Serbie : un pas de plus vers l’adhésion à l’Otan, contre la volonté du peuple


Par Alex Gorka – le 24 février 2016 – Source Strategic Culture

Sans rejeter formellement la politique de neutralité, Belgrade développe activement une coopération avec l’OTAN. Le 19 février, le président serbe Tomislav Nikolić a signé l’accord IPAP (Individual Partnership Action Plans – Plans d’action de partenariat individuel) avec l’Alliance, qui stipule que la Serbie est obligée d’accorder un droit de libre circulation aux troupes de l’OTAN sur son territoire et leur garantir l’immunité.

Le personnel de l’OTAN bénéficie désormais de l’immunité en cas de mauvaise conduite et d’actes criminels. Les militaires ne paieront ni taxes, ni péages, ni frais de douane, ni loyer, ni taxes d’aéroport et autres charges. L’OTAN a accès à toutes les installations publiques et privées en Serbie. Selon l’accord, un pays partenaire expose ses objectifs de réforme et indique les lieux où l’OTAN peut apporter son assistance pour atteindre ces buts. Autrement dit, c’est l’OTAN, et non le gouvernement et le parlement nationaux, qui émettra les directives pour la réforme de l’armée serbe et les missions auxquelles elle sera formée. C’est un grand pas sur la voie de la perte de sa souveraineté pour la Serbie. Une fois l’accord en vigueur, elle ne sera plus le pays indépendant que le monde a connu.

Le 20 février, des militants patriotiques de la République de Serbie se sont rassemblés devant l’ambassade de Russie à Belgrade pour manifester pacifiquement leur opposition à la coopération de leur pays avec l’OTAN. Plus de 2000 personnes portant des drapeaux serbes et russes se sont rassemblées devant la mission russe. Beaucoup ont exprimé leur indignation à propos de la mort de deux diplomates serbes enlevés en novembre dernier, et tués lors de frappes aériennes sur la Libye le 19 février.

Regarder de plus près la relation de la Serbie avec l’Alliance montre que le rapprochement a commencé il y a longtemps et a progressé sans beaucoup attirer l’attention de la population.

La Serbie est membre du programme de Partenariat de l’OTAN pour la paix depuis décembre 2006 – une étape importante vers l’adhésion.

Le Groupe de réforme de la défense de la Serbie et de l’OTAN (DRG dans son sigle anglais) a été mis sur pied conjointement en février 2006 pour fournir conseils et assistance aux autorités serbes en matière de réforme et de modernisation de l’armée nationale.

La Serbie a aussi rejoint le Processus de planification et de révision du Partenariat (PARP) pour la paix (PfP) en 2007. Le PARP fournit une base structurée pour identifier les forces et les capacités des partenaires susceptibles d’être à la disposition de l’Alliance pour la formation multinationale, les exercices et les opérations. Il sert aussi d’outil de planification pour guider et mesurer les progrès accomplis dans les efforts en matière de défense et de transformation militaire. La Serbie s’est engagée activement dans le cadre du programme Science pour la paix et la sécurité de l’OTAN depuis 2007. Ce programme favorise une étroite collaboration avec les pays partenaires sur des questions d’intérêt commun.

Le Centre d’entraînement chimique, biologique, radiologique et nucléaire (CBRN) de Serbie, à Kruševac, est devenu le Centre de partenariat à l’entraînement et à la formation en 2013, ouvrant ses activités à l’OTAN et à ses partenaires.

Le Bureau de liaison militaire de l’OTAN à Belgrade, créé en décembre 2006, facilite la participation serbe aux activités menées dans le cadre du programme de Partenariat pour la paix et fournit une assistance aux activités diplomatiques publiques de l’Otan dans la région.

La Serbie est actuellement en pourparlers avec l’OTAN sur l’approfondissement de sa coopération avec cette dernière à travers le développement des programmes et des accords mentionnés ci-dessus. Par exemple, le 10 février, la commission de la Défense et des Affaires intérieures du Parlement serbe a approuvé la signature d’un accord entre la Serbie et l’Organisation de soutien et d’acquisition de l’OTAN (NSPO) sur la coopération dans le domaine de l’appui logistique.

En fait, l’invitation de l’OTAN au Monténégro en décembre dernier était un message à la Serbie, le seul et unique pays des Balkans n’ayant jamais officiellement déclaré son intention de rejoindre l’OTAN. Si le Monténégro intègre l’Alliance, la Serbie sera entourée d’États membres de l’OTAN.

Pour l’OTAN, la Serbie est un corridor important vers le bassin de la mer Noire et le Moyen-Orient. Il est plus facile d’envoyer des renforts en Syrie ou en Ukraine en passant par le territoire serbe ou son espace aérien. Peut-être est-ce pourquoi les États-Unis se réjouissent de l’idée de construire une autoroute qui relierait Niš (au centre de la Serbie), Priština (Kosovo) et Durrës (en Albanie).

La route permettra de transporter des forces terrestres et des troupes blindées et mécanisées depuis la côte Adriatique (le port de Durrës en Albanie), à travers Niš jusqu’à la côte de la mer Noire (les ports de Varna et de Burgas en Bulgarie). En cas de guerre, cela ferait de la Serbie une cible des frappes aériennes visant à empêcher le mouvement des renforcements de l’OTAN.

La position de la Russie sur les récents événements en Serbie a été claire. Attirer la Serbie dans l’OTAN dans le contexte de la mort de ses diplomates sous des bombes américaines est une humiliation pour le pays, a déclaré la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova à la chaîne Rossiya 1 TV. «On leur dit “Vous devez être dans l’OTAN, en particulier le Monténégro, parce que c’est pour votre sécurité. Nous vous protégerons.” Ils disent la même chose à la Serbie. Comment pouvez-vous protéger ce pays si, malgré l’information disponible attestant que des gens sont retenus en otage, vous les bombardez ? De quelle sécurité parlez-vous ? Je pense que c’est un type spécial d’humiliation, une tentative d’imposer le syndrome de Stockholm, lorsqu’ils forcent leurs victimes à les aimer et à admettre publiquement qu’elles veulent être avec eux», a déclaré Zakharova.

Des rapports antérieurs ont affirmé que deux employés de l’ambassade serbe à Tripoli enlevés par des hommes armés en novembre 2015 étaient morts dans la frappe aérienne étasunienne contre un camp du groupe terroriste État islamique (interdit en Russie) en Libye.

«Ce qui est triste, c’est que cette information a été fournie par le FBI et la CIA, les dirigeants serbes l’ont dit. C’est-à-dire qu’ils savaient. Et maintenant ils nient savoir ce qu’il en est», a relevé Zakharova.

Depuis 2013, la Serbie a le statut d’observateur dans l’Organisation du traité de sécurité collective (OSTC), qui inclut la Russie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. En 2014, contrairement au Monténégro, la Serbie a refusé de soutenir les sanctions imposées par l’Occident à la Russie. En 2015, la Serbie a participé, pour la toute première fois, à deux exercices militaires avec la Russie pour contrarier l’Occident.

Malgré cela, le gouvernement serbe a clairement pris la voie de l’adhésion à l’OTAN. Cette politique a des implications qui doivent être prises en considération. En rejoignant l’Alliance, la Serbie reconnaîtrait la légitimité des bombardements de l’OTAN sur la République fédérale de Yougoslavie et les décisions concernant le Kosovo qui ont suivi. L’adhésion affectera négativement les relations avec la Russie et remettra en question des avantages économiques substantiels. En tant que membre, la Serbie serait exposée à des menaces asymétriques et transnationales, y compris des attaques terroristes. Être membre de l’Union européenne (un autre aspect controversé de la politique étrangère de la Serbie, mais c’est une autre question) – qui est le but principal de l’actuel gouvernement – donnera des garanties de sécurité sans avoir à affronter les aspects négatifs de l’adhésion à l’OTAN. Par exemple, après les attaques terroristes de Paris, la France a invoqué l’article 42.7 du Traité de l’Union européenne. Cet article «prévoit que lorsqu’un pays est attaqué, tous les pays membres doivent manifester leur solidarité pour faire face à l’agression». Toutes les étapes mentionnées plus haut pour rapprocher la Serbie de l’Alliance ont été franchies dans un pays où le souvenir des frappes aériennes de l’OTAN (1999) reste vif, et des sondages d’opinion récents montrent que 73% des personnes interrogées sont opposées à l’adhésion tandis que seulement 12% y sont favorables.

C’est l’argument le plus important – la population serbe ne veut pas d’adhésion à l’OTAN, comme le montre le sondage cité. Les gens ont leurs propres opinions sur la question. Le gouvernement serbe devrait réfléchir à deux fois aux choix qu’il fait.

Traduit par Diane, vérifié par Ludovic, relu par Diane pour le Saker francophone

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