Les nouveaux problèmes de Boeing vont au-delà du 737 MAX


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 12 octobre 2019

Il y a deux semaines, le Conseil national de la sécurité des transports (NTSB) a publié une longue recommandation de 13 pages résultant de son enquête sur les incidents du 737 MAX. Depuis que nous avons discuté de ce rapport accablant, plus de mauvaises nouvelles pour Boeing nous sont parvenues.

  • Les affaires générales de Boeing ne vont pas bien.
  • Un défaut de structure récemment détecté sur le 737 NG, le prédécesseur du 737 MAX, clouera au sol un nombre important de ces avions.
  • De nouvelles révélations accablantes concernant le processus de développement du 737 MAX ont entraîné deux accidents mortels. La Southwest Airlines Pilots Association poursuit Boeing pour avoir fait de fausses déclarations. Un lanceur d’alerte a affirmé que Boeing a laissé de côté des dispositifs de sécurité en raison de leurs coûts. Un rapport technique des Joint Authorities rendra plus difficile pour Boeing la “mise à niveau” des types d’avions plus anciens.
  • Il y a de nouveaux délais pour le retour du MAX dans les airs.

Comme le résume Ernest Arvai, analyste chez AirInsight :

Le MAX est au sol, le 787 fait l’objet d’une enquête pour des problèmes de qualité et présente de graves problèmes de moteur. Le 777-X est encore retardé en raison de problèmes de moteur et le KC-46 ne répond pas aux besoins et n’est actuellement pas autorisé à transporter des passagers et du fret. La génération précédente, le 737NG, connaît actuellement une défaillance prématurée grave de composants structurels qui devaient durer pendant toute la vie utile de l'aéronef et pourrait résulter en une hémorragie financière supplémentaire. Nous avons recherché de bonnes nouvelles à propos de Boeing, mais nous n'en avons tout simplement pas trouvé.

Une commande de vingt-deux 787 Dreamliner de Boeing a été annulée. Sans nouvelles commandes, les deux lignes de production du 787 n’auront besoin que de 40 mois pour épuiser les commandes en cours. Il s’agit d’un carnet de production relativement court pour une grande chaîne de production d’avions. Boeing a besoin d’un nouveau produit de milieu de gamme mais dispose de peu de temps pour travailler dessus.

Le carnet de commandes global de Boeing se rétrécit :

Le nombre total net de commandes de Boeing, y compris les annulations, a été négatif de 84 unités pour les neuf premiers mois de 2019, les commandes ont également été affectées par la faillite de la compagnie indienne Jet Airways, qui a eu pour effet de supprimer 210 avions de son carnet de commandes.

Au cours de la conversion d’un 737 NG du rôle de transporteur de passagers  à celui d’avion cargo, Boeing a constaté de graves défauts sur un composant de structure censé avoir une durée de vie supérieure à celle de l’avion. Boeing a informé la FAA :

La FAA a publié une directive relative à la navigabilité aérienne des Boeing 737 NG, exigeant l'inspection immédiate des fissures dans les fixations des ailes, appelées «fourchettes à cornichons».

Les fissures ont été découvertes sur des avions ayant beaucoup volé qui ont été modifiés pour être convertis en cargos. Les 737 affectés sont uniquement du type NG; les MAX et Classic ont une conception différente de la fixation des ailes. ...
 
La directive émise concerne les Boeing 737 NG avec plus de 22 600 cycles de vol. Ceux-ci doivent être inspectés dans un délai d'un an. Pour les aéronefs comptant plus de 30 000 cycles de vol, l'inspection doit être achevée dans un délai d'une semaine à compter de la date d'entrée en vigueur de la directive.

La wingbox est la structure où les ailes sont fixées au corps de l’avion.

Deux cadres (STA 540) à l’avant et à l’arrière de la wingbox transmettent la charge vers  la structure supérieure de la caisse.

À l’extrémité inférieure de ces cadres se trouvent les «fourchettes à cornichons» forgées qui sont rivées à la winbox.

Voici à quoi ressemble la construction dans la vie réelle.

Les avions avec ces défauts (pdf) ont été cloués au sol car de telles fissures ont tendance à se multiplier et une défaillance de la structure finirait probablement par devenir catastrophique.

Les avions sont supposés effectuer jusqu’à 90 000 vols tout au long de leur vie sans subir de tels dommages structurels. Le premier cycle d’inspection a montré que le problème est systématique et grave :

Les résultats de la première semaine d'inspections montrent que 5% des aéronefs inspectés présentent des fissures, l'avion à cycle de vol le plus faible affichant 23 600 vols.

Il faudra trois semaines par avion pour réparer. Toutefois, le nombre de pièces de rechange pour le composant fissuré est limité et la production de nouvelles pièces peut prendre plus de temps.

On ne sait pas encore ce qui cause les fissures dans la pièce en aluminium forgé. Beaucoup de NG plus âgés ont été équipés de winglets au bout de leurs ailes. Celles-ci peuvent avoir entraîné des charges ou des vibrations imprévues. Il est possible que certains des plus jeunes avions 737 NG aient un problème similaire.

C’est une mauvaise nouvelle pour les compagnies aériennes qui utilisent exclusivement des Boeing 737. Non seulement leurs nouveaux avions 737 MAX sont au sol, mais une part importante de leurs flottes plus anciennes de 737 NG sera également retirée de l’exploitation et nécessitera de longues réparations.

La Southwest Airlines Pilots Association (SWAPA) poursuit Boeing en justice pour son modèle 737 MAX :

"Boeing a pris la décision calculée de lancer précipitamment sur le marché un avion réaménagé, pour sécuriser sa part de marché dans les mono-couloirs en donnant la priorité à sa rentabilité", a déclaré l'introduction à la poursuite. "Ce faisant, Boeing a abandonné les pratiques saines de conception et d'ingénierie, dissimulé auprès des régulateurs les informations critiques pour la sécurité  et induit délibérément en erreur ses clients, ses pilotes et le public. Les fausses déclarations de Boeing on amené la SWAPA à croire que l’avion 737 MAX était sûr", continue la plainte, qui ajoute : "Ces déclarations se sont révélées fausses".

La poursuite contient (pdf) quelques faits remarquables :

120. Le profil de risque et l'évaluation de risque requise pour la deuxième itération du MCAS étaient complètement différents de la première, et pourtant, Boeing n'a pas évalué l'augmentation de ce risque ni même tenté de l'atténuer. Au lieu de cela, Boeing a utilisé son autorité ODA [autorisation déléguée au constructeur] pour masquer ces informations.

Il y a un point que nous avons souligné à plusieurs reprises dans nos écrits sur le MAX. Boeing a affirmé que la faille du MCAS était un incident dû à “l’emballement du stabilisateur” pour lequel aucune formation supplémentaire n’était nécessaire. Les pilotes de Southwest ne sont pas d’accord :

229. La défaillance du système MCAS ne ressemble pas à un stabilisateur emballé. Un stabilisateur emballé a un mouvement continu non commandé des ailerons, alors que l'action du MCAS n'est pas continue, et que les pilotes peuvent (en théorie) contrer le mouvement en piqué, mais alors le MCAS réagit à nouveau sur les ailerons de l'avion, ce qui contre l'action du pilote.

SWAPA poursuit Boeing en justice parce que ses affirmations concernant le 737 MAX avaient directement influencé les négociations du syndicat avec Southwest :

7. Les fausses déclarations de Boeing, faites directement à la SWAPA, ont amené la SWAPA à accepter, malgré ses réticences initiales, d’inclure le 737 MAX dans sa convention collective («ACB») avec Southwest. L’échec de l’avion fait maintenant perdre aux pilotes de la SWAPA des millions de dollars chaque mois, car le 737 MAX a été retiré du programme de vol de Southwest, ainsi que de la feuille de paie des pilotes de la SWAPA.

Il faudra environ 100 millions de dollars à Boeing pour régler la plainte. Ce ne sera qu’une petite partie des dégâts totaux causés par les problèmes du 737 MAX à la société. Mais les dommages supplémentaires liés aux relations publiques seront importants.

Un ingénieur de Boeing a déclaré que Boeing avait rejeté les améliorations de sécurité en raison de leurs coûts :

La plainte en matière d'éthique, déposée par l'ingénieur Curtis Ewbank, âgé de 33 ans, dont le travail consistait à étudier les accidents antérieurs et à utiliser ces informations pour rendre les nouveaux avions plus sûrs, décrit comment son groupe a présenté aux managers et à la direction exécutive, aux environs de 2014 une proposition visant à améliorer diverses mesures de sécurité au 737 MAX.
 
La plainte, dont un exemplaire a été examiné par le Seattle Times, suggère que l’un des systèmes proposés aurait pu empêcher les accidents en Indonésie et en Éthiopie, qui ont coûté la vie à 346 personnes. Trois des anciens collègues d’Ewbank interrogés pour cette histoire sont du même avis.

Les modifications proposées mais rejetées auraient empêché les fausses alarmes dans le poste de pilotage. Ce point est crucial car les défaillances du capteur d’angle d’attaque qui ont causé les deux accidents du 737 MAX ont entraîné un certain nombre d’alarmes déroutantes, ce qui a rendu difficile pour les pilotes le diagnostic du problème. Depuis lors, il a été révélé que Boeing avait reçu des exceptions aux règles en vigueur qui exigent un meilleur système d’alarme :

En 2014, Boeing a convaincu la Federal Aviation Administration (FAA) d'assouplir les normes de sécurité pour le nouveau 737 MAX, liées aux alertes du poste de pilotage, qui avertiraient les pilotes en cas de problème lors du vol, selon des documents examinés par le Seattle Times.
 
À la recherche d’une exception, Boeing s’est fondé sur une règle spéciale de la FAA pour affirmer, avec succès, qu’une conformité totale aux dernières exigences fédérales serait «irréalisable» pour le MAX et coûterait trop cher. ...
 
Le Seattle Times a examiné les parties pertinentes du document que Boeing a soumis à la FAA pour obtenir son exception. Ils montrent que le régulateur fédéral a supprimé quatre clauses distinctes qui imposeraient des exigences à tout nouvel avion produit aujourd'hui. Cela a permis à Boeing d’éviter de concevoir une mise à niveau complète du système vieillissant d’alerte des équipages du 737. ...
 
Sur le vol d’Ethiopian Airlines qui s’est écrasé en mars, les pilotes ont dû faire face à une série d’alertes tout au long du vol de six minutes. Outre le vibreur, ils ont entendu à plusieurs reprises le message suivant : «ne pas descendre», indiquant que l'avion était trop près du sol; un «claquement» très fort pour signaler que l'appareil allait trop vite; et plusieurs voyants d'avertissement indiquant à l'équipage que la vitesse, l'altitude et d'autres indications de leurs instruments n'étaient pas fiables.

L’utilisation d’anciennes normes de certification lors de la mise à jour d’un avion est un point de critique majeur soulevé par un nouveau rapport :

La Federal Aviation Administration, qui a approuvé la conception de l'avion en 2017, a fermé les yeux sur de nombreux points, a révélé l'examen technique conjoint des autorités. Un résumé de 69 pages des conclusions indique également que le comité a constaté que Boeing exerçait des "pressions indues" sur certains de ses propres employés, qui disposaient de l'autorité de la FAA pour approuver les modifications de conception.

Le rapport précédent est accablant pour Boeing et la FAA. Il décrit toutes les défaillances connues et formule douze recommandations qui changeront la manière dont les anciens types d’avions peuvent être «mis à niveau» dans une nouvelle version. Les exceptions de la FAA telles que celles mentionnées ci-dessus ne seront plus possibles :

Les règles sur les produit modifiés (..) et les directives associées (..) doivent être révisées pour imposer une approche de haut en bas, dans laquelle chaque modification est évaluée dans la perspective d'un système d'aéronef intégré complet.

Ces révisions devraient inclure des critères permettant de déterminer quand les caractéristiques essentielles de la conception d’une catégorie d'aéronefs de transport existante l’empêchent de prendre en charge les avancées en matière de sécurité introduites par les réglementations les plus récentes et devraient entraîner une modification de la conception ou la nécessité d’un nouveau certificat de type. Le système de l’aéronef comprend l’aéronef lui-même avec tous ses sous-systèmes, l’équipage qui pilote et l’équipe de maintenance.

Si cette recommandation est appliquée, construire un autre 737 MAX sera impossible. Une mise à niveau d’un ancien type d’avion devra se conformer à la réglementation en vigueur dans une plus large mesure et ne pourra plus s’appuyer sur les anciennes règles qu’il devait respecter à l’origine. Si cela est appliqué au 737 MAX actuellement bloqué au sol, ce qui n’est pas impossible, l’avion ne volera plus jamais. Boeing, qui a des plans pour moderniser son 777 avec de nouvelles ailes et de nouveaux moteurs, pourrait également être en difficulté. Les réflexions sur la modernisation du 767 devront être écartées.

D’autres recommandations, après l’examen technique conjoint des autorités, critiquent le système de délégation de la FAA qui permettait aux ingénieurs de Boeing d’auto-certifier certaines modifications de conception. Un autre point est le manque général d’analyse des facteurs humains et des problèmes d’évaluation des besoins en formation des pilotes.

Quelques observations dans le rapport conjoint des autorités pousseront certains ingénieurs à se gratter la tête. Ce manque de fonctionnalité dans le simulateur d’ingénierie de Boeing est, par exemple, inexcusable :

Observation O3.13-A: Lors de l'évaluation dans le simulateur d'ingénierie de Boeing (E-Cab), l'équipe d'examinateurs a constaté que l'appareil ne comportait pas de mesure de contrôle de la force nécessaire qui doit être exercée pour mouvoir la roue de compensation du stabilisateur manuel. En conséquence, les forces à exercer sur la roue de compensation manuelle du stabilisateur ne sont pas représentatives de l'aéronef.

La compensation manuelle est nécessaire pour ramener l’avion en vol normal après la défaillance de la compensation électrique ou du MCAS. Ce n’est actuellement pas toujours possible car les forces aérodynamiques dans certaines situations sont trop importantes pour être surmontées avec la roue manuelle. L’organisme de réglementation européen a souligné qu’il s’agissait d’un problème majeur à résoudre par Boeing. Que Boeing n’ait même pas été capable de simuler cela est ahurissant.

Il est également condamnable pour Boeing et la FAA que les auteurs du rapport aient dû inclure cette vérité éternelle d’ingénierie :

Dans la hiérarchie des solutions de sécurité, l'intervention sur la conception devrait être prioritaire par rapport à la mise en place d'alertes et à aux procédures de formation.

Ce commentaire d’un forum de pilotes est également très pertinent:

Dans la constatation F3.5-C l'équipe d'examinateurs considère que les fonctions STS / MCAS et EFS pourraient être considérées comme des systèmes d'identification de décrochage ou des systèmes de protection contre le décrochage, en fonction des caractéristiques de décrochage naturelles (non assistées) de l'aéronef. Lors de son examen des données, l’équipe n’a pas été en mesure d’exclure complètement la possibilité que ces systèmes d'assistance ne fonctionnent pas comme protection contre le décrochage.

À mon avis, il ne semble pas clair à ce jour que le MAX est suffisamment stable du point de vue aérodynamique. Que le MAX exige ou non une protection complète de l’enveloppe de décrochage, y compris toute la redondance obligatoire, peut décider du sort de sa certification.

Le Seattle Times en dit plus sur le rapport de l’autorité jointe.

En conséquence de tout ce qui précède, certains analystes du secteur ont appelé à la destitution du PDG et des membres chenus du conseil d’administration de Boeing.

Hier, le conseil d’administration de Boeing a franchi la première étape en rétrogradant son président et directeur général :

Alors que la pression montait sur le conseil d’administration de Boeing et que le public était de plus en plus préoccupé par la nécessité de réorganiser la culture de sécurité de la société, le conseil d’administration a retiré vendredi le rôle de président de la société à Dennis Muilenburg, le privant de son rôle de directeur général.
 
Muilenburg restera PDG, et membre du conseil d'administration, tandis que l'administrateur principal, David Calhoun, a été élu pour le remplacer à titre de président.

Il est généralement admis que Muilenburg sera licencié en tant que PDG dès la fin de la catastrophe.

Cela prendra encore plusieurs mois.

Alors que le nouveau logiciel MCAS est supposé être prêt pour la certification, les autorités internationales de certification ont demandé à Boeing de régler de nombreux points. Le régulateur européen souhaite que davantage de tests soient effectués sur les modifications apportées aux ordinateurs de contrôle de vol :

L’Agence de la sécurité aérienne de l’Union européenne a récemment déclaré à de hauts responsables de la réglementation américaine qu’elle n’était pas convaincue que les responsables de la FAA et de Boeing avaient prouvé de manière adéquate la sûreté des ordinateurs de commande de vol du MAX reconfiguré, d’après les personnes informées des discussions. L’objectif est d’ajouter de la redondance en faisant en sorte que les deux ordinateurs travaillent simultanément pour éliminer les risques liés aux dysfonctionnements des puces identifiés plusieurs mois auparavant; au cours des décennies et des versions précédentes du 737, un seul ordinateur à la fois a alimenté en  données les systèmes automatisés, en alternance durant les vols. Le chef de l'AESA, Patrick Ky, a transmis ces préoccupations à Ali Bahrami, le plus haut responsable de la sécurité de la FAA, a déclaré une des personnes. ...
 
Boeing et la FAA finissent de tester le système à deux ordinateurs et les résultats finaux n’ont pas encore été présentés à l’AESA ni à d’autres régulateurs. L’AESA a toutefois signalé qu’elle souhaitait ajouter des scénarios de risques au-delà de ceux du plan de test actuel, a déclaré cette personne. ...
 
Les ingénieurs de Boeing sont frustrés car l’EASA n’a pas précisé quelles mesures supplémentaires pourraient dissiper ses objections, selon des personnes proches des discussions.

Le dernier paragraphe est étonnant. Un organisme de réglementation n’a pas pour tâche de dire aux ingénieurs de Boeing comment résoudre leurs problèmes. Les régulateurs définissent les règles et vérifient si les solutions techniques d’un fabricant sont conformes à celles-ci.

Le fait que Boeing n’ait toujours pas compris cela et cherche des solutions faciles à ses problèmes montre que la société n’a pas encore appris sa leçon.

Moon of Alabama

Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone

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