Les groupes de réflexion américains concentrent leurs analyses sur la Chine


Par Vladimir Terehov – Le 15 août 2016 – Source New Eastern Outlook

New Eastern Outlook a relevé que les principaux groupes de réflexion américains se sont de plus en plus focalisés ces dernières années sur l’étude de différents aspects des politiques intérieure et étrangère de la Chine.

La Chine est d’ores et déjà un adversaire géopolitique majeur des États-Unis, ce qui signifie que les évolutions dans la politique de défense nationale chinoise sont soigneusement étudiées, tout comme l’évolution de sa stratégie militaire dans les zones où les possibilités de conflit militaire et politique entre les deux grandes puissances de ce monde sont susceptibles d’augmenter.


Une des zones où l’inquiétude sur la possibilité d’un conflit augmente est l’étroit bras de mer le long de la côte chinoise qui comprend la péninsule coréenne, Taïwan, la mer de Chine orientale et la mer de Chine méridionale.

Le caractère pratique de ces travaux de recherche est un fait particulièrement intéressant. Ils comparent les capacités militaires des forces armées des deux protagonistes en général, ainsi que celles des groupes qui sont concentrés dans les zones où la confrontation est à son paroxysme. Faisant suite à ces études viennent toute une série de recommandations préliminaires faites aux dirigeants américains. Elles incluent des propositions de réajustement de la défense américaine, et de sa stratégie militaire dans un contexte hypothétique de conflit armé avec la Chine.

Par exemple, en octobre 2015, la célèbre RAND Corporation a publié les conclusions de son étude approfondie (430 pages) intitulée Feuille de match des forces militaires chinoises et américaines : état des troupes, topologie et évolution de l’équilibre des forces, 1997-2017. L’étude présente l’évolution des forces armées chinoises et fournit une évaluation de l’évolution de l’équilibre des forces entre les États-Unis et la Chine. La principale conclusion de cette étude est limpide dans sa conclusion, à savoir que dans les vingt dernières années, l’écart qualitatif entre les forces armées américaines et chinoises a été considérablement réduit.

D’autres groupes de réflexion américains ont déjà publié en 2016 leur propre rapport, tout aussi volumineux que celui de la Rand Corporation. Deux d’entre eux sont particulièrement intéressants. La Rand Corporation a publié à la fin du mois de juillet 2016 une autre étude au titre sans équivoque de Guerre avec la Chine : Penser à l’impensable.

L’autre étude a été publiée il y a six mois, par le non moins influent Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS), et intitulée Rééquilibrage en Asie-Pacifique à l’horizon 2025 : Capacité, présence et partenariats militaires.

Les auteurs de la seconde étude (qui inclut une section de recommandations au Président et au Congrès des États-Unis) nous rappellent que le CSIS travaillait déjà en 2012 sur le même sujet, c’est à dire immédiatement après l’annonce du recalibrage de la politique étrangère américaine qualifiée de pivot vers l’Asie, décidé à la fin 2011 par Barack Obama et sa ministre des Affaires étrangères, Hillary Clinton.

La dernière publication du CSIS ne comporte pas le mot Chine dans son titre. Cependant, il convient que tous se rappellent que ce pivot de la politique américaine vers l’Asie-Pacifique a été décidé en réaction à l’accession de la Chine au rang de seconde puissance mondiale. L’accent mis sur la Chine transparait tout au long de cette récente publication du CSIS. En particulier, la Chine occupe une place centrale dans le chapitre intitulé Intérêts américains et dangers en Asie.

La longue liste des pays dont il est question dans le chapitre intitulé Le rôle de nos alliés, de nos partenaires et des organisations régionales est particulièrement révélatrice. Cette liste inclut non seulement le Japon, l’Australie, la Corée du Sud, les Philippines, Singapour, avec qui Washington entretient déjà des alliances militaires, mais également l’Inde, le Vietnam, l’Indonésie et la Malaisie. Ces derniers devraient être classés, pour le moment, dans la catégorie des partenaires des États-Unis, mais comme l’a fait remarquer à plusieurs reprises New Eastern Outlook, le développement de relations plus globales entre ces États (en particulier l’Inde et le Vietnam) et les États-Unis est fortement balancé.

L’amplitude géographique choisie par les experts du CSIS dans leurs analyses du pivot de la diplomatie américaine est tout aussi révélatrice. L’interprétation large de ce qu’inclut la région Asie-Pacifique, qui comprend aujourd’hui les zones côtières et marines de l’océan Indien, n’est plus une nouveauté. Dans la même étude du CSIS apparaît un chapitre entier dédié à la région arctique.

Les résultats du travail des quatre groupes sont résumés dans le chapitre intitulé Recommandations pour assurer la pérennité du pivot vers l’Asie. Leur titre est évocateur :

– Coordonner la stratégie asiatique au sein du gouvernement des États-Unis, ainsi qu’avec nos alliés et partenaires ;
– Renforcer les aptitudes et compétences de nos alliés et partenaires, leur ténacité et leur inter-opérabilité ;
– Maintenir et étendre la présence militaire américaine ;
– Accélérer le développement des aptitudes et concepts innovants.

En regardant de plus près la dernière étude de la RAND Corporation, on constate que son auteur considère qu’elle serait (comme l’étude de l’année dernière) utile aux experts militaires qui modélisent les processus d’amorçage et de progression des conflits militaires modernes. Par ce terme on entend les conflits internationaux classiques (et pas de mystérieux conflits de nature non conventionnelle).

Les principaux soucis dans la modélisation des processus politiques (dont le conflit armé représente la manifestation la plus extrême) proviennent des difficultés qui apparaissent au cours de la nécessaire formalisation des problèmes, acquise en choisissant le système de contraintes et d’hypothèses, la recherche de la donnée brute et une méthodologie pour l’analyser, ainsi que l’interprétation plus ou moins fine des résultats de l’analyse.

Malgré le fait que la dernière (et également, la précédente) publication de la RAND Corporation ait été, avec raison, reçue très négativement par les dirigeants politiques chinois, il semble qu’elle sera tout de même sujette à une étude approfondie de la part des experts militaires chinois afin d’en extraire des informations pratiques. Les liens – ou l’absence de liens – officiels entre la RAND Corporation, le Pentagone ou la CIA ne seront cependant guère pris en compte par les analystes chinois.

Ainsi, la matière utilisable du rapport américain Feuille de match des forces militaires chinoises et américaines : état des troupes, topologie et évolution de l’équilibre des forces, 1997-2017, a été, fort heureusement, publiée juste avant une série de changements radicaux dans la stratégie de développement de l’armée chinoise, à la fin de l’année dernière.

Enfin, gageons que les observateurs du développement des relations internationales en Asie-Pacifique trouveront très alarmant que le problème d’un conflit armé entre les deux grandes puissances mondiales soit passé dans ces différents rapports du stade d’impensable au nouveau statut actuel d’envisageable.

À ce sujet, il est important de souligner que les auteurs des rapports du CSIS et de la RAND Corporation n’ont tout simplement pas pu avoir pris en compte le facteur du conflit armé pendant qu’ils compilaient leur étude. Au cours des derniers mois l’équilibre des priorités aux États-Unis s’est déplacé des questions de politique intérieure vers des questions de politiques étrangère, pour atteindre son paroxysme aujourd’hui.

Cette question de conflit armé à l’étranger a été la colonne vertébrale de la campagne présidentielle américaine, et nous ne pouvons exclure la possibilité que les nouveaux dirigeants américains devront revenir à la réalité et s’efforcer de résoudre des problèmes envisageables de politique intérieure plutôt que d’ambitionner des entreprises de politique étrangère qualifiées d’impensables.

Vladimir Terehov est expert sur les questions relatives à la région Asie-Pacifique. Il publie exclusivement pour le magazine en ligne New Eastern Outlook

Article original paru sur New Eastern Outlook

Traduit par Laurent Schiaparelli, édité par Wayan, relu par Cat pour Le Saker Francophone

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