clercs croient que l’Ancienne Alliance préfigure la Nouvelle, et, pour exprimer cette croyance, ont multiplié les lectures bibliques. 4 Dans ce cadre de croyance leur projet se comprend, et pour éclairer les âmes ils voulurent l’imposer. Mais, pour la plupart des fidèles, les récits bibliques concernent le Proche-Orient antique mais pas eux. Donner de l’importance à ces chroniques et légendes, et revenir au dieu terrible, coléreux plus qu’aimant, c’est susciter le doute. 5 Les fidèles respectent assez Dieu pour ne point croire qu’Il ait d’abord choisi un seul peuple, pour ensuite élargir le salut à toute l’humanité. On veut bien croire en Dieu et admirer Jésus, mais pas suivre les prêtres dans ces méandres controuvés.
Néanmoins, le caporalisme maladroit des clercs ne fit que précipiter une évolution en cours : l’écœurement des guerres mondiales et coloniales avait dévalorisé l’autorité, les rites militaires et civiques, et l’ensemble des symboles de la société. La télé et la voiture, les changements techniques et les transformations de la vie rurale et ouvrière, participèrent aussi au déclin du sentiment religieux. Jusqu’aux années 1970, le goût rationnel pour la technique et la science, la volonté de produire et d’améliorer les conditions de vie, maintinrent un idéal de progrès et pallièrent ces changements. Mais ensuite, les accords commerciaux non consentis par le peuple, laissant libre-cours au libre-échange, causèrent le chômage, répandirent la détresse sociale et dévalorisèrent la fierté du travail. L’idéologie concurrentielle et consumériste, promue par le capitalisme financier, sapa les normes traditionnelles. Les croyances religieuses et les idéologies politiques déclinèrent ensemble.
Dans les pays protestants, l’orientation vers les textes bibliques avait relâché depuis longtemps le lien avec le message évangélique. L’idéologie puritaine de la prospérité comme preuve de l’élection divine, devenue sécularisée, céda à l’appât du lucre. La morale fut subjuguée par l’injonction publicitaire. À partir des pays protestants, ce changement de mentalité gagna les pays catholiques dont la culture religieuse, déjà affaiblie, s’affaissa alors rapidement. C’est dans les pays anglo-saxons, fondés sur la Bible et patries de l’eugénisme, que furent inventées les lois contraires aux principes du Christianisme : union entre personnes du même sexe, avortement tardif sans urgence médicale, et gestation pour autrui. 6 Cependant, dans tous les pays, ces lois ne purent être promulguées qu’après des campagnes de presse intenses permettant à des politiciens de les imposer contre la volonté générale.
3 La religion, opium ou liberté ?
L’adaptation du Catholicisme au monde contemporain divise les clercs autant que les fidèles. Les changements imposés aux dogmes et à la liturgie par le deuxième concile du Vatican étaient en principe destinés à faire rayonner le Catholicisme sur la société du XXe siècle et à augmenter sa vitalité. Mais le résultat a été bien différent, et l’évolution en cours paraît viser sans l’avouer un tout autre but : minimiser les références au Christ, afin de transformer le Catholicisme, de religion universelle en organisation mondialiste. L’étape suivante serait de discrètement dévaloriser le dogme de la présence réelle dans l’eucharistie, préalable à l’effacement de l’Incarnation, et donc de la Résurrection, réduites à des récits merveilleux, comparables à la naissance dans la crèche, la fuite en Égypte, la tentation au désert ou la Transfiguration. Quoiqu’ils soient symboliques pour la grande majorité des humains, les dogmes sont la base même des religions. Les détruire est tout ébranler.
Adapter le Christianisme pour qu’il soutienne des règles sociales nouvelles dans les pays mis en coupe par le capitalisme financier est un projet grandiose, mais voué à échouer dès lors que la majeure partie du monde tend à s’échapper hors de cette domination. Inapplicable car inadapté à l’évolution du monde, ce projet pourrait néanmoins aggraver encore la crise morale et culturelle déjà très grave dans les pays dominés de tradition chrétienne. Selon la promesse divine, l’Église ne peut être détruite par les forces du Mal, mais selon l’expérience historique, des institutions séculaires devenues inadaptées aux changements de la société peuvent s’effondrer en très peu de temps. En 1789, la constitution coutumière du Royaume de France s’effaça en quelques semaines.
L’apostasie de l’Église catholique serait une étape décisive d’un changement de civilisation. Pour échapper à cette désacralisation, les fidèles à la tradition pourraient alors trouver refuge dans l’Orthodoxie, qui mériterait plus que jamais son nom. Façon inattendue de réparer la tunique sans couture ! En Russie, le pouvoir politique a bien compris l’effet salutaire que la spiritualité ordonnée peut avoir sur l’équilibre psychique des personnes et sur l’aptitude des peuples à l’action. Loin de vouloir désacraliser la société, il s’efforce au contraire de rétablir des rites religieux, civiques et militaires. Le Vatican et la Russie coopèrent-ils providentiellement pour le salut des âmes ? Les desseins du Seigneur sont encore plus impénétrables que ceux de l’oligarchie.
Aux siècles passés, les partisans d’une société laïque ont longtemps lutté pour séparer l’État et l’Église, à qui ils reprochaient une collusion avec les classes dominantes, ou au moins une excessive prudence envers les revendications de justice sociale. Pour les militants laïques, les religions étaient des survivances contraires à la raison, qu’il fallait combattre afin de hâter l’émancipation des esprits, mais qu’inéluctablement les progrès intellectuels, la cohérence de la description scientifique du monde, et l’accès de tous à l’instruction, éteindraient peu à peu. 7 Ils pensaient instaurer une philosophie agnostique fondée sur des connaissances scientifiques, quelque peu semblable au stoïcisme antique.
À présent, dans la plupart des pays, l’Église n’a plus guère d’influence politique ni économique, et se rapproche de l’idéal de pauvreté. Cependant elle paraît parfois préférer suivre des modes idéologiques que se référer à l’Évangile. La direction du Vatican semble moins inspirée par le message évangélique que par les mouvements qui se proclament eux-mêmes « progressistes » sans dire à quels principes ils se réfèrent pour l’affirmer, et qui s’efforcent en tous domaines de changer les règles et de modifier les croyances, bien souvent au mépris de la réalité historique, voire biologique.
Quelles que soient leurs motivations – peut-être généreuses et idéalistes – les adeptes de ce bougisme sapent les structures mentales et sociales, et secondent ainsi, volontairement ou non, l’action des puissances financières. Au contraire, les traditionnalistes veulent, par idéal religieux et moral, garder des usages qui maintiennent réellement la cohérence mentale de chaque personne et la cohésion sociale de chaque pays. Si irrationnels que les dogmes paraissent, les religiosités établies depuis longtemps ont des variantes adaptées à des tournures d’esprits diverses, pouvant soutenir l’espérance de personnes très différentes. Puisque les oligarchies visent à détruire la cohérence mentale, la cohésion sociale et l’ordre politique pour assurer leur domination, les partisans de l’évolution lente des traditions devraient être considérés comme des alliés par les partisans, même agnostiques, de la paix et d’une démocratie véritable – qui reste encore à fonder –, et par tous ceux qui veulent maintenir la structure de la société et l’équilibre des esprits, en un mot conserver la civilisation.
Certes les réflexions rationnelles et les méthodes scientifiques permettent des connaissances sûres, mais l’esprit humain ne construit pas seulement des représentations cohérentes du monde ; ce sont surtout les relations sociales, les liens affectifs, les besoins quotidiens ou l’inquiétude sur le destin, qui animent la vie de l’esprit et du corps. Vouloir rationaliser la spiritualité est une entreprise impossible et périlleuse. Opposées au cours des siècles passés, la rationalité et la spiritualité doivent plutôt être considérées comme complémentaires par tous ceux qui veulent garder l’humanité humaine.
Christian Darlot
Notes
- La présence surnaturelle mais physique du corps et du sang du Christ dans les hosties et le vin consacrés fit débat. Au XVe siècle, les Hussites y croyaient tant qu’ils demandaient pour tous la communion sous les deux espèces, revendication à la fois sacrée et égalitaire puisqu’elle supprimait le privilège du clergé de boire le vin du calice (ce privilège n’existe pas dans les Églises orientales, et son origine est pratique : ne pas risquer de renverser le vin ; exemple d’emploi d’une prescription religieuse secondaire comme marque de privilège social). Un siècle plus tard, les divers courants protestants considérèrent la présence physique réelle comme une monstruosité, semblable au cannibalisme, et récusèrent ce dogme. Pourtant les Hussites sont considérés comme précurseurs du Protestantisme. Des croyances si opposées et si détachées de la réalité tangible ne peuvent être départagées par la raison ni par l’expérience.
À présent les conflits religieux paraissent sans objet, et une question revient souvent : « Pourquoi n’étaient-ils pas tolérants ? ». Mais au XVIe siècle, tous les Européens pensaient que le Diable était à l’œuvre dans le monde ; aussi chaque parti paraissait-il diabolique à ses adversaires. Comment être tolérant si l’on pense que des suppôts du Diable peuvent jeter des sorts, et déclencher des pestes ou des famines ? Le débat ne pouvait que tourner à la violence, aggravée bien entendu par des intérêts matériels. C’est l’impasse militaire qui fit évoluer les esprits. Un parti ne pouvant l’emporter sur les autres, et tous rivalisant tour à tour d’exploits héroïques et d’atrocités abominables, les adversaires, de guerre lasse, se résignèrent à la tolérance ; mais cette notion inventée par le parti des modérés, les « politiques » pour qui la paix primait sur les conflits religieux, ne fut pas facilement imposée comme règle d’ordre public.
Poussant à l’extrême l’Augustinisme jusqu’à proclamer la prédestination, le Protestantisme calviniste rendait le sacré effrayant, définitif et inconnaissable. Il ne pouvait qu’accroître l’angoisse, et suscita en retour le puritanisme cherchant la preuve de la justification dans le labeur et son fruit, le succès temporel. La prédestination est un dogme contraire à l’esprit et à la lettre de l’Évangile, que les Protestants ont en fait abandonné, et dont l’étrangeté ne déprécie pas l’admirable constance des groupes protestants qui supportèrent la persécution dans les pays catholiques, comme y firent face, avec autant de courage, les groupes catholiques dans les pays calvinistes. ↩
- Marcion était un théologien chrétien du IIe siècle, d’origine grecque et vivant à Rome. Il avait rédigé une synthèse des quatre évangiles canoniques et animait un groupe de Chrétiens considérant le dieu d’amour de l’Évangile comme différent du dieu vengeur de la Bible mosaïque. Mais puisque Jésus lui-même inscrivait son enseignement dans la ligne des textes bibliques, l’Église considérait ces textes comme inspirés et écarta la proposition de restreindre le corpus chrétien aux textes des Évangiles et de quelques épitres. Le courant fondé par Marcion dura un siècle, et influa sur la pensée dualiste affirmant qu’un dieu bon et un mauvais se disputent le monde. ↩
- L’instruction fut répandue aux XIXe et XXe siècles et culmina au début des années 1970. Les classes d’âge éduquées pendant les années 1950-1980 furent les plus instruites de l’Histoire du monde, mais n’ont évidemment pas tout retenu, et ne sont pas pour autant plus intelligentes que les autres. Depuis, la chute du niveau de savoir et de l’aptitude à discerner la valeur des arguments s’est constamment accélérée, en même temps que la propagande par les journaux et la télévision visait à faire disparaître le bon sens. Négligence, ou volonté idéologique d’empêcher les citoyens de comprendre la marche du monde ? Maints professeurs penchent pour la deuxième interprétation. ↩
- Le Christianisme affirme que Dieu fit d’abord choix du peuple hébreu comme son peuple de prédilection et conclut avec lui une alliance, puis que Jésus-Christ sauva toute l’humanité et étendit cette alliance à tous les humains. Les livres bibliques réunissent les témoignages sur l’Ancienne alliance et les textes chrétiens, évangiles et épitres, réunissent les témoignages sur la Nouvelle alliance. Comme Testamentum signifie « témoignage » en latin, ces deux ensembles de textes sont fréquemment nommés par les Chrétiens « Ancien » et « Nouveau » Testament. ↩
- Le dieu violent est de retour, sous les aspects du dieu de l’épidémie, du dieu de la guerre, et de celui du changement climatique d’origine humaine. Ces trois-là cherchent à s’adjoindre le dieu de la famine. Mais alors que les dieux antiques faisaient agir les hommes, ce sont à présent les maîtres de la monnaie qui agitent ces dieux. Faux dieux mais violence réelle. Et pendant ce temps-là, l’agent du mondialisme au Vatican lance des blagues aux journalistes et moque les dentelles des surplis, mais transgresse les dogmes et s’efforce d’empêcher des ordinations. ↩
- Afin d’honorer Dieu seul, le Protestantisme a aboli le culte de Marie et des saints. Pourtant la doctrine traditionnelle distinguait les cultes et les hiérarchisait, en réservant l’adoration à Dieu. La figure féminine rassurante a donc disparu, ainsi que les protecteurs, tandis que la lecture assidue de la Bible a restauré l’image d’un maître rigoureux. Ces faits culturels ont façonné la culture des pays anglo-saxons, où ils ont été renforcés par une forte influence juive. En réaction, c’est dans ces pays que sont apparus les nouveaux mouvements féministe et homosexuel extrémistes, répandus à présent sur toute l’Europe par une propagande systématique tirant profit de l’affaiblissement de la tradition catholique. ↩
- Selon une légende tenace, le Christianisme aurait freiné l’évolution des sciences, mais les exemples de Bruno, Servet, Galilée ou Darwin, toujours mentionnés hors des circonstances historiques, sont exceptionnels. Jusqu’au XVIIIe siècle, presque tous les savants partageaient la foi religieuse de leurs contemporains, et la plupart étaient ecclésiastiques. Étudier le fonctionnement admirable de la création était un moyen de comprendre le dessein providentiel de Dieu. En réalité, le Christianisme a facilité les études scientifiques, dont les méthodes ne sont apparues qu’en Europe.
Les réticences au développement de quelques branches des sciences ont eu deux causes principales :
– L’attachement à la pensée antique, surtout à la cohérence de la théorie du mouvement d’Aristote, dont la faiblesse était de mal décrire les mouvements lancés, balistiques, intéressant les canonniers et, pour cette raison, étudiés attentivement par les ingénieurs militaires.
– La crainte du désordre social, crainte pouvant être jugée négativement comme une collusion avec les puissants – et les ecclésiastiques réactionnaires ou dominateurs furent en effet légions – ou positivement comme une preuve de prudence visant à éviter la discorde.Mais les connaissances scientifiques elles-mêmes n’étaient ni craintes ni refusées par les clercs ; tout au contraire, elles étaient valorisées. ↩
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