Par Moon of Alabama – Le 4 septembre 2021
Les États-Unis ne veulent pas la paix en Afghanistan. Il y a deux raisons à cela.
La première est la vengeance.
Qu’une prétendue superpuissance se fasse éjecter d’un pays par une guérilla locale est trop difficile à accepter. Le fait que la retraite se soit produite d’une manière plutôt humiliante, même si elle a été causée par l’incompétence des États-Unis et pas du fait des talibans, ne fait que renforcer ce sentiment.
L’esprit de vengeance était déjà visible dans les derniers jours de l’occupation américaine. Les forces américaines quittant Kaboul ont non seulement détruit les équipements militaires, mais aussi la partie civile de l’aéroport.
Murad Gazdiev @MuradGazdiev - 16:06 UTC - 1 Sep 2021 Les troupes américaines ont saccagé les deux terminaux civils lors de leur évacuation de l'aéroport de Kaboul. Toutes les caméras de sécurité ont été cassées, les ordinateurs détruits, de nombreuses vitres brisées. Le câblage électrique a été coupé, les machines à rayons X ont été cassées et même les écrans d'arrivée/départ ont été renversés Images
Rien de tout cela n’était nécessaire ou n’avait de sens. Quelques jours plus tard, le secrétaire d’État américain a exigé que les talibans rouvrent l’aéroport pour permettre aux personnes les plus éduquées de fuir le pays.
Elijah J. Magnier @ejmalrai - 12:11 UTC - 3 sept. 2021 Aéroport de #Kaboul : les #US ont totalement détruit les radars et la tour de contrôle et ont ensuite supplié le #Qatar de réparer tout cela au plus vite pour permettre aux étrangers, aux collaborateurs afghans et à ceux qui avaient un visa adéquat de partir. Le Qatar a envoyé une équipe de techniciens et des pièces de rechange pour que l'aéroport fonctionne.
Les États-Unis continuent de retenir les réserves de la Banque centrale d’Afghanistan et ont empêché le FMI et la Banque mondiale de débloquer des fonds pour l’Afghanistan. Il s’agit d’un acte de vengeance touchant tous les Afghans.
Le New York Times tente de le justifier (faussement) par une prétendue étiquette terroriste posée sur les Talibans :
"C'est un nouveau monde", a déclaré Adam M. Smith, un haut responsable des sanctions au département du Trésor de l'administration Obama. "Je ne vois aucun autre cas dans lequel un groupe déjà désigné terroriste a pris le pouvoir d'un pays entier." Il explique que le département du Trésor doit bientôt décider des exceptions, ou licences, qu'il accordera pour certains types de transactions. Il doit également déterminer si l'ensemble de l'Afghanistan, ou seulement les dirigeants talibans, reste sous sanctions afin que le monde sache quel genre de dialogue il peut avoir avec le gouvernement.
Bien que certaines sanctions datant de juillet 1999 puissent encore s’appliquer aux talibans, ceux-ci ne sont pas désignés comme un groupe terroriste et leurs dirigeants, comme le mollah Baradar, ne sont pas des ressortissants spécialement désignés (SDN) sur la liste des sanctions du Trésor américain. Sinon, les États-Unis n’auraient pas été en mesure de négocier officiellement avec eux.
Il ne fait pourtant aucun doute que les talibans dirigent désormais l’Afghanistan. Il n’y a aucune raison valable de leur refuser les fonds du gouvernement afghan. Ils ne sont pas corrompus comme le précédent gouvernement soutenu par les États-Unis. Ils n’ont pas besoin de l’argent pour eux-mêmes mais pour nourrir la population de leur pays.
La deuxième raison pour laquelle les États-Unis ne veulent pas la paix en Afghanistan est géopolitique. Comme l’analyse l’ancien ambassadeur indien M.K.Bhadrakumar :
Les services de renseignement américains ont fait de profondes incursions au sein des Talibans et ont acquis la capacité de les diviser, de les affaiblir et de les soumettre, lorsque le moment sera venu. Il est évident que les Talibans n'auront pas la vie facile. L'intérêt de Washington est de créer une situation "sans État" dans le pays, sans gouvernement central opérationnel, afin de pouvoir intervenir à volonté et poursuivre ses objectifs géopolitiques à l'égard des pays de la région. L'objectif non avoué est de déclencher une guerre hybride dans laquelle les combattants d'ISIS transportés par avion par les États-Unis depuis la Syrie et transférés en Afghanistan, ainsi que des vétérans aguerris d'Asie centrale, du Xinjiang, du Caucase du Nord, etc. opèrent dans les régions entourant l'Afghanistan.
La Russie a reconnu ce danger, comme l’a expliqué hier son président Vladimir Poutine :
"En cas de désintégration [de l'Afghanistan], il n'y aura personne à qui parler en Afghanistan. Le Mouvement islamique d'Ouzbékistan (hors-la-loi en Russie) et bien d'autres sur le territoire de l'Afghanistan constituent une menace pour nos alliés et nos voisins. Et si nous nous souvenons que nous n'avons pas de restrictions en matière de visas et que les déplacements transfrontaliers sont en fait libres, il est clair que pour nous, pour la Russie, tout cela a une grande importance du point de vue du maintien de notre sécurité", a déclaré M. Poutine.
Cela signifie que les actions des États-Unis seront contrées. ISIS dans l’est de l’Afghanistan a déjà été vaincu une fois. Sans accès à l’Afghanistan, les États-Unis auront du mal à y insérer davantage de combattants.
Une partie du plan américain consiste à lever à nouveau des forces anti-talibans comme l’ancienne « Alliance du Nord » sous la direction d’Amrullah Saleh et d’Ahmad Massoud, opérateurs de la CIA, dans la vallée « invincible » du Panjshir.
Mais il s’est avéré que Ahmad Massoud, qui a fait ses études à Sandhurst, n’est pas un combattant et un leader comme l’était son père Ahmad Shad Massoud et que la vallée du Panjshir peut très bien être conquise. Les défenses extérieures ont déjà été brisées. Jusqu’à présent, les talibans ont pris Dalan Sang et Shutul et franchi la porte de la route de la vallée du Panjshir sans grande résistance. Ils visent Bazarak, le centre administratif de la vallée du Panjshir. Ils ont également pris des positions sur les montagnes au-dessus de la vallée et mis en place des barrages au nord pour bloquer la route de fuite et les éventuels réapprovisionnements en provenance du Tadjikistan.
Les forces du Panjshir peuvent retarder la progression des talibans dans la vallée en posant des mines pour bloquer la route et en organisant de petites embuscades. Mais ils envoient déjà des enfants au combat car ils n’ont pas assez d’effectifs pour mener une bataille plus longue ou plus importante.
Pour l’instant, les talibans n’ont à craindre aucun défi, si ce n’est la désunion en leur sein. La formation d’un gouvernement prend plus de temps que prévu. Il semble qu’il y ait encore des discussions entre la faction Haqqani de l’est et les dirigeants kandaharis pour savoir qui y participe. Mais le conflit n’est pas aussi important que certains rapports le laissent supposer.
Aujourd’hui, le général Faiz Hamid, chef de l’Inter-Services Intelligence pakistanaise, et une délégation militaire de haut niveau sont arrivés à Kaboul. Le Pakistan comprend que le soutien de la Chine et de la Russie à l’Afghanistan dépend de la création d’un gouvernement d’unité afghan composé essentiellement de technocrates. ils joueront un rôle de médiateur auprès des talibans dans ce sens.
Le négociateur de l’accord de Doha, le mollah Baradar, internationalement respecté, est susceptible d’occuper la position de dirigeant du pays.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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