Par Dmitry Orlov – Le 26 octobre 2022 – Source Club Orlov
De plus en plus de personnes en Occident commencent à se gratter la tête en se demandant pourquoi elles devraient souffrir d’une inflation galopante, de factures d’électricité inabordables et de foules indisciplinées de migrants ukrainiens profiteurs. Les esprits les plus curieux s’interrogent sur la vitesse étonnante à laquelle le gouvernement ukrainien engloutit les vastes sommes d’argent qui lui sont envoyées sans rien en retour, alors même que les services publics de l’Ouest sont défaillants par manque de fonds, ou sur la raison pour laquelle l’ensemble de l’OTAN est rapidement dépouillé de nombreux types de systèmes d’armes, qui sont expédiés en direction de l’Ukraine et sont ensuite soit détruits, soit vendus à des tiers dans le monde entier, soit pris comme trophées par les Russes, tandis que l’inflation rend leurs remplacements inabordables.
Certaines personnes commencent à penser que tout ceci n’est qu’un stratagème pour enrichir le clan Biden et remplir les caisses de sa campagne politique afin d’éviter une défaite politique désastreuse par l’achat de votes et une fraude aux sondages tout en maintenant Hunter, le fils de Biden, approvisionné en drogues et en prostituées ukrainiennes mineures, mais ce sont évidemment des théories du complot. Rassurez-vous, tout ce que l’Occident collectif fait à l’égard de l’Ukraine, si injustement envahie par la Russie après que son dirigeant ait simplement menacé la Russie d’une frappe nucléaire lors d’une conférence internationale sur la sécurité, est parfaitement propre et conforme aux règles.
Pour bien comprendre l’Ukraine, en tant qu’état d’esprit et aussi en tant qu’État en faillite, ce qu’elle est réellement à ce stade, il est essentiel de saisir un fait essentiel : l’ensemble de sa construction est un exercice d’ironie tragique. La meilleure façon de l’expliquer est de se référer à certains termes qui n’existent que dans la langue ukrainienne. Le reste de la langue ukrainienne peut être ignoré sans risque : elle n’est utilisée que comme un signal de vertu par les ukrainiens russophones (cela ne durera pas), rien d’important n’est écrit ou publié dans cette langue, et elle fait essentiellement partie d’un continuum de dialectes russes du sud qui s’étend de Tambov et Voronezh à Lvov. De tous ces dialectes, c’est le seul à avoir été formalisé en tant que langue distincte, avec des résultats médiocres : il est faible en tant que moyen de pensée et lorsqu’il est temps d’arrêter de faire preuve de vertu et de commencer à résoudre des problèmes, les Ukrainiens se rabattent inévitablement sur le russe. Cela ajoute sans doute au sentiment d’ironie tragique qui est au cœur de l’identité ukrainienne.
Pourtant, pour répondre à certaines questions importantes, telles que « Où est notre argent ? », « Qu’est-il arrivé à toutes ces armes ? » ou « Pourquoi continuez-vous à nous mentir ? », nous devons d’abord comprendre le sens de certains mots qui n’existent qu’en ukrainien. Il n’y en a que sept, et ils forment les murs, le sol et le plafond du cachot psychique dans lequel languit la pensée ukrainienne moderne.
Maidán. Il s’agissait initialement du nom de la place centrale de Kiev – « Maidan Nezalezhnosti » ou Place de l’Indépendance – mais il a fini par désigner le renversement violent du dernier gouvernement constitutionnel de l’Ukraine, début 2014. Ce fut une victoire pour une petite faction de nationalistes extrémistes et de néonazis, pour les fonctionnaires du département d’État américain et de la CIA qui lui ont versé de l’argent, et pour les médias occidentaux qui se bouchent le nez tout en leur accordant un soutien méprisant. Maidan représente un ensemble d’idéaux : la démocratie (faire tout ce que vos curateurs occidentaux vous disent de faire), le bezviz (voyager sans visa vers l’UE pour travailler) et (ne me demandez pas pourquoi) les sous-vêtements en dentelle. Et puis il y a l’idéal le plus important de tous : la destruction complète de tout ce qui est russe, y compris la langue, la culture, la population et le pays lui-même.
Peremóha. Sa signification originale est « victoire », mais au cours de l’histoire moderne, il a fini par signifier n’importe quoi entre la victoire et la défaite, souvent simultanément les deux. Maidan a été une défaite pour la grande majorité des Ukrainiens, qui n’ont pris aucune part aux festivités violentes de la place Maidan et dont la situation s’est dégradée depuis. Mais ils n’ont pas le droit d’appeler cela une défaite, et ils l’appellent donc « victoire » à la place, en faisant un doigt d’honneur, un clin d’œil, et n’en dites pas plus ! Puisque les Ukrainiens n’ont pas de victoires à annoncer, peremoha ne peut être utilisé que de manière ironique, souvent accompagné d’un grognement et d’un roulement d’yeux. L’ukrainien a bien un mot pour « défaite » –porázka– mais il est rarement utilisé car, dans le contexte ukrainien, peremoha fonctionne parfaitement pour la victoire et la défaite. Cependant, il y a des moments où la défaite devient bien trop évidente, même pour l’ironie dramatique la plus dure et la plus industrielle, et il est alors temps de…
Zráda. Le sens littéral de ce terme est « trahison », mais il est le plus souvent utilisé comme un substitut de « défaite », car le mot « défaite » ne peut être prononcé, car cet acte lui-même serait qualifié de zrada. Les termes « peremoha » et « zrada » ne sont pas tant les deux faces d’une même pièce que les deux faces d’une balle qui roule, car à chaque fausse victoire, lorsque le faux devient trop évident, la prochaine étape naturelle est de supposer qu’elle est le résultat de la perfidie et de la trahison. A son tour, cela conduit inexorablement à une chasse aux sorcières contre les supposés traîtres. Une fois les innocents punis et les coupables récompensés, une peremoha est annoncée. Mais comme les conditions continuent de se détériorer, elle devient à son tour une zrada, et ainsi de suite à l’infini. Il serait erroné de penser qu’il s’agit d’une dialectique menant finalement à une synthèse zrada/peremoha ; les deux restent plutôt distincts dans un kaléidoscope vacillant de perception erronée qui est conçu pour déformer une réalité ukrainienne de plus en plus désastreuse.
Hanbá ! (Il est préférable de l’utiliser avec un point d’exclamation, car il est souvent crié lors des manifestations). Sa signification littérale est « honte », mais il est utilisé pour signifier que tout écart par rapport aux idéaux vantés et incontestés du Maïdan sanglant transforme inévitablement toute peremoha supposée en zrada. Avec la peremoha et la zrada, la hanba forme une triade dans laquelle l’annonce de la hanba agit comme l’événement transformateur. C’est-à-dire que c’est lorsque le cri de « Hanba ! » est prononcé en public qu’une peremoha devient une zrada.
Pokráshchennya. Son sens littéral est « amélioration », ce qui, dans le contexte ukrainien contemporain, est toujours promis mais jamais réalisé. Mais comme le dire directement serait un cas de zrada, il signifie désormais aussi son contraire : la détérioration (grognements et roulements de yeux facultatifs). Ce terme est utilisé pour caractériser toutes sortes de phénomènes ukrainiens contemporains, y compris, mais sans s’y limiter, l’état désastreux des routes, le manque d’électricité, le manque de chauffage ou d’eau dans les maisons, la baisse constante des revenus, la montée en flèche des frais et des tarifs, etc.
Poperédnyky. Ce terme signifie « prédécesseurs » et est utilisé pour expliquer l’absence de peremoha. Le manque de succès dans tous les domaines est automatiquement imputé aux administrations, régimes et autorités précédents. Parfois, dans le cas de la zrada, la recherche de boucs émissaires peut être court-circuitée en soulevant la question des poperednyky, mais cela est moins satisfaisant car dans ce cas il n’y a pas d’innocents à punir, de coupables à récompenser et de peremoha à déclarer en conséquence.
Svýdomy. Ce terme, qui signifiait à l’origine quelque chose comme « les consciencieux », est aujourd’hui un élément clé du système nationaliste ukrainien d’identification des amis ou des ennemis. Il représente l’adhésion aux idéaux de Maidan et le rejet de tout ce qui est russe. Chaque fois que quelqu’un n’est pas suffisamment svydomy, c’est automatiquement un zrada.
Moskál. Signifiant initialement « moscovite », ce terme désigne dans le langage ukrainien contemporain toute personne qui n’est pas svydomy. Pour être étiqueté comme Moskál, il n’est pas nécessaire d’être pro-russe, de détenir un passeport russe, de brandir un drapeau russe lors des manifestations ou d’avoir le portrait de Poutine sur son mur ; il suffit de chanter des chansons folkloriques russes ou de parler russe (la langue maternelle de la plupart des résidents de l’ancienne Ukraine). Un exemple particulier d’ironie dramatique a été montré récemment lorsqu’une personne dont la langue maternelle est manifestement le russe est passée à la télévision d’État ukrainienne pour déclarer, dans un ukrainien chancelant, que la langue russe devait être bannie de toutes les sphères de la vie ukrainienne. Je soupçonne que son mauvais ukrainien et son bon russe l’ont de toute façon trahi comme étant un Moskal.
Zarobitchányn. Au départ, ce terme signifiait « travailleur invité », mais il s’applique désormais à tout Ukrainien valide en âge de travailler. En effet, l’Ukraine n’a plus guère d’économie (qui permette à quiconque de gagner réellement de l’argent) et, en dehors des diverses formes de criminalité et de corruption, la seule option est de se rendre à l’étranger, que ce soit pour travailler ou pour se débrouiller. On estime qu’environ la moitié de ce contingent se trouve à l’extérieur du pays (employé ou non), tandis qu’une grande partie du reste est dans l’armée. Il existe un processus de conversion en cours par lequel un svidomy devient soit un Moskal, soit un zarobitchanyn, parfois les deux en même temps.
Si tout va bien, le dernier groupe de svidomy restant sera le président Zelensky et ses sbires. Alors une bande de Moskals les arrêtera tous, les jugera et les enfermera à vie. Ce sera une zrada pour Zelensky et ses sbires et une peremoha pour le reste d’entre nous. Et si tout va mal, toute l’Union européenne et le reste de l’Occident se transformeront progressivement en une gigantesque Ukraine.
Dmitry Orlov
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Il vient d’être réédité aux éditions Cultures & Racines.
Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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