Liz Cheney, Dick Cheney et l’État de droit


Par Binoy Kampmark − Le 24 mai 2021 − Source Oriental Review

Liz Cheney

Liz Cheney

On ne peut pas accuser la représentante américaine du Wyoming, Liz Cheney, d’avoir le sens de l’ironie. Depuis quelque temps, elle a le sentiment que son parti est l’otage d’un monstre macabre qui refuse d’être terrassé. Et elle craint que son parti n’ait perdu l’amour de l’État de droit.

En étant évincée de la troisième place de la direction du parti Républicain à la Chambre, Cheney s’est découvert de nouveaux principes moraux. Dans son discours, elle a qualifié le bobard de Donald Trump sur une élection volée de « menace que l’Amérique n’a jamais connue auparavant. » S’opposer à l’interprétation du résultat par Trump était un « devoir ». « Je ne vais pas rester assise et regarder en silence, alors que d’autres conduisent notre parti sur une voie qui abandonne l’État de droit et se joint à la croisade de l’ancien président pour saper notre démocratie. » Après son discours, elle a déclaré aux journalistes qu’elle ferait « tout » pour « s’assurer que l’ancien président ne s’approche jamais du bureau ovale ».

Le traitement apparemment minable de Cheney a conduit des journaux tels que le Washington Post à remarquer que la vérité était à nouveau attaquée. « La vérité est la question sur laquelle Cheney a pris position – la vérité et son refus de se taire pour le bien supposé de l’équipe. » Peter Wehner, qui a servi dans les administrations de Ronald Reagan et des deux Bush, a vu dans cet événement une « confirmation que le parti Républicain est malade et dangereux, de plus en plus subversif et illibéral ». Eric Lutz, dans Vanity Fair, a qualifié la prestation de Cheney de « défi », mettant à nu « la lâcheté de ses collègues qui, par leur vote mercredi, ont affirmé ce qui était clair depuis longtemps : le GOP est maintenant le culte de Trump, et la fidélité le prix de l’admission ».

Ceci est terriblement fascinant à plusieurs niveaux, étant donné que Cheney vient d’une famille plutôt crâneuse en ce qui concerne des concepts tels que l’état de droit, la véracité et la Constitution. Son père Dick Cheney, le sombre opérateur de la vice-présidence dans l’administration de George W. Bush, n’était pas précisément attaché à ces idées, et s’est révélé plutôt subversif et illibéral à bien des égards. Le vieux Dick, ainsi que son avocat David Addington et John Yoo du bureau du conseiller juridique du ministère de la Justice, ont fait beaucoup pour interpréter le pouvoir exécutif d’une manière très impériale.

Pour Dick Cheney, le pouvoir exécutif américain devait être restauré après les effets néfastes du Watergate et de la guerre du Vietnam. La période qui a suivi, a-t-il déploré devant des journalistes à bord d’Air Force Two en 2005, s’est révélée être « le nadir de la présidence moderne en termes d’autorité et de légitimité ».

Il est exact de dire que Trump a également préféré une lecture extensive du pouvoir exécutif, une lecture bien trop facilement articulée par l’ancien procureur général William Barr. Mais Cheney, Addington et Yoo étaient responsables de points de vue qui justifiaient le contournement et le détournement du Congrès, la mise sur écoute de citoyens américains, la torture de personnes soupçonnées de terrorisme, l’établissement de commissions militaires, la violation de traités internationaux et la conduite de guerres illégales. Cette conduite a suscité plus d’un commentaire demandant que Dick Cheney et le président George W. Bush soient poursuivis pour toute une série d’infractions au droit national et international.

Il serait malvenu de prétendre que le bilan entaché d’un père devrait en quelque sorte compromettre celui de sa fille. Mais l’ouvrage coécrit par le père et la fille, Exceptional : Why the World Needs a Powerful America répète les vieux péchés interventionnistes néoconservateurs qui ont tant contribué à préparer le terrain pour une victoire de Trump en 2016. Le père Dick et la fille Liz font l’apologie de désastres meurtriers comme l’Irak tout en s’en prenant au président Barack Obama qu’ils accusent implicitement de trahison. « La pierre de touche de son idéologie – que l’Amérique est à blâmer et que son pouvoir doit être limité – implique un aveuglement volontaire sur ce que l’Amérique a fait dans le monde. »

En 2009, Liz Cheney, ainsi que son collègue néoconservateur Bill Kristol, ont cofondé Keep America Safe, une organisation imprégnée d’une vision du monde étriquée qui a procédé à l’abandon de nombreux Américains. Comme l’a noté Conor Friedersdorf de The Atlantic dans un article percutant sur Liz Cheney en 2013, « la plupart des Américains comprennent que l’investissement de milliers de milliards de dollars et de milliers de vies américaines en Irak a été une gaffe historique. » Pas Liz, qui trouve les guerres profondément nécessaires.

Au fil des ans, la sénatrice Liz Cheney a à peine mérité d’être mentionnée après avoir obtenu le siège que son père occupait. En tant que numéro 3 de la direction du parti minoritaire, elle était une puissance moyenne aux attentes exagérées. Puis le président Trump est arrivé. Les néoconservateurs ont été débordés. Des feux ont été allumés, jetant la lumière sur sa cause. Cette cause, simple comme bonjour, était l’opposition à Trump, utilisant la vérité et la démocratie comme béquilles de confort polémique.

À ce jour, Liz Cheney est engagée dans la voie du martyre qui est, comme beaucoup de ces causes, futile. C’est un martyre qui a été « bien planifié », comme l’a noté le consultant politique républicain Keith Naughton dans The Hill. « Il n’y a aucun rapport indiquant qu’elle a effectivement participé au caucus du GOP, en faisant campagne et en comptant les voix. Cheney ne s’est pas défendue, elle a planifié sa défaite ». En perdant, elle espère reconstruire une base néoconservatrice qui s’est étiolée.

Binoy Kampmark

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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