Par Matt O’Brien – Le 1er mars 2015 – Source Washington Post
L’hyper-inflation est toujours et partout un phénomène politique
Elle arrive après les guerres ou les révolutions, quand les gouvernements ont à imprimer l’argent dont ils ont besoin, car il n’y a pas beaucoup à attendre de l’impôt prélevé sur une économie en faillite – ce qui nous amène à l’Ukraine. Il y a eu une révolution, il y a une guerre, et le tout est en faillite. L’inflation est officiellement de 28,5%, mais, selon l’université John Hopkins et le professeur Steve Hanke, elle serait en réalité plus au niveau de 272%. Et cela ne va qu’empirer tant que la monnaie ukrainienne chute.
Il est certain que l’Ukraine va devoir se battre pour se sortir de là. Son économie a en fait diminué depuis la chute du régime communiste en 1991. La cause est à chercher là où le communisme n’a de facto jamais vraiment pris fin [la Biélorussie ne rencontrant pas ce problème, cela ne doit pas être la cause unique, NdT]. L’Ukraine a simplement échangé des cadres du parti pour les oligarques [le problème serait-il plutôt là? NdT]. Bien sûr, certaines entreprises ont été privatisées et la notion de marché a été introduite, mais l’Ukraine n’a pas encore surmonté son époque soviétique, sa corruption et son inefficacité. Il n’existe que peu de règles de droit, les revenus de l’impôt sont détournés pour faire place à la méthode du clin-d’œil ou du hochement de tête, dont le résultat est selon le FMI une évasion fiscale considérable et une économie souterraine qui représente 50% du PIB.
Maintenant, la guerre, pas si froide, de l’Ukraine avec la Russie est en train de détruire le peu qui reste. Ce n’est pas seulement que l’Ukraine a perdu les usines, devant les abandonner aux rebelles [Armée populaire du Donbass, NdT] à l’est, qui constituaient un quart de sa capacité industrielle. C’est qu’elle ne peut pas se permettre de lutter dans une guerre contre son plus grand partenaire commercial, la Russie. La seule façon pour l’Ukraine de payer ses factures est de puiser dans ses réserves. Mais celles-ci ont diminué à $6.42 milliards de dollars, à peine assez pour un mois d’importations ( trois mois est le minimum acceptable). Donc, l’Ukraine a fait ce que tous les pays font quand ils sont à court d’argent: aller au FMI. On a annoncé un investissement de 17,5 milliards dans un plan de sauvetage en échange de réformes difficiles, notamment en réduisant les subventions sur l’énergie pour les ménages. Mais même cela ne suffira pas pour empêcher l’Ukraine de faire défaut sur sa dette ou, dit plus poliment, la restructuration de ses obligations. Celles-ci ont déjà chuté à 50 cents pour un dollar, en prévision de leur non-paiement à venir.
La devise ukrainienne s’écroule
En bref, l’Ukraine n’a plus de devises étrangères et n’a pas la possibilité d’en trouver ailleurs. Cela signifie qu’il ne reste plus rien pour étayer la valeur de sa monnaie, la hryvnia, qui est passée de 8 UAH pour un dollar avant le début de la guerre à 16 UAH en janvier 2015. L’Ukraine n’a plus les moyens de soutenir sa monnaie, et ceci pour très longtemps. Quand ils ont admis tardivement cet état de fait, la hryvnia s’est enfoncée encore plus. Puis elle s’est effondrée de nouveau après la signature du dernier accord de paix. Qu’est ce que la Banque centrale d’Ukraine a fait pour sauver la situation? Tout a déjà été fait: des contrôles de capitaux encore plus stricts, l’interdiction du trading sur les devises, pour ensuite le réintroduire, avant de commencer à intervenir directement elle-même sur le marché. Cela a fonctionné, un peu. La hryvnia a rebondi de 33,5 à maintenant 27,2 UAH par dollar. Mais, comme vous pouvez le voir ci-dessus, on est toujours à 70% de chute depuis le début de l’année 2014. [en fait c’est 70% depuis le début de 2015 et 200% depuis début de 2014, NdT]
Lorsqu’une monnaie est en train de mourir comme ça, il est difficile de faire des statistiques d’inflation. Mais, comme Hanke l’explique, on peut utiliser le taux de change pour comprendre combien les prix sont vraiment à la hausse. Il existe différentes façons de calculer, mais la plus intuitive est qu’une monnaie qui perd sa valeur entraîne une augmentation des prix à l’importation, ce qui a aussi des effets sur le reste de l’économie. En tous les cas, cela nous dit que l’inflation annuelle en Ukraine est déjà de 272% et, pire encore, prend de la vitesse. En effet, son rapport mensuel sur le taux d’inflation est de 64,5%, ce qui se traduit par 39 000% d’inflation sur un an, plus que suffisant pour le qualifier d’ hyperinflation.
La bonne nouvelle, si c’en est une, est que l’argent du FMI devrait stabiliser l’Ukraine, sa monnaie, et avec elle, son inflation. Les moins bonnes nouvelles, cependant, sont que même avec cet argent, l’Ukraine devra encore vivre avec beaucoup d’austérité. Et la mauvaise nouvelle, c’est qu’il faut vraiment augmenter les taux, qui ont tendance à amoindrir la croissance et à favoriser l’inflation, et qui sont déjà élevés. (Des taux plus élevés devraient aussi signifier un hryvnia plus forte, mais cela peut ne pas être le cas, comme Paul Krugman l’explique, si ceux-ci nuisent à l’économie, les dettes en monnaie étrangère seront plus difficiles à rembourser.) Tout ce qui permettrait à l’Ukraine de sauver sa monnaie aurait, en d’autres termes, un impact pire sur son économie. Mais il ne peut pas y avoir une bonne économie, à terme, si la chute de la monnaie continue en roue libre. Donc, dans le meilleur scénario, l’Ukraine va encore beaucoup souffrir.
Il n’y a pas de bons choix lorsque vous êtes en faillite.
Matt O’Brien
Matt O’Brien est reporter pour Wonkblog en charge des affaires économiques. Il était précédemment senior associate editor à The Atlantic.
Traduit par Toma, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone