Par Moon of Alabama – Le 21 avril 2020
Certaines entreprises s’étaient engagées à acheter une grande quantité de pétrole brut West Texas Intermediate à un certain prix. Le prix proposé par les vendeurs semblait bon marché au moment de la signature des contrats. La date de règlement des contrats était le 21 avril.
Habituellement, ces contrats sont réglés avec de l’argent, mais cette fois les vendeurs ont insisté pour livrer physiquement le pétrole aux acheteurs.
Cela a posé un problème. Les acheteurs n’avaient pas la capacité de stockage nécessaire pour accepter le pétrole acheté il y a plusieurs mois. Ils doivent maintenant en recevoir une grande quantité qu’ils ne peuvent mettre nulle part.
La seule solution est de le vendre immédiatement à quelqu’un d’autre. Mais personne n’est intéressé. Tous ont déjà rempli leur capacité de stockage jusqu’à ras bord. Les sociétés qui avaient l’obligation d’accepter le pétrole des producteurs ont alors proposé de payer d’autres personnes pour le prendre en charge.
Lorsque le prix a commencé à être négatif, j’ai proposé un endroit de stockage supplémentaire :
Moon of Alabama @MoonofA - 18:09 UTC - Apr 20, 2020 Si vous me donnez 50 dollars, je vous laisse faire le plein de ma voiture. Tweet cité Bloomberg @business - 17:51 UTC - avr 20, 2020 URGENT : Le pétrole passe en dessous de 1 dollar le baril https://trib.al/l9YLU35
Proposer de prendre le pétrole pour 50$ était un peu trop gourmand. Le contrat d’option du WTI a clôturé à -37 dollars.
Pour la première fois de mémoire d'homme, les contrats à terme sur le pétrole West Texas Intermediate (WTI) se sont négociés en territoire négatif au New York Mercantile Exchange (Nymex), lundi, et le brut américain pour livraison en mai a perdu 55,90 $ au cours de la journée de négociation pour clôturer à -37,63 $/b. Un initié a déclaré que cette chute drastique était en partie le résultat de la liquidation forcée d'une position sur le marché à terme "à n’importe quel prix". Le contrat expirait le 21 avril. Le contrat pour mai a connu un intérêt exceptionnellement élevé, à 109.000 contrats au début de la négociation de lundi. Mais fondamentalement, ce prix reflète des cargaisons de brut en très grande détresse qui sont bloquées par des raffineries qui réduisent leur production car elles ne peuvent pas vendre leurs produits sur un marché où la demande s'est effondrée parce que les consommateurs restent chez eux pour empêcher la propagation de la pandémie de Covid-19. Ce prix négatif élevé "signifie que le stockage est plein", a déclaré Albert Helmig, PDG de la société de conseil Grey House et ancien vice-président du Nymex. Cushing est le point de livraison et de fixation des prix des contrats à terme sur le pétrole américain et a une capacité opérationnelle de quelque 70 millions de barils de pétrole. Il contenait 55 millions de barils la semaine dernière.
Plusieurs grands pays consommateurs sont en état d’urgence sanitaire. Le trafic aérien mondial a diminué de plus de 80 %. La demande d’essence ou d’autres produits raffinés est faible.
Le point de référence du WTI, qui reflète le prix dans la ville enclavée de Cushing, en Oklahoma, n’était pas le seul indice commercial en difficulté. Le pétrole West Canadian Select s’est également négocié en territoire négatif. Les contrats pour les livraisons WTI en juin étaient toujours positifs à 20 $/baril, tout comme les contrats pour le pétrole Brent (25 $/bl) qui reflètent les livraisons en mer.
Les producteurs américains de pétrole de schiste ont déjà réduit une partie de leur production, mais ils devront en réduire beaucoup plus. Le nombre de plates-formes pétrolières et gazières américaines en activité, selon Baker Hughes, est passé de plus de 1 000 l’année dernière à 529 vendredi. Je m’attends à ce qu’il tombe en dessous de 100 dans les prochaines semaines.
Il faudra arrêter les forages car les raffineries ne peuvent tout simplement pas vendre leurs produits :
Le naufrage de Cushing est le résultat de plusieurs facteurs qui se sont conjugués. Les raffineurs coupent les flux plus vite que les acteurs en amont ne peuvent arrêter la production, et les différentiels signalent depuis des semaines que le pétrole doit rester à Cushing, ce qui a même incité certains opérateurs en amont à inverser l'infrastructure. En outre, des sources du marché affirment que des opérateurs inexpérimentés détiennent des positions élevées trop proches de l'expiration, et que certains contrats stipulent des prix moyens pour les transactions avant l'expiration. Lorsqu'un négociant en contrats à terme détient une position aussi proche de l'expiration, il y a de fortes chances qu'il doive livrer du brut physique. Il peut le faire par le biais d'un contrat d'échange à terme pour livraison physique (EFP), a déclaré un négociant, mais cela nécessite de trouver un acteur physique prêt à prendre livraison. Cela signifie que même dans des circonstances normales, il existe un rapprochement entre les prix physiques et les prix à terme proches de l'échéance. Et les prix physiques ont été inférieurs aux prix des barils promis sur le papier ces dernières semaines, reflétant une dynamique fondamentale et rendant cette réconciliation abrupte et violente.
La production de pétrole de schiste coûte environ 45 dollars le baril. Aucun producteur américain de schiste n’est actuellement en territoire rentable. Tous sont déjà très endettés. Ils hésitent encore à fermer leurs puits. Une fois fermés, les puits ont tendance à se boucher. Ils auront besoin de travaux coûteux pour être réouverts. Mais il est peu probable qu’ils deviennent rentables au cours des deux à cinq prochaines années, voire jamais.
L’âge de pierre ne s’est pas terminé par manque de pierres. L’âge du pétrole ne se terminera pas par manque de pétrole. La demande de pétrole a probablement atteint son maximum à l’échelle mondiale. Des alternatives ont été développées. La pandémie sera probablement présente pendant environ deux ans. Elle changera le comportement de nombreuses personnes.
Il n’y a aucune raison de s’attendre à ce que le pétrole brut atteigne à nouveau son précédent pic de plus de 100 $/bl.
La dette totale des producteurs américains de pétrole de schiste est estimée à plus de 200 milliards de dollars. Elle ne sera jamais remboursée. Ce carnage pourrait bien entraîner l’effondrement du système bancaire.
Tous les pays dont le budget dépend de la vente de pétrole sont maintenant en grande difficulté. À mesure qu’ils perdent leur importance en tant que producteurs et consommateurs, les politiques mondiales qui les entourent vont également changer.
La pandémie ne fait qu’amplifier les problèmes structurels et les déséquilibres existants sur nos marchés et dans nos sociétés. Il est probable qu’elle laissera des traces permanentes.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone