Les dépenses militaires sont le carburant du capitalisme mondial


Le 20 avril 2016 – Source Systemic Disorder

Nous sommes ici pour apporter la démocratie. Répète après moi : dé-mo-cra-tie! (Dessin de Carlos Latuff)

Il est courant pour les militants de décrier les sommes d’argent énormes dépensées pour l’armée. Alors qu’un grand nombre de programmes sociaux, ou d’écoles, ou d’autres prestations publiques pourraient être financés.

Le cas des États-Unis n’est pas le moindre, qui de tous les pays dépensent de loin le plus pour leur armée. Le budget officiel du Pentagone pour 2015 était de $596 milliards, mais les dépenses réelles sont beaucoup plus élevées. (Nous utiliserons ici les chiffres de 2015 parce que c’est la dernière année pour laquelle les données sont disponibles pour établir des comparaisons internationales.) Si nous ajoutons les dépenses militaires enregistrées dans d’autres secteurs du budget du gouvernement fédéral étasunien, nous dépassons $786 milliards selon une étude menée par la Ligue des résistants à la guerre [War Resister’s League – WRL]. Les prestations pour les anciens combattants ajoutent encore $157 milliards. WRL inclut aussi 80% des intérêts du déficit budgétaire et cela met le grand total bien au-dessus de mille milliards de dollars.

La Ligue des résistants à la guerre note que d’autres organisations estiment que 50% à 60% de l’intérêt serait plus exact. Alors divisons la différence – si nous affectons 65% du paiement des intérêts aux dépenses militaires passées (la moyenne entre les estimations haute et basse), alors le véritable montant des dépenses militaires des États-Unis était de 1 250 milliards de dollars. Oui, c’est une somme gigantesque. Si gigantesque que c’était plus que les dépenses militaires de tous les autres pays de la terre réunis.

La Chine est au deuxième rang en termes de dépenses militaires, mais loin derrière, avec 215 milliards de dollars américains en 2015, selon une estimation de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. L’Arabie saoudite ($87.2 milliards), la Russie ($66.4 milliards) et la Grande-Bretagne ($55.5 milliards) complètent la liste des cinq premiers. Et pour ne pas oublier de référer le budget gonflé du Pentagone à la taille de l’économie des États-Unis, le budget officiel de $596 milliards a représenté 3.5% de son produit intérieur brut, le quatrième ratio le plus élevé au monde, tandis que la Chine a dépensé 2.1% de son PIB pour son armée. Mais si nous utilisons le total effectif des dépenses militaires étasuniennes, alors celles-ci passent à la deuxième place par rapport au PIB, derrière l’Arabie saoudite.

Les États-Unis maintiennent des bases militaires dans 80 pays, et ont du personnel militaire dans environ 160 pays et territoires étrangers. Une autre manière de considérer cette question est de regarder le nombre de bases militaires étrangères : les États-Unis en ont environ 800, tandis que le reste du monde, pris en totalité, en a peut-être 30, selon une analyse publiée par The Nation. Presque la moitié de ces bases appartiennent à la Grande-Bretagne et à la France.

Demander aux autres de payer plus, c’est soutenir l’impérialisme

Y a-t-il une sorte d’altruisme dans la propension des États-Unis à se poser comme le gendarme du monde ? Eh bien, c’est une question rhétorique, à l’évidence, mais un tel aveuglement est très répandu, et pas seulement dans le milieu de la politique étrangère.

Une ligne de critique entendue quelques fois, en particulier pendant cette année de campagne présidentielle, est que les États-Unis devraient demander à leurs alliés de payer leur juste part. Ce n’est pas seulement dans les partis de droite que cette phrase s’entend, mais même chez le populiste de gauche Bernie Sanders, qui a insisté au cours du débat de ce mois [d’avril, NdT] avec Hillary Clinton à Brooklyn, pour que d’autres membres de l’Otan paient davantage, afin qu’on puisse couper dans le budget du Pentagone. Le sénateur Sanders a dit cela dans un contexte où il mettait en évidence les meilleures prestations sociales fournies en Europe comparées à celles des États-Unis, mais ce que cela implique réellement, c’est que le militarisme est justifié.

À part que le dossier du sénateur Sanders sur l’impérialisme est loin d’être aussi différent de celui de la secrétaire d’État Clinton que ses partisans ne le croient, c’est le reflet du point auquel l’impérialisme a pénétré les Étasuniens jusqu’à l’os, si même le candidat se posant comme un insurgé de gauche ne met pas sérieusement en question l’ampleur des opérations militaires, ni leur but.

Alors pourquoi les dépenses militaires des États-Unis sont-elles si élevées ? C’est parce que l’usage répété de la force est nécessaire pour maintenir le système capitaliste. En tant que maître incontesté dans le système capitaliste mondial, il revient aux États-Unis de faire le nécessaire pour se maintenir, eux et leurs sociétés multinationales, dans le siège du pilote. Cela a été un projet couronné de succès. Les multinationales basées aux États-Unis détiennent la part la plus élevée au monde dans 18 des 25 grands secteurs industriels, selon une analyse parue dans New Left Review, et souvent en exigeant des marges – les multinationales détiennent au moins 40% de part mondiale dans 10 de ces secteurs.

Une liste partielle des interventions américaines depuis 1890, telle qu’elle a été compilée par Zoltán Grossman, professeur à Evergreen State College à Olympia, dans l’État de Washington, recense plus de 130 interventions militaires à l’étranger (sans y inclure l’usage de troupes pour réprimer des grèves aux États-Unis). Celles-ci ont été constamment utilisées pour imposer les diktats américains sur de plus petits pays.

Au début du XXe siècle, le président des États-Unis William Howard Taft a déclaré que sa politique étrangère consistait à «intégrer l’intervention active pour sécuriser nos marchandises et les occasions de nos capitalistes de faire des investissements rentables» à l’étranger. Taft a renversé le gouvernement du Nicaragua, pour le punir d’avoir fait un emprunt auprès d’une banque britannique plutôt qu’à une banque américaine, puis a placé les recettes douanières de ce pays sous contrôle étasunien et confié à deux banques étasuniennes le contrôle de la banque nationale et des chemins de fer du Nicaragua. Peu de choses ont changé depuis, avec les renversements des gouvernements de l’Iran (1953), du Guatemala (1954), du Brésil (1964) et du Chili (1973), et plus récemment l’invasion de l’Irak et la tentative de renversement du gouvernement du Venezuela.

Des hommes musclés pour les grandes entreprises

Il suffit de rappeler la déclaration du général du corps des Marines, Smedley Butler, qui a résumé sa carrière très décorée de la manière suivante en 1935 :

«J’ai passé 33 ans et 4 mois [dans] le corps des Marines. […] Pendant cette période, j’ai passé la plus grande partie de mon temps à être un homme musclé de première classe pour les grandes entreprises, pour Wall Street et pour les banquiers. Bref, j’ai été un racketteur pour le capitalisme.»

Le refus des deux grands partis de reconnaître cela, est illustré par les récits étasuniens concernant la guerre du Vietnam. Le débat mené dans les médias commerciaux ne se déroule qu’entre deux points de vue acceptables : un effort louable qui a échoué tragiquement, ou un effort bien intentionné mais défaillant qui n’aurait pas dû être entrepris si les États-Unis n’étaient pas prêts à combattre sérieusement. Peu importe que le tonnage de bombes larguées sur le Vietnam ait été plus important que tout ce qui a été déversé par tous les combattants réunis pendant la Seconde Guerre mondiale, que 3 millions de Vietnamiens aient été tués, des villes réduites en cendres et des millions d’hectares de terres agricoles détruites. Dans quelle mesure sensée cela a-t-il pu être qualifié de combattre «sans essayer vraiment», comme la mythologie de droite continue à l’affirmer ?

Aucune grande entreprise moderne ne serait complète sans la sous-traitance, et le Pentagone n’a pas lésiné sur ce plan. Ce n’est pas une référence aux bénéfices massifs, et souvent garantis, dont les marchands d’armements bénéficient grâce à des opérations d’approvisionnement par le biais de sociétés qui leur sont liées, mais plutôt dans l’enseignement des techniques de torture à d’autres armées, de manière à ce qu’une partie du sale boulot de maintenir le capitalisme puisse être exécuté localement.

Une carte toujours très parlante…La Russie veut la guerre, voyez comme ils rapprochent leurs frontières de nos bases militaires

L’infâme École des Amériques, école de l’armée étasunienne, qui se présente dernièrement sous le nom faussement inoffensif d’Institut de l’hémisphère occidental pour la coopération en matière de sécurité (Western Hemisphere Institute for Security Cooperation), a longtemps été une école de fin d’études pour le personnel chargé de faire respecter la loi des dictatures civiles et militaires dans toute l’Amérique latine. Le major Joe Blair, qui a été le directeur de l’enseignement à l’École des Amériques de 1986 à 1989, avait ceci à dire au sujet du programme :

«La doctrine enseignée était que si vous voulez une information, vous utilisez la violence physique, la séquestration, les menaces aux membres de la famille et le meurtre. Si vous ne pouvez pas obtenir l’information que vous voulez, si vous ne pouvez pas obtenir que ces personne se taisent ou cessent de faire ce qu’elles font, vous les assassinez – et vous les assassinez avec l’un de vos escadrons de la mort.»  

Le changement de nom, il y a plus de dix ans, était cosmétique, a déclaré le major Blair lors de son témoignage en 2002, lors d’un procès de manifestants contre l’École des Amériques :

«Il n’y a pas de changement fondamental à part le nom. Ils dispensent les mêmes cours que je ceux que je donnais, ils ont changé l’intitulé des cours et utilisent les mêmes manuels.»

Toute l’histoire du capitalisme est construite sur la violence, et la violence a été utilisée pour à la fois imposer et maintenir le système, dès ses premiers jours. L’esclavage, le colonialisme, la dépossession des biens communs, les lois draconiennes forçant les paysans à aller dans les fabriques et le contrôle de l’État pour qu’il réprime toute opposition à la coercition économique, ont construit le capitalisme. Les formes de domination changent au fil des années, et aujourd’hui elles sont souvent financières plutôt qu’ouvertement militaristes (bien que le poing armé soit tapi derrière) ; peu importe, l’exploitation est le cœur de la richesse.

Demander la répartition de ce coût, c’est demander de poursuivre l’exploitation, la domination et l’impérialisme, et rien d’autre.

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker francophone

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