Les États-Unis ne pourront pas gagner la guerre commerciale qu’ils s’imposent


Par Salman Rafi Sheikh – Le 2 juillet 2018 – Source New Eastern Outlook

À l’instar des nombreuses guerres ingagnables (Afghanistan, Irak, Libye, Syrie) lancées par les deux présidents américains précédents, la guerre que le président Trump a voulu lancer contre la Chine est également ingagnable. Non seulement parce que la Chine est un adversaire formidable et a la capacité de riposter massivement, mais aussi parce que la Chine elle-même est un trop grand marché pour les entreprises américaines et qu’elle peut nuire aux États-Unis sans avoir besoin d’imposer de nouvelles barrières douanières. Alors qu’à la fin 2017, l’investissement américain en Chine s’élevait à 14 milliards de dollars US contre 29 milliards de dollars d’investissements chinois aux États-Unis, en termes d’actions en bourse, les entreprises américaines ont « historiquement beaucoup plus d’investissements » en Chine, estimés à environ 256 milliards de dollars US, que les entreprises chinoises n’en ont aux États-Unis, selon un rapport du National Committee on United States-China Relations and Rhodium Group, publié en avril dernier. La Chine importait pour quelque 140 milliards de dollars US de produits américains l’année dernière, et elle n’aura aucun scrupule à mettre des obstacles sur le chemin de chaque entreprise américaine, y compris General Motors qui a vendu en Chine plus que d’autres entreprises automobiles y opérant comme Honda, BMW et Mercedes Benz. S’il ne fait aucun doute que, comme les diverses annonces du président américain nous le disent, même si les États-Unis peuvent nuire aux intérêts chinois pour une valeur de 450 milliards de dollars américains, un certain nombre d’entreprises américaines opérant en Chine commenceraient également à faire face à une crise qui, si le passé est un guide pour l’avenir, pourrait éventuellement mettre un terme à cette guerre commerciale.

Par exemple, en 2016, lorsque les Philippines ont décidé de porter le cas des îles de la mer de Chine du Sud à La Haye pour arbitrage, la Chine a riposté de manière inattendue en émettant simplement un avis de non-conformité sur les bananes philippines, disant qu’ils avaient détecté un ravageur appelé Dysmicoccus neobrevipes dans un envoi à Shenzhen, un point d’entrée majeur pour les bananes philippines en Chine. Les Philippines avaient exporté près de 450 000 tonnes de bananes vers la Chine en 2016 pour une valeur de 157,5 millions de dollars américains. Après l’incident, la Chine a détruit 35 tonnes de bananes et suspendu 27 exportateurs. Un tel incident s’est également produit en 2012 lorsqu’une dispute s’est déclenchée entre la Chine et les Philippines au sujet des récifs de Scarborough. Cette dispute a commencé le 8 avril lorsque les Philippines ont envoyé leur marine pour affronter les navires chinois pêchant dans la région, forçant la Chine à prendre des mesures contre ses importations de fruits en provenance des Philippines qui frappèrent leur économie et obligea leurs autorités à rechercher d’autres marchés, au Moyen-Orient et dans d’autres régions.

En ce qui concerne les États-Unis, leur guerre commerciale avec la Chine va faire beaucoup de mal aux entreprises privées américaines qui opèrent en Chine. Même si les taxes douanières américaines vont toucher également les entreprises chinoises, ces entreprises appartiennent à l’État et il est peu probable qu’elles exercent des pressions sur leur gouvernement pour mettre fin à la guerre.

En 2018, McDonald’s compte environ 2500 points de vente en Chine. Actuellement, elle prévoit d’augmenter le nombre de ses points de vente à 4500 d’ici 2022. Starbucks ouvre également un nouveau point de vente en Chine toutes les 15 heures et prévoit d’en ajouter 2 000 autres d’ici 2021. Si cette guerre commerciale devient sérieuse et que les deux parties commencent à riposter, ces deux entreprises devront peut-être revoir leurs plans. General Motors, qui a livré plus de 1,1 million de véhicules à la Chine en 2016, à comparer aux 202 000 véhicules livrés aux États-Unis, devrait également faire de même et chercher d’autres marchés. D’autres sociétés basées aux États-Unis, comme Apple, commencent déjà à ressentir la pression, et Tim Cook d’Apple a déclaré à Trump, en avril, que la guerre commerciale avec la Chine, où Apple possède 41 magasins (la région la plus importante pour elle en dehors des États-Unis) et où ses ventes ont déjà diminué, n’était pas une bonne chose.

La guerre s’étendra à d’autres marchés

Un facteur crucial qui nuira davantage aux États-Unis est que leur politique douanière ne nuira pas seulement à la Chine. D’une part, ces tarifs vont nuire à leurs relations économiques avec d’autres pays et, d’autre part, toute baisse des exportations chinoises vers les États-Unis aura un impact majeur sur un certain nombre d’économies asiatiques, qui agissent en tant que fournisseurs de produits, comme les puces de smartphone, que la Chine utilise pour fabriquer des produits qu’elle exporte vers les États-Unis.

Les droits de douane imposés par les États-Unis ont déjà déclenché une guerre commerciale entre les États-Unis et leur ancien allié en Asie, l’Inde. Lorsque Trump a récemment mentionné l’Inde au G7 et a menacé d’imposer des droits de douane supplémentaires, cela n’a pas amusé Delhi. Aujourd’hui, l’Inde prévoit d’augmenter les droits de douane de 50 % sur une liste révisée de 30 produits américains, y compris les motos, les lentilles et certaines marchandises en acier. L’Inde a également décidé d’augmenter les droits d’importation pour contrer l’impact de l’augmentation des droits de douane américains sur certains produits de l’acier et de l’aluminium, ce qui aurait des répercussions d’environ 240 millions de dollars sur l’Inde.

Il ressort clairement de la notification adressée par l’Inde à l’OMC que les droits imposés et les concessions suspendues « sont substantiellement équivalents au volume des échanges affectés par les mesures imposées par les États-Unis ».

Ces tensions économiques ont déjà conduit la Chine à forger de meilleurs liens avec l’Inde, d’une manière qui pourrait permettre à ces deux pays de contrer le défi commercial lancé par Trump. Avant le sommet Modi–Xi en avril, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lu, a déclaré que « le monde est maintenant confronté à l’unilatéralisme rampant ainsi qu’au protectionnisme croissant dans le processus de mondialisation. Toutes ces tendances ont été suivies de près et débattues ». « Dans un tel contexte, la Chine et l’Inde ont beaucoup à discuter. Nous sommes de nouveaux marchés émergents ainsi que des pays en développement à forte population, et nous pensons que les deux pays continueront à soutenir la mondialisation afin qu’elle soit plus inclusive », a ajouté Lu.

D’une certaine manière, cette guerre commerciale a largement aidé l’Inde et la Chine à surmonter leur différend au sujet du Doklam et à reconfigurer leurs relations dans un contexte économique mondial en plein changement. Les États-Unis s’éloignent donc involontairement d’un pays allié qu’ils considéraient, il y a encore peu de temps, comme un rempart contre la Chine pour les 100 prochaines années, puis ont été contraints de reporter leur dialogue stratégique 2+2, conséquences des relations économiques tendues.

Il y a donc toutes les chances que la guerre commerciale imposée par les États-Unis se retourne contre eux, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan géostratégique, donnant aux États-Unis suffisamment de raisons pour revoir leur « stratégie de guerre » et donnant également des raisons au président Trump de revoir sa position pour éviter qu’un autre président échoue encore à gagner une nouvelle guerre auto-imposée.

Salman Rafi Sheikh

Traduit par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone.

 

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