Les dernières manœuvres sino-européennes en réponse au « protectionnisme » étatsunien


Par Vladimir Terehov – Le 5 juin 2018 – New Eastern Outlook

Parmi les principaux participants au nouveau jeu mondial de l’après guerre froide on observe des signes d’agitation, visibles depuis un an et demi, face à la nouvelle politique de l’administration Trump dont le slogan est : « Frapper avec des droits de douane sur les importations ceux qui volent notre nation ». Et le mot « voleurs » ne désigne pas seulement la Chine, le principal rival géopolitique des États-Unis, mais aussi leurs alliés.

Ces paroles fortes sont soutenues par des chiffres concrets. Les déficits commerciaux annuels entre les États-Unis et la Chine, l’Union européenne et le Japon s’élèvent respectivement à 370 milliards de dollars, 120 milliards de dollars et 60 milliards de dollars. Les trois « coupables » ne peuvent pas nier cette « facture », mais ils doivent répondre d’une manière ou d’une autre à ces graves accusations des États-Unis (et à des « contre-mesures » encore plus graves).

Ainsi, la réaction de ces « opposants et alliés » aux américains commence à ressembler à celle d’une ruche d’abeilles, avec de fréquentes visites entre hauts responsables gouvernementaux, des forums et des conférences scientifiques, le tout sous des slogans unificateurs du genre « dire non au protectionnisme et au séparatisme économique au niveau national ».

La relation sino-européenne est particulièrement active, en dépit de la complexité des relations entre les participants. Il convient de rappeler que l’Union Européenne (ainsi que les États-Unis et pratiquement tous les partenaires commerciaux de la Chine qui se développe rapidement) est sensiblement déficitaire dans ses échanges commerciaux avec ce pays. Pas autant que les Américains, mais d’un montant annuel assez substantiel se situant autour de 200 milliards de dollars pour un volume commercial assez constant avec la Chine (environ 600 milliards de dollars).

Jusqu’à présent, peu de progrès ont été observés dans les négociations d’accords bilatéraux de libre-échange (encore possible à l’été 2017 entre le Japon et l’Union européenne). Les pays de l’UE (en particulier l’Allemagne) se méfient de plus en plus du rachat de facto par Pékin des actifs manufacturiers d’Europe occidentale, en particulier ceux qui se spécialisent dans la haute technologie.

Tout cela s’est traduit par une baisse notable d’enthousiasme envers le projet chinois de Nouvelle route de la soie (NRS) par l’une des destinations finales clés du projet, l’Europe. Pourquoi construire de nouveaux itinéraires de transport « lisses comme la soie » alors que ceux qui existent inondent déjà les marchés européens de produits chinois bon marché, ruinant ainsi les fabricants locaux ?

Les énormes investissements financiers initiaux dans des projets tels que la NRS ne sont pas faits dans le but d’assurer des conditions de voyage confortables pour des hordes de futur touristes.

Bruxelles est déjà ébranlée par la pénétration croissante de la Chine via les négociations 16+1 avec l’Europe de l’Est. De nouvelles connexions prennent forme avec les quatre pays de Visegrád, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie.

Pourtant, face à la menace commune d’une guerre commerciale avec le leader mondial, qui emploie les mêmes méthodes de pression économique sur ses « adversaires et ses alliés » pour résoudre des problèmes purement politiques (par exemple dans le cas de l’Iran), la Chine et l’UE tentent de rechercher des contre-mesures conjointes tout en résolvant leurs problèmes de relations bilatérales.

Lors de son intervention à la dernière session de l’Assemblée populaire nationale chinoise, le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a mentionné l’existence de « plusieurs désaccords » avec l’UE, mais a ensuite souligné que les deux parties soutiennent « la sauvegarde du libre-échange et la poursuite des négociations entre l’UE et la Chine en vue de conclure des accords d’investissement mutuel ».

Pékin est devenue la destination de pèlerinage politique et économique pour pratiquement tous les politiciens européens influents. De hauts responsables chinois effectuent à leur tour des tournées actives dans divers pays européens, tout aussi fréquemment.

Parmi les récentes réunions de cette nature, il convient de mentionner la visite à Pékin, le 15 mai, de Federica Mogherini, responsable de la politique étrangère de l’UE, et la tournée politique en France, en Espagne et au Portugal, du 16 au 19 mai, du ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, qui a ressenti le besoin de « synchroniser les montres » avec les États membres de l’UE avant de se rendre à Buenos Aires pour la réunion des ministres des Affaires étrangères du G20.

Cependant, sans aucun doute, la réunion la plus importante parmi celles mentionnées précédemment a été la visite de travail d’Angela Merkel à Pékin les 24 et 25 mai, à l’invitation de son collègue chinois Li Keqiang. Il est à noter qu’au même moment, l’ancien président français, François Hollande, était également en visite en Chine et a rencontré le dirigeant chinois Xi Jinping, qui a exprimé sa « pleine confiance » dans les perspectives de relations sino-françaises.

Nous avons noté à plusieurs reprises l’accueil spécial réservé à Angela Merkel en Chine, où la chancelière allemande est considérée comme le personnage politique le plus influent d’Europe occidentale.

Lors de la rencontre avec Merkel, Xi Jinping a noté que, au cours de sa 11e visite en Chine, la chancelière a souligné l’importance des liens bilatéraux entre les deux pays, la largeur et la profondeur de la coopération atteignant un « niveau sans précédent ». Le dirigeant chinois s’est félicité de « la volonté de l’Allemagne de tirer parti des opportunités que présente le nouvel ensemble de réformes initiées par la Chine ».

Merkel, pour sa part, après avoir noté « les énormes changements qui se produisent dans le monde aujourd’hui », a souligné la nécessité de « renforcer les efforts de communication et de coordination par la Chine et l’Allemagne sur la scène internationale, comme pendant le prochain sommet du G20 ».

Reuters a rapporté que la réunion entre Xi et Merkel montre que le motif sous-jacent en est la tentative de contrebalancer les politiques protectionnistes de Donald Trump.

Pendant ce temps, on n’observe pas de tentative pour dépeindre cette coordination des efforts sino-allemands (sino-européens) comme étant de nature essentiellement anti-américaine. La Chine et l’UE sont très désireuses de conserver leur accès au marché américain. De même, les États-Unis doivent également maintenir des liens commerciaux et économiques avec la Chine et l’UE, ce qui explique les efforts continus pour résoudre les problèmes commerciaux et économiques dans les relations des États-Unis avec la Chine et avec l’UE.

Néanmoins, il est important de se souvenir du Japon, un pays ayant la troisième plus grande économie du monde, ou peut-être la quatrième plus grande si l’UE est considérée comme une entité économique indépendante.

Ainsi, il est plus précis de parler de manœuvres commerciales et économiques complexes (et inévitablement politiques) dans le contexte d’un rectangle stratégique global USA-Chine-UE-Japon.

L’importance de la Russie dans les relations économiques mondiales actuelles laisse beaucoup à désirer. En termes de volumes d’échanges, la Fédération de Russie est sensiblement à la traîne par rapport aux liens existants dans le rectangle susmentionné.

C’est pourquoi le « développement économique » a pris une place centrale dans le discours public de la direction russe. Et transformer ces mots en actions concrètes est devenu un aspect clé qui déterminera la position de la Russie dans ce nouvel ordre mondial en pleine mutation.

Vladimir Terekhov

Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.

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