L’explosion au Liban a été retardée…jusqu’à quand ?


Par Elijah J. Magnier − Le 27 novembre 2019 − Source ejmagnier.com

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L’Europe est préoccupée par la crise politique libanaise et ses débordements potentielles en cas d’affrontement civil. Même si, au Liban, les États européens n’ont pas d’objectifs stratégiques différents de ceux des États-Unis, une guerre civile affectera davantage l’Europe, car les réfugiés afflueront sur le continent voisin.

Il est difficile de parvenir à un accord sur un nouveau gouvernement afin d’empêcher d’autres troubles. Des sources à Beyrouth estiment que la formation d’un nouveau gouvernement peut prendre plusieurs mois, comme ce fut le cas lors de la formation du dernier. Certains se demandent s’il ne serait pas préférable d’attendre les résultats des élections américaines avant de former un nouveau gouvernement. Ou peut-être que celui-ci émergera seulement après un événement majeur pour la sécurité, comme l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, qui avait déclenché un tsunami politique dans le pays. Sur le terrain, tout indique la perspective d’une confrontation civile en l’absence d’un gouvernement central robuste pouvant prendre en main la sécurité du pays. Le Liban peut-il éviter une confrontation civile ?

La fermeture des principales routes, l’incompétence et l’inaction délibérées des forces de sécurité – du fait de la demande des États-Unis de tolérer la fermeture de l’axe principal reliant le Liban à la capitale – ne constituent plus un comportement surprenant.

Les principales routes actuellement fermées ont été soigneusement sélectionnées : les routes reliant le sud du Liban à Beyrouth et reliant Baalbek et la route de Damas à la capitale Beyrouth. Ces zones sont principalement habitées par les chiites qui utilisent ces routes. Celles-ci sont bloquées principalement dans certaines zones confessionnelles contrôlées par des partisans sunnites du Premier ministre par intérim, lui-même sunnite,  Saad Hariri et son allié Druze Walid Joumblat. La fermeture d’autres routes dans le Dbayeh, à domination chrétienne, par le leader chrétien pro-américain Samir Geagea, dirigeant des «Forces libanaises», et à Tripoli ,semble être une sorte de détournement d’attention de l’objectif principal : défier le Hezbollah.

Des sources à Beyrouth estiment que l’objectif est d’exaspérer les chiites qui représentent la partie de la société qui protège le Hezbollah. L’objectif est de pousser l’organisation dans les rues. Le Hezbollah en est conscient et tente d’éviter de réagir aux provocations. La fermeture de ces routes est une invitation au Hezbollah pour qu’il prenne la situation en main et dirige ses armes contre d’autres citoyens libanais, comme ce fut le cas le 5 mars 2008.

En 2008, le ministre Druze Marwan Hamadé – dirigé par Walid Joumblat – et le Premier ministre pro-américain Fouad Sinioura ont demandé au Hezbollah de couper son système de communication privé à fibre optique reliant tous les coins du pays. Israël n’a jamais cessé de surveiller le réseau câblé du Hezbollah qui, en raison de son système de haute sécurité et de son contrôle régulier, avait réussi à neutraliser tous les appareils d’enregistrement israéliens installés par les forces spéciales israéliennes lors de leur infiltration au Liban dans ce but précis. Le gouvernement libanais s’est efforcé en mars 2008 de couper le câble afin de briser le système de haute sécurité du Hezbollah, qui est la clé de voûte de son commandement et de son contrôle en temps de paix, et surtout en temps de guerre. Cette tentative insistante – malgré des avertissements répétés – a provoqué deux jours plus tard une démonstration de force de la part du Hezbollah occupant toute la capitale en quelques heures sans faire de victimes sérieuses. Les mercenaires libanais armés, pro-américains, qui se sont rassemblés et se sont cachés à Beyrouth pour déclencher une guerre civile ce jour-là, anticipant une éventuelle réaction du Hezbollah, ont été neutralisés en un rien de temps, en dépit des centaines de millions de dollars dépensés pour se préparer à une guerre contre le Hezbollah dans les rues de Beyrouth.

Aujourd’hui, l’objectif est de voir le Hezbollah contrôler les rues et armer les Syriens et les Libanais antigouvernementaux. L’objectif est de porter la question du Liban aux Nations Unies afin de justifier une intervention étrangère. Le but n’est pas de voir le Hezbollah vaincu dans les premiers affrontements ; la puissance de feu, l’entraînement et l’organisation militaire du Hezbollah ne peuvent être vaincus par des mercenaires et des locaux enthousiastes. L’objectif est de priver le Hezbollah de sa légitimité et de lui faire payer un lourd tribut pour ses victoires impardonnables en Syrie, en Irak et pour son soutien aux Palestiniens et aux Yéménites.

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Les problèmes financiers du Liban ne sont pas essentiels. Dans un témoignage au Congrès américain, l’ancien sous-secrétaire d’État américain et ambassadeur au Royaume-Uni, Jeffery Feltman, a déclaré que « la totalité de la dette extérieure du Liban (environ 35 milliards de dollars) est en phase avec les estimations de ce que l’Arabie saoudite dépense chaque année dans sa guerre au Yémen (entre 25 et 40 milliards de dollars). « 

L’aide financière régionale et internationale au Liban sera injectée dans un seul but : déclencher une guerre civile dans l’espoir de vaincre le Hezbollah à long terme. Cela pourrait également sauver Israël d’une grave crise politique en provoquant une guerre contre le Liban plutôt qu’une guerre interne entre Israéliens, comme cela semble possible après deux tentatives infructueuses de formation d’un gouvernement.

La plupart des Libanais sont conscients de la situation délicate et critique dans laquelle se trouve le pays. La plupart craignent une guerre civile, en particulier à cause du comportement de l’armée libanaise et d’autres forces de sécurité qui restent inactives et refusent de garder toutes les routes ouvertes. Ces actions des forces de sécurité contribuent grandement à la possibilité d’un conflit interne.

Des manifestants sincères, qui n’ont qu’un agenda national, ont réussi à faire des miracles en franchissant toutes les frontières confessionnelles et en arborant une seule bannière : mettre fin à la corruption et à la pauvreté qui y est associée et restituer au Liban les capitaux volés. Les manifestants demandent au système judiciaire d’assumer ses responsabilités et au pays de se diriger vers un gouvernement laïc. Mais des éléments sectaires et les interventions étrangères parviennent à détourner l’attention des véritables revendications nationales qui accablent les Libanais depuis des décennies.

L’intervention étrangère ne s’appuie pas sur les demandes justifiées des manifestants dans leur confrontation avec le Hezbollah. Il s’appuie sur des Libanais sectaires qui souhaitent contribuer à la chute du Hezbollah de l’intérieur. Cela n’est pas surprenant, car le Liban est une plateforme où les États-Unis, l’Union européenne et l’Arabie saoudite sont fortement présents et actifs contre l’Axe de la résistance dirigé par l’Iran. Dans son dernier discours, le commandant du Corps des gardes de la révolution iranien (CGRI), Hussein Salame, a averti que ces pays risquaient de «franchir la ligne».

Depuis la «révolution islamique» de 1979, l’Iran n’a pas engagé de guerre militaire ou préventive chez ses voisins, mais a limité son action à sa propre défense et à la construction de son «Axe de la résistance». Récemment, l’Iran a proposé – en vain – un HOPE (Hormuz Peace Endeavour) à ses voisins, cherchant à s’engager pour la sécurité du Moyen-Orient indépendamment de toute intervention américaine.

L’Iran a vaincu la communauté internationale lorsqu’il a aidé à empêcher la chute du gouvernement à Damas, après des années de guerre. Il a efficacement soutenu le Hezbollah et les Palestiniens contre Israël, allié favori des États-Unis. L’Iran se tenait à côté de l’Irak en empêchant un gouvernement hostile de prendre le pouvoir ; l’Iran a également soutenu la défense du Yémen contre la guerre inutile et destructrice menée par l’Arabie saoudite. Les ennemis de l’Iran sont nombreux et n’ont pas baissé les bras. Ils ont essayé sans succès d’atteindre leurs objectifs en 2006 au Liban, en 2011 en Syrie, en 2014 en Irak et en 2015 au Yémen. Aujourd’hui, une nouvelle approche est mise en œuvre pour vaincre les alliés de l’Iran : la militarisation des troubles intérieurs, motivés par des demandes légitimes de réforme anticorruption, au prix de l’incendie de pays entiers, à savoir le Liban et l’Irak.

Les manifestants ont échoué à proposer un plan réaliste et le Premier ministre par intérim, Hariri, tente d’agir au-delà de son poids parlementaire en cherchant à éliminer les opposants politiques qui contrôlent plus de la moitié du parlement. Le Liban est arrivé à un carrefour où l’échange de tirs n’est plus exclu. Le conflit a déjà pris son tribut en vies humaines. Le Liban semble se diriger vers l’autodestruction.

Elijah J. Magnier

Traduit par jj, relu par Camille pour le Saker Francophone

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