Les opérations pour influencer la politique en Europe sont Made in USA


Wayne Madsen

Wayne Madsen

Par Wayne Masden – Le 7 février 2016 – Source Strategic Culture

Dans un nouveau cas de pure hypocrisie américaine dans les grandes largeurs, le Congrès des États-Unis a ordonné à James Clapper, le directeur du renseignement national, d’enquêter sur les allégations de financement de partis politiques européens par la Russie au cours de ces dix dernières années.

Il est clair que la toute dernière mesure des néoconservateurs américains ne vise pas seulement la Russie, mais aussi les partis politiques européens qui ont soutenu les politiques défensives de cette dernière en Ukraine et ont critiqué la chancelière allemande Angela Merkel pour son ouverture des frontières de l’Europe aux hordes de terroristes islamistes de Syrie, d’Irak, d’Afrique du Nord et d’Afghanistan se faisant passer pour des réfugiés.

Les partis dont on annonce qu’ils seront soumis à l’examen des services de renseignement américains et aux autorités de contrôle financier pour le compte de leurs patrons néoconservateurs, dont la secrétaire d’État adjointe aux affaires européennes Victoria Nuland, son époux Robert Kagan ainsi que le grand maître George Soros, comprennent Jobbik en Hongrie, Aube dorée en Grèce, le Front national en France et la Ligue du Nord en Italie. Ces partis ont rejeté le contrôle eurocratique de l’Europe exercé depuis Bruxelles. Ils ont aussi rejeté la domination américaine sur la politique étrangère européenne sur des questions allant de l’Ukraine et de la Syrie aux accords de libre-échange et à une Europe sans frontières pour les migrants économiques et politiques non européens.

La mesure contre les partis populistes en Europe représente une nouvelle phase de la politique étrangère néo-impérialiste de l’Amérique : viser des partis politiques de pays membres de l’Otan qui ont remporté des succès par le processus électoral démocratique.

Le résultat net du barrage de l’Amérique contre ce qu’on désigne comme la droite européenne pourrait déboucher sur une augmentation du gel des actifs et des interdictions de visa que Washington pourrait étendre aux membres des gouvernements de la Russie, de la république autonome de Crimée et des Républiques de Donetsk et de Lugansk en Ukraine de l’Est. Les cibles potentielles de telles sanctions pourraient comprendre aussi la dirigeante du Front national et candidate à la présidence française Marine Le Pen, le dirigeant du Parti travailliste britannique Jeremy Corbyn, le porte-parole aux Affaires étrangères et membre du Parlement Alex Salmond, du Parti national écossais, et le dirigeant du Parti de la liberté d’Autriche, Heinz-Christian Strache.

Les manœuvres inquiétantes de Washington à l’égard de la démocratie européenne, qui visent à la fois des partis de droite et de gauche ramènent aux temps de la vieille Guerre froide, lorsque la CIA et le Bureau fédéral d’investigation étaient friands de listes de dangereux subversifs à l’étranger à qui des visas d’entrée aux États-Unis seraient systématiquement refusés parce qu’ils étaient soupçonnés d’être des communistes ou des Rouges.

Ironie de l’affaire, c’est la CIA qui a une riche histoire de financement de partis politiques à l’étranger, en particulier en Europe, pour réaliser son programme. Un rapport de 2003 du Conseil de l’Europe, intitulé Financing political parties and election campaigns – guidelines [Financement des partis politiques et des campagnes électorales – Directives] déclare : «Non seulement des gouvernements étrangers [] mais aussi des agences de renseignement étrangères se sont engagés dans des activités de financement secrètes. Au cours de la Guerre froide, par exemple, la CIA était activement impliquée dans le financement d’organisations politiques anticommunistes.»

La Fondation nationale des États-Unis pour la démocratie [US National Endowment for Democracy (NED)] consiste en deux armes des grands partis politiques américains, l’Institut international républicain [International Republican Institute (IRI)] et l’Institut démocratique national [National Democratic Institute (NDI)], qui canalisent l’argent du renseignement étasunien vers les partis politiques pro-américains. Ce ne sont pas seulement des organisations non gouvernementales quasi autonomes [en anglais QUANGOs (quasi-autonomous non-governmental organizations), NdT] entretenant des liens avec la CIA qui ont fourni l’argent aux partis politiques européens. D’autres comprennent le Centre pour l’entreprise privée internationale [Center for International Private Enterprise (CIPE)], l’Institut de libre-échange [Free Trade Union Institute (FTUI)], le Partenariat européen pour la démocratie [European Partnership for Democracy (EPD)], la Fondation Westminster pour la démocratie en Grande-Bretagne [Westminster Foundation for Democracy of Britain], la Fondation taïwanaise pour la démocratie [Taiwan Foundation for Democracy], la Fondation arabe pour la démocratie [Arab Democracy Foundation] et le Fonds des Nations Unies pour la démocratie [United Nations Democracy Fund].

On a découvert que le Conseil américain pour l’échange législatif [American Legislative Exchange Council (ALEC)], de droite, qui est financé par de grandes entreprises étasuniennes, dont Koch Industries, pour influencer les lois aux niveaux de l’État et du gouvernement fédéral, maintenait des liens avec le Parti conservateur britannique pour faire échouer la législation anti-tabac et environnementale en Grande-Bretagne. L’IRI, le NDI et l’ALEC, avec la bénédiction de la CIA et de l’administration Obama, ont aussi travaillé à faire provoquer la défaite du référendum écossais sur l’indépendance en 2014.

L’histoire de la CIA regorge d’exemples de financement occulte de partis politiques européens. Dans les années 1960, la CIA a donné de l’argent au Parti démocrate-chrétien italien pour faire en sorte que le Parti communiste italien ne remporte pas de succès politique à l’échelle nationale. Des gauchistes américains comme Irving Kristol, Hannah Arendt, Isaiah Berlin, et d’autres, étaient financés par la CIA pour influer sur l’orientation politique de leurs amis dans la gauche démocratique européenne, principalement les partis sociaux-démocrates, afin de les dissuader de former des coalitions avec les partis communistes. De nombreux néoconservateurs de droite d’aujourd’hui sont nés de ces vendus de la gauche, dont le fils de Kristol, l’expert archi-néoconservateur William Kristol.

À travers l’Association nationale des étudiants des États-Unis, la CIA a régulièrement parrainé des étudiants américains pour qu’ils assistent aux festivals de la jeunesse en Europe, financés par les Soviétiques, dans le but de recruter des membres des partis européens de gauche pour qu’ils deviennent des agents de la CIA.

Bien que les États-Unis aient aujourd’hui les partis européens nationalistes de droite dans leur collimateur, pendant la Guerre Froide, la CIA s’appuyait sur les précurseurs de ces partis pour effectuer des opérations terroristes sous fausse bannière qui étaient imputées aux groupes gauchistes. Ces opérations, connues sous le nom générique d’«Opération Gladio», étaient utilisées par la CIA comme armes psychologiques contre les socialistes de gauche et les partis communistes en Europe. Aujourd’hui, la CIA et d’autres agences de renseignement étasuniennes visent des partis de tout le spectre politique – nationalistes de droite, anti-mondialistes et antimilitaristes de gauche, sécessionnistes. Ce sont des cibles américaines simplement parce qu’ils sont opposés au néo-impérialisme des États-Unis et à la domination mondialisée des banques et des sociétés d’investissements internationales.

Afin de contrer les tendances neutralistes au sein du Parti travailliste britannique, la CIA a financé une opération d’influence via le Congrès pour la liberté culturelle [Congress for Cultural Freedom] servant de levier politique à des dirigeants du parti tels que Hugh Gaitskell, Anthony Crosland et Denis Healey chargés de faire évoluer leur formation politique vers une position plus favorable à l’Otan. Inversement, lorsque le Premier ministre travailliste Harold Wilson et le dirigeant du parti Michael Foot ont mis le parti sur une voie de gauche, la CIA s’est arrangée pour que les deux dirigeants soient évincés par des implants de la CIA en son sein. Dans le cas de Wilson, le traître du jour pour la CIA était James Callaghan, un droitier, et pour Foot, c’était Neil Kinnock, un mondialiste engagé et fédéraliste européen, qui jouait le rôle de Brutus. Lorsque Wilson a été forcé de quitter son poste de Premier ministre en 1976, la CIA s’est mise en alerte rouge pour empêcher le dirigeant travailliste de gauche de longue date, Tony Benn, de lui succéder. Les efforts de la CIA ont payé lorsque leur homme Callaghan a pris la suite de Wilson.

Il s’est passé la même histoire en France, où la CIA a travaillé effectivement avec les dirigeants gauchistes du Printemps parisien de 1968, y compris Daniel Cohn-Bendit, afin de s’assurer que les manifestations contre le gouvernement français contraindraient le Président Charles De Gaulle à quitter le pouvoir. De Gaulle a été finalement remplacé par une série de présidents français correspondant davantage aux goûts de Washington : Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, et le plus pro-américain de tous, Nicolas Sarkozy. La France, qui sous De Gaulle s’était retirée du commandement militaire de l’Otan, a été finalement lentement réabsorbée dans l’alliance par les présidents français pro-américains successifs. La crainte de la CIA est qu’une Présidence Le Pen en France pourrait copier De Gaulle et quitter la structure militaire de l’Otan. C’est pourquoi Washington fait tout son possible pour diaboliser le Front national en tant qu’agent de la Russie.

On peut trouver dans le dossier historique des histoires semblables d’actions de la CIA contre des partis politiques depuis le Portugal et la Grèce jusqu’au Danemark et à la Belgique. Si un pays a besoin d’un examen complet de ses opérations politiques et d’influence clandestines en Europe, c’est bien les États-Unis, et pas la Russie.

Wayne Madsen

Traduit par Diane, vérifié et relu par Ludovic pour le Saker francophone

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