Les radicaux juifs ont attendu des décennies pour arriver au pouvoir. Ils ont maintenant le nombre nécessaire et sont peu enclins à laisser cette opportunité leur échapper.
Par Alastair Crooke – Le 23 avril 2023 – Source Al Mayadeen
Les événements au Moyen-Orient ont évolué rapidement. Une « décennie de changement » a été comprimée en quelques mois à peine : une Entente mondiale a été conclue entre Poutine et Xi Jinping ; la Chine a servi de médiateur pour un accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite. Le président Raïssi rencontrera le roi Salman après l’Aïd ; des pourparlers sérieux sur le cessez-le-feu ont été entamés au Yémen. La Chine et la Russie ont persuadé la Turquie et l’Arabie saoudite de réhabiliter le président Assad ; le ministre syrien des Affaires étrangères s’est rendu à Riyad. L’Arabie saoudite s’est rapprochée de la Chine ; l’OPEP+ a réduit l’offre de brut. Et partout, du Sud au Moyen-Orient, le dollar américain est abandonné en tant que monnaie d’échange au profit des monnaies nationales.
Un nouveau paradigme se consolide.
Sur le plan géopolitique, l’hégémonie occidentale dans la région s’est effondrée et il est pulvérisée. Les néoconservateurs ne parviendront pas à recoller les morceaux.
Et, à un autre niveau, un axe de voix à travers la région (le jour d’Al-Quds) s’est exprimé de manière convaincante et unanime pour dire que le cas israélien devrait être « soigné » avec beaucoup d’attention de peur que la situation ne dégénère.
L’establishment israélien de la sécurité – bien qu’en termes codés – voit cette perspective d’une manière tout aussi sombre. Moshe Yaalon, ancien ministre de la défense, a récemment déclaré que les « radicaux » au sein du gouvernement israélien voulaient une « grande guerre » ; et quand « Israël » veut une guerre, il l’obtient généralement ; et cette guerre se fera sur la base de la question palestinienne, a suggéré Yaalon. Coïncidence, le renseignement militaire israélien dit la même chose : les chances d’une « vraie guerre » cette année vont augmenter.
En d’autres termes, les événements en « Israël » ne sont plus « contrôlés » par personne. Les forces « nouvellement » habilitées issues du fanatisme sioniste des colons et de la droite religieuse et qui veulent instituer « Israël » sur la « Terre d’Israël » ne sont pas sur le point de « disparaître » de la scène. Elles ne poursuivent pas un projet géopolitique rationnel issu des Lumières, mais la « volonté de Yahvé » . Et cela constitue une dynamique tout à fait différente.
Les radicaux juifs ont attendu des décennies avant d’arriver au pouvoir. Ils ont désormais le nombre nécessaire et ne veulent pas laisser cette opportunité leur échapper.
Les États-Unis exercent une pression énorme sur le Premier ministre Netanyahou pour qu’il abandonne la « réforme » judiciaire, qui constitue pourtant la clé de voûte de tout l’édifice de la « Terre d’Israël » : un projet qui repose sur la « reprise » de toute la Cisjordanie des mains des Palestiniens. Une entreprise qui a le potentiel d’ébranler la région au plus profond d’elle-même et de déclencher une guerre.
C’est une entreprise dans laquelle la droite israélienne soupçonne que la Cour suprême pourrait très bien glisser une « clé » . Et elle aurait raison.
Le président Biden n’a toutefois pas besoin, à ce stade, d’un « conflit » au Moyen-Orient en plus de la guerre en Ukraine. Il y a une vingtaine d’années, l’ancien Premier ministre Sharon a eu la prescience de prévoir que la puissance américaine dans la région s’affaiblirait et que les États-Unis s’avéreraient finalement impuissants à empêcher « Israël » de « s’emparer » de la terre biblique d’« Israël » . Cette intuition s’est probablement concrétisée en ce moment même.
Il est bien sûr possible que Netanyahou tente de faire marche arrière. Le Premier ministre a souvent préféré la prudence. Mais, de manière réaliste, peut-il reculer ?
Il est l’otage de ses partenaires de coalition – s’il souhaite éviter la prison – et seule la composition actuelle de son gouvernement peut le protéger. En l’absence de cette protection, des procédures judiciaires s’ensuivront inévitablement. Rien n’indique que d’autres partenaires de la coalition soient prêts à s’associer à Netanyahou, quasiment à n’importe quel prix.
Il n’est pas difficile de comprendre les origines de l’intransigeance radicale des Mizrahi à l’égard de la Cour suprême. Les partisans d’un État juif, plutôt que d’un État « démocratique » équilibré (laïque), sont en nombre suffisant. Ils l’étaient lors du cycle électoral de 2019. Les Haredim, les nationaux-religieux et les Mizrahim auraient dû avoir suffisamment de voix pour obtenir 61 sièges à la Knesset (une majorité).
Mais au cours de quatre campagnes électorales, la « droite » n’a pas réussi à concrétiser sa majorité, les Arabes palestiniens membres de la Knesset étant entrés dans le jeu de la formation de coalitions pour empêcher la droite (qui comprend les Mizrahim) de tirer parti de sa supériorité numérique.
Le ministre Smotrich a écrit à l’époque dans un message sur Facebook que si cette situation persistait, la droite resterait à jamais une minorité.
C’est le désir de s’assurer que la majorité atteigne le pouvoir qui est à l’origine de l’agenda visant à neutraliser la Cour suprême et à expulser les partis arabes de la Knesset. C’est alors – et alors seulement – que l’establishment ashkénaze laïque et libéral pourra être vaincu (dans cette perspective) et qu’un État juif sur la terre biblique d’« Israël » pourra voir le jour.
Si cet État s’avère également « démocratique » , c’est bien – mais tout attribut démocratique serait entièrement subsidiaire par rapport à sa « judéité » .
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par, pour le Saker Francophone