Macron veut assister au sommet des BRICS : les raisons de se montrer sceptique


Par Andrew Korybko − Le 19 juin 2023 − Source korybko.substack.com

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Il est presque certain que Macron veut utiliser cet événement pour redorer le blason de la France en Afrique ; ce serait l’intérêt de l’hexagone de retrouver une partie de son soft power, en déclin rapide depuis l’an dernier par suite des progressions rapides de la « sécurité démocratique » apportée par la Russie dans ces régions. Au sein des BRICS, la Russie est le seul pays contre lequel la France mène une guerre par procuration, si bien que les autres membres de l’organisation n’ont semble-t-il pas d’objection à le voir se présenter lors de ce sommet ; la Russie est donc le seul membre des BRICS à se montrer sceptique.

Il semble que le président français a demandé à Cyril Ramaphosa, son homologue sud-africain, s’il pourrait participer au prochain sommet des BRICS. Maria Zakharova, ministre russe des affaires étrangères, a réagi en demandant qu’il explicite formellement ses intentions ce faisant. Comme elle l’a fort bien énoncé, la Russie se pose des questions : « Nous parlons de l’organisation dont [la France] n’est absolument pas membre, en envers laquelle elle n’a fait preuve ni de la moindre politesse, ni du moindre sentiment de bonnes intentions. »

Yury Ushakov, conseiller du Kremlin, se montre moins sceptique qu’elle, et a affirmé que personne ne devrait être refusé, mais il a également préconisé que les BRICS ne devraient pas « se laisser détourner par des approches différentes, qui par essence ne correspondent pas aux intérêts des pays fondateurs. » Chose intéressante, le journal chinois Global Times a fait paraître un éditorial très optimiste au sujet de la possible participation de Macron à ce sommet, qui s’aligne avec le récent rapprochement des liens sino-français, engagé il y a deux mois lorsqu’il a visité la Chine.

Il a sur le champ relancé la rhétorique traditionnelle, se targuant d’assurer l’autonomie stratégique de l’Europe vis-à-vis des États-Unis et surtout dans l’idée de ne pas se voir contraint à se ranger du côté de Washington au sujet de Taïwan, lancée dès son retour de République Populaire de Chine. Le Financial Times a rapporté au mois de juin 2023 que Macron était opposé à l’établissement d’un bureau de liaison de l’OTAN au Japon [NdT : ce qui ne coûte pas cher, mais surtout n’empêche aucune action concrète] ; ces deux positions sont pragmatiques et très appréciées de la Chine, ce qui établit un contexte pour l’optimisme du Global Times.

Yaroslav Lissovolik, le gourou géo-économique russe et stratège visionnaire du concept des BRICS+ et des propositions d’expansion qui y sont associées, a publié une analyse semblable dans l’esprit à celle du Global Times. Sous le titre « Macron ouvre la possibilité d’un BRICS++« , il explique la manière dont le partenariat potentiel de la France avec les BRICS pourrait aider à « promouvoir le développement d’une coopération Nord-Sud », qui pourrait à son tour contribuer à réformer la globalisation dans la durée en la rendant plus bénéfique pour tous.

Les réactions d’Ushakov, du Global Times et de Lissovolik à l’intérêt manifesté par Macron envers le sommet des BRICS à venir sont raisonnables : il n’est pas insensé de lui laisser une chance de démontrer sa sincérité sur l’idée de cultiver des liens mutuels bénéfiques avec ce groupe. Mais dans le même temps, le scepticisme manifesté par Zakharova n’est pas fondé sur des hypothèses, mais bel et bien sur des faits politiques, comme elle l’a expliqué. C’est particulièrement flagrant pour ce qui concerne la guerre par procuration entre la Russie et la France menée en Afrique.

Le nouvel appel lancé par le Kremlin au continent africain, fondé sur les formidables capacités russes en matière de « Sécurité démocratique » pour aider ses partenaires à se défendre des menaces de Guerre Hybride (le plus souvent orchestrées depuis l’Occident), a provoqué l’effondrement de la « sphère d’influence » traditionnelle de la France en Afrique. Macron lui-même a dû reconnaître ce fait en déclarant que « l’âge de la Françafrique est révolu, » des propos impensables dans la bouche d’un président français il y a même un an.

Quoi qu’il en soit, plutôt que de pratiquer une adaptation responsable de cette réalité géopolitique en abandonnant enfin ses intentions hégémoniques séculaires, et en se mettant à nouer des partenariats mutuellement bénéfiques avec le continent, la France a développé un plan détaillé visant à repousser la Russie hors d’Afrique, comme l’a révélé Axios au mois d’octobre 2022. Ce plan est surtout basé sur des méthodes de guerre de l’information, mais a plus récemment adopté les dimensions d’une véritable guerre par procuration, comme le prouvent les affirmations des autorités de République Centrafricaine et maliennes, désormais partenaires de la Russie.

Celles-ci affirment que la France soutient à présent des groupes armés considérées par les gouvernements de ces pays comme terroristes, ce qui les rapproche encore davantage de Moscou, au vu de l’expertise en matière de « Sécurité démocratique » de la Russie, qui leur permet de se défendre face à ces menaces, chose considérée comme contre-productive par Paris. Et malgré cela, l’ancienne puissance colonisatrice ne fait preuve d’aucune trêve ; des signes laissent même à penser qu’elle se coordonne avec Washington pour diaboliser Wagner dans le cadre d’un plan de reprise de contrôle sur l’Afrique.

C’est ce contexte stratégique qui amène Zakharova à exprimer son scepticisme sur la demande de Macron à assister au prochain sommet des BRICS, sur la base d’éléments qu’elle appréhende mieux qu’Ushakov, que le Global Times ou que Lissovolik, au vu du poste qu’elle occupe pour la politique étrangère russe. Même si Ushakov occupe le poste de conseiller en politique étrangère de Poutine, il n’est pas forcément aussi bien informé de la guerre russo-française menée en Afrique, ce qui pourrait expliquer les divergences de leurs positions.

La forte compétition entre ces deux pays sur le continent africain est certes de nature à nourrir le scepticisme : il est difficile d’imaginer une France n’exploitant pas son implication potentielle dans les BRICS pour nourrir cette rivalité jusque dans la sphère économique. De fait, c’est peut-être exactement cela que Paris rêve de faire : tirer parti de la bonne volonté manifestée par les pays africains envers les BRICS, et réinventer en partie sa réputation de l’après-françafrique au travers d’un partenariat avec ce groupe, pour y prendre le pas sur la Russie.

Si la récente résurrection pratiquée par Macron sur la rhétorique traditionnelle française exhortant à l’autonomie stratégique de l’Europe a pu être appréciée en Chine, ainsi que son opposition à l’établissement d’un bureau de liaison de l’OTAN avec le Japon, rien de cela n’a amélioré ses liens avec la Russie. La poursuite de la guerre par procuration en Afrique le prouve, qui voit la France faire équipe avec les États-Unis face à leur rivale commune sur le théâtre de la Nouvelle Guerre Froide.

Cela étant dit, Macron compte presque certainement faire usage de sa possible participation au prochain sommet des BRICS pour redorer le blason de la France en Afrique, afin de rétablir une partie de son soft power, en déclin rapide au vu des récentes avancées de la « Sécurité démocratique » poussée par la Russie. La Russie est le seul pays des BRICS contre lequel la France mène une guerre par procuration, ce qui explique pourquoi hormis la Russie, les autres pays ne voient pas nécessairement d’inconvénient à ce qu’il prenne part à ce sommet.

Le président actuel du régime français pourrait donc bien parvenir à s’incruster chez son homologue sud-africain lors du sommet des BRICS, mais cela ne provoquerait pas de dégâts aux intérêts de la Russie, sauf s’il exploite l’opportunité pour essayer de nouer une forme de partenariat entre la France et les autres membres des BRICS, surtout si cela se centre sur l’Afrique. Si certains pays des BRICS acceptaient une telle démarche, ils prendraient le risque de nuire à leur réputation positive au sein des peuples africains, car la France y est désormais largement méprisée, et considérée comme toxique.

En fin de compte, le choix souverain leur en revient de laisser Macron ou non participer à l’événement, et ce choix est à respecter quelle que soit leur décision, mais chacun d’eux doit bien avoir à l’esprit la guerre par procuration franco-étasunienne contre la Russie en Afrique, et l’impopularité qui affecte désormais Paris au sein de nombreux peuples africains. Ces faits ne vont pas forcément les dissuader de coopérer avec la France en Afrique, mais ils feraient bien de soupeser les soupçons que cela pourra générer à Moscou, et l’impact que cela pourrait avoir sur la réputation de leurs pays en Afrique.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

Note du Saker Francophone

Tout observateur lucide, même lointain, sait que Macron est une éolienne, tout juste capable de faire du bruit et de générer de l’agitation dans toutes les directions ; dépourvu de la moindre compréhension des enjeux géopolitiques, et simplement soumis aux diktats oligarchiques de Bruxelles/Berlin et en fin de compte Washington. Le seul enjeu de la rencontre, s’il est admis à s’incruster au sommet des BRICS, est de savoir de quelle manière il va se ridiculiser, insulter ses pairs, et dégrader encore l’image de la France. Les Chinois sont simplement plus polis ou respectueux de l’étiquette que les Russes.

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