Les États-Unis soutiennent l’incursion ukrainienne à Koursk


Par M.K. Bhadrakumar – Le 15 aout 2024 – Indian Punchline

Alors que l’incursion ukrainienne dans la région russe de Koursk se poursuit, la guerre se déroule en Russie pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. Il est stupéfiant de constater qu’environ 180 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays.

L’armée ukrainienne était apparemment à bout de souffle, selon le récit russe. Mais la maîtrise ukrainienne de la guerre combinée est exposée et elle est impressionnante – déployant tout, de la défense aérienne à la guerre électronique, en passant par les blindés et l’infanterie. L’Ukraine a montré qu’elle était capable de monter un assaut combiné et de faire souffrir les Russes. 

La meilleure interprétation que les analystes pro-russes ont pu trouver est que le Kremlin avait tendu un piège pour que les soldats ukrainiens soient une fois de plus passés au hachoir. C’est de la foutaise. Il est impossible de dissimuler la vérité nue, à savoir que l’armée russe se prend une déculottée.

Bien sûr, les Russes finiront par rassembler suffisamment de forces pour submerger les envahisseurs ukrainiens, mais cela risque de prendre du temps car il n’y a pas de ligne de front. Kiev, qui prétend contrôler 1 000 km2 de territoire russe, affirme qu’elle n’est pas intéressée par « prendre du territoire », mais qu’elle poursuivra son offensive jusqu’à ce que Moscou accepte « une paix juste ». Mais l’Ukraine a installé un centre de commandement à l’intérieur de la Russie, ce qui laisse présager une occupation prolongée.

Il s’agit sans aucun doute d’un énorme revers politique et diplomatique pour la Russie, qui montre qu’une victoire russe sur les champs de bataille ukrainiens n’est pas encore acquise. Cela n’est pas surprenant, puisque cette guerre clausewitzienne est une « guerre pure » (« absoluter Krieg ») – « la collision de deux forces vives » – et, par conséquent, un complexe d’interactions, à plusieurs niveaux et souvent imprévisible, où les objectifs des États belligérants seront invariablement influencés par le cours de la guerre.

Clausewitz a écrit dans son ouvrage classique intitulé « De la guerre » que la complexité de la guerre réelle est évidente dans ce qu’il appelle une « trinité remarquable » de passion, de raison et de hasard qui sous-tend les guerres.

La passion de la guerre, a-t-il analysé, est la « violence, la haine et l’inimitié primordiales » qui motivent les gens à se battre ; la raison de la guerre est le calcul des moyens pour atteindre les objectifs et la prise en compte des coûts et des avantages ; enfin, le hasard pertirbe toute l’entreprise.

Les exigences du président Vladimir Poutine concernant la fin de la guerre, telles qu’elles ont été exposées dans son discours percutant au ministère des affaires étrangères à Moscou le 14 juin, ont peut-être déclenché cette nouvelle phase de la guerre qui a débuté le 6 août. Les intentions du président Zelensky font l’objet de nombreuses spéculations. Le porte-parole du Pentagone, Patrick Ryder, insiste sur le fait que l’Ukraine n’a pas averti Washington à l’avance de ses plans, mais un fonctionnaire ukrainien a déclaré au journal The Independent que « des discussions ont eu lieu entre les forces partenaires, mais pas au niveau public ».

Poutine lui-même a estimé que « l’ennemi, avec le soutien de ses bailleurs de fonds occidentaux, exécute ses directives, et l’Occident utilise les Ukrainiens comme mandataires dans ce conflit. Il semble que l’adversaire cherche à renforcer sa position de négociation pour l’avenir ».

Poutine a ajouté que « ces actions visent clairement à atteindre un objectif militaire primordial : stopper l’avancée de nos forces dans leurs efforts pour libérer totalement les territoires des républiques populaires de Lougansk et de Donetsk, la région de Novorossiya » (lire l’ancien territoire impérial russe conquis sur les Cosaques et les Ottomans comprenant les huit oblasts actuels du sud-est de l’Ukraine : Odessa, Mykolayiv, Kherson, Dnipropetrovsk, Zaporizhya, Kharkov, Donetsk, Luhansk).

Carte de la région de Novorossiya

D’une manière générale, Zelensky a remis en question le concept de « zone de sécurité » de Poutine au-delà de la ligne de front. Poutine en a parlé pour la première fois en mars, dans un discours prononcé après sa réélection.  Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a expliqué : « Dans le contexte des attaques de drones (ukrainiens) et du bombardement de notre territoire : installations publiques, bâtiments résidentiels, des mesures doivent être prises pour sécuriser ces territoires. Ils ne peuvent être sécurisés qu’en créant une sorte de zone tampon, de sorte que tous les moyens utilisés par l’ennemi pour nous frapper soient hors de portée. »

Poutine lui-même a justifié plus tard – de manière intéressante, lors d’une visite en Chine – le lancement de l’offensive russe le 10 mai dans la région de Kharkov, au nord-est de l’Ukraine, dans la mesure où Moscou visait à « créer une zone de sécurité, une zone sanitaire. C’est ce que nous faisons ».

Mais l’Ukraine a depuis détourné le concept russe. Le vice-premier ministre et ministre de la réintégration des territoires temporairement occupés, Iryna Vereshchuk, a annoncé hier que les forces ukrainiennes créaient une « zone de sécurité » à l’intérieur de la Russie, près de la frontière avec l’Ukraine, afin de mener des opérations humanitaires, d’ouvrir des couloirs d’évacuation (tant en direction de la Russie que de l’Ukraine) et d’autoriser les organisations internationales à pénétrer dans la zone de conflit.

Vereshchuk a indiqué que les préparatifs et les consultations nécessaires étaient en cours. En effet, Farhan Haq, porte-parole adjoint du secrétaire général des Nations unies, a déclaré aux médias vendredi : « Il est certain que ces développements sont très préoccupants.  Nous n’avons pas de présence sur le terrain dans cette région… nous appelons toutes les parties concernées à agir de manière responsable et à assurer la protection des civils. Nous avons besoin de plus d’informations sur ce qui se passe pour comprendre exactement la nature du conflit dans la région de Koursk ».

Par ailleurs, Zelensky a également écrit hier sur les médias sociaux : « Réunion sur la situation dans la région de Koursk. Nous avons discuté des questions clés. La sécurité, l’aide humanitaire, l’établissement de bureaux de commandant militaire si nécessaire ». Alors que l’Ukraine internationalise ses opérations dans la région de Koursk, elle les étend parallèlement aux oblasts adjacents à Koursk.

La grande question est de savoir si Moscou a détourné les yeux de la balle et a commencé à rêvasser ces derniers mois avec des pensées séduisantes – la « disponibilité » de Zelensky pour des pourparlers ; la perspective d’une présidence de Donald Trump aux États-Unis ; les tensions (réelles ou imaginaires) entre Washington et Kiev ; les attentes d’un effondrement imminent de l’Ukraine et ainsi de suite. Alors que la dure réalité est que l’annexion de la Crimée et la bataille du Donbass restent des affaires inachevées.

Les drones ukrainiens à longue portée auraient frappé quatre bases aériennes russes dans la nuit du 14 août, ce qui constitue la plus grande attaque contre des aérodromes depuis le début de la guerre. Alors que les mois d’été cèdent la place à l’automne en octobre, l’offensive russe tant vantée pour mettre fin à la guerre n’est pas en vue.

Maintenant que la « ligne rouge » du Kremlin concernant les attaques épisodiques de drones ukrainiens sur le territoire russe a été massivement franchie à Koursk avec des « bottes au sol », quelle est la prochaine étape ? En effet, l’Ukraine pourrait sous-estimer l’avantage numérique de la Russie en termes d’effectifs et d’armement, et le défi de devoir redéployer des unités pour monter et soutenir l’incursion transfrontalière, ainsi qu’une logistique surchargée, est en effet décourageant.

D’autre part, le président américain en fin de carrière Joe Biden est un facteur « X » – un homme aigri consumé par sa propre haine viscérale de Poutine. Il dispose encore de cinq mois de pouvoir absolu, soit plus que le temps nécessaire dont a eu besoin Obama pour créer un fait accompli dans les relations américano-russes.

L’Ukraine utilise des armes fournies par des gouvernements occidentaux, notamment le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Allemagne, dans le cadre de son incursion en Russie. Des véhicules blindés de combat allemands et américains, ainsi que des chars britanniques, ont participé aux opérations terrestres de l’Ukraine. Cela montre que les menaces verbales du Kremlin ont de moins en moins de poids dans les capitales occidentales.

L’Ukraine combat peut-être au-dessus de son poids pour se défendre contre les bombes planantes dévastatrices de la Russie. Il n’en reste pas moins que chaque fois que Poutine mentionne les armes nucléaires tactiques, il s’agit toujours d’un message de dissuasion. La décision audacieuse de l’Ukraine de porter la guerre en territoire russe pourrait bien précipiter ce moment nucléaire.

Si ce moment crucial arrive, Biden pourrait répondre à l’utilisation par la Russie d’armes nucléaires tactiques par une réponse conventionnelle (c’est-à-dire non nucléaire), que la Russie risquerait de perdre. Tel pourrait bien être le plan de match de Biden.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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