Par Alexander Mercouris – Le 26 mai 2016 – Source thesaker.is
Comme le gouvernement russe survit à une période d’impopularité causée par la récession, certains parlent de la purge que Poutine s’apprête à appliquer à son cabinet ministériel, mais c’est presque certainement faux.
Un article paru récemment dans le Huffington Post [Traduit par le Saker Francophone] analyse les rumeurs d’une purge imminente des libéraux du gouvernement russe. Selon cette vision, le président Poutine est soumis à une pression croissante de la part des tenants de la ligne dure au sein de l’élite politique russe, pour pratiquer une purge complète des atlantistes et des libéraux au sein du gouvernement.
Les extrémistes demanderaient aussi une révision totale de la politique économique. Ils veulent que Poutine abandonne la politique actuelle libérale orientée sur le libre marché, en faveur d’une mobilisation économique du pays pour résister au défi de l’Occident. Les détails sont sommaires, mais indubitablement, ce dont on parle inclut la réintroduction du contrôle des capitaux et de formes de planification centralisée allant largement au-delà de ce que pratique actuellement la Russie.
Le premier point à relever à propos de cet article dans le Huffington Post, est qu’il répète pour l’essentiel ce qui a été dit il y a un mois dans un article du Saker publié par Unz Review et sur son propre site. La similitude est en fait si grande, que je trouve impossible de le ramener à une simple coïncidence. C’est clair, des rumeurs circulent et tant The Saker que l’historien Stephen Cohen (la source principale de l’article du Huffington Post) y puisent.
Quelles sont toutefois les perspectives d’une purge de libéraux en train de se faire en Russie ? Pour répondre brièvement, je suis sûr qu’il n’y en a pas.
Le Saker et Crooke ont tous deux raison de dire que le gouvernement russe dirigé par Dmitry Medvedev est soumis à une critique féroce en Russie, et de nombreuses personnes demandent avec force un changement de direction radical.
Ils ont aussi tous les deux raison de dire que Poutine n’est pas la cible de ces critiques et que sa popularité est indemne. Ceux qui critiquent le gouvernement ne contestent pas Poutine. Ils veulent plutôt – comme ils le pensent – que ce soit lui qui éjecte les libéraux de son gouvernement.
À cela s’ajoute que dans les programmes de débat de la télévision russe, les critiques au gouvernement sont de plus en plus nombreuses et farouches et que certaines d’entre elles sont portées par des responsables officiels comme Bastrykine, le chef sans concession de l’agence de lutte contre le crime de l’élite russe, le Comité d’enquête de la Fédération de Russie.
Rien de tout cela, toutefois, n’indique de purge en cours, à mon avis. C’est faux de dire que les médias en Russie sont solidement contrôlés et qu’aucune critique non autorisée au gouvernement n’y est tolérée. Au contraire, les médias en Russie – y compris la télévision – regorgent de débats et de critiques, pas seulement du gouvernement, mais pratiquement sur tout ce qui se passe en Russie.
Aujourd’hui, la Russie a une opinion publique active et diverse qui n’a plus peur de s’exprimer, et c’est une erreur de faire des hypothèses sur ce qui se passe au Kremlin à partir de ce qu’elle dit.
Je dois dire que je n’ai pas l’impression que Poutine pense à congédier le gouvernement ou un des hauts responsables actuellement critiqués. Au contraire, il s’ingénie souvent à affirmer son soutien à leur endroit. Il l’a fait largement, par exemple, au cours de son récent marathon télévisé. D’ailleurs, ses réunions avec ses responsables, tels qu’elles sont rapportées sur son site, donnent toutes l’impression d’être empreintes de coopération et de cordialité.
Quant à la conduite des officiels eux-mêmes, je n’ai pas l’impression, à en juger d’après le comportement de gens comme Medvedev, Ulyukaev, Silouanov ou Nabioullina, qu’ils se sentent mis sous pression ou qu’ils considèrent eux mêmes de courir un risque grave de perdre leur poste.
Il n’y a aucune raison de penser que Poutine est en désaccord avec la direction actuelle de la politique économique. Celle-ci peut se résumer à un accent prioritaire sur la réduction de l’inflation (le but étant de la faire baisser à 4% l’an prochain), une discipline budgétaire stricte et des efforts pour améliorer le climat des affaires, tout cela afin de favoriser une augmentation de la part des investissements dans l’économie.
Cela va de pair avec la volonté d’adopter une planification dans la politique industrielle, par exemple dans l’industrie de la construction aéronautique.
J’ajouterai que je n’ai rien vu ni entendu qui suggère que les officiels et les ministres critiqués soient déloyaux envers Poutine ou s’opposent à sa politique étrangère ou de défense. Aucun d’entre eux n’a laissé entendre le moindre désaccord avec la politique à l’égard de la Crimée, de l’Ukraine ou de la Syrie.
La supposée tension au sein du gouvernement sur la taille du budget militaire me semble exagérée et pourrait être un mythe. Comme je l’ai dit auparavant, les affirmations que Koudrine a démissionné du ministère des Finances sur cette question sont fausses. Les affirmations de désaccord sur la taille du budget militaire sont de toute façon fondées sur la théorie que la Russie subit une crise budgétaire. C’est tout simplement faux, exactement comme l’étaient les affirmations que la Russie était confrontée à un effondrement du crédit.
Le seul domaine majeur de désaccord entre Poutine et ses ministres a été, par le passé, celui de la politique des retraites.
Il est indubitable que le gouvernement voulait augmenter l’âge de la retraite. Jusqu’à récemment, Poutine a résisté à cette idée. Il y a quelques mois, cependant, il a finalement signalé qu’il avait changé d’avis. Il est peu probable que cela arrive avant l’élection présidentielle de 2018.
Pour le reste, Poutine a toujours exclu le contrôle des capitaux, celui des prix, ou les propositions d’augmenter les taux d’impôts sur le revenu, et il a sans nul doute soutenu la décision prise en 2014 de laisser flotter le rouble.
Les idées de Poutine sur la question controversée des privatisations semblent aussi correspondre à celles de ses ministres.
Il est largement favorable à l’idée et n’a montré aucun désir de revenir sur les privatisations des années 1990. Cependant – à l’exaspération de beaucoup de gens dans la communauté d’investissement occidentale – il n’est pas un fanatique des privatisations et ressent clairement que le gouvernement a un rôle permanent à jouer dans la gestion directe d’entreprises importantes, essentielles pour l’économie.
Bien qu’il accueille favorablement les investissements étrangers en Russie, il est tout à fait déterminé à maintenir sous contrôle russe les secteurs clé comme l’énergie, la banque, les infrastructures nationales et les grandes entreprises, déterminantes pour le secteur de la défense.
Il a notamment exclu d’autoriser les banques occidentales à ouvrir des succursales en Russie. Tandis que les banques occidentales sont invitées à travailler en Russie – et nombre d’entre elles le font – leurs opérations doivent être réglementées par la Banque centrale russe, exactement de la même manière que les banques russes.
De même, bien que Poutine soutienne les investissements étrangers dans le secteur russe de l’énergie, Gazprom et Rosneft – toutes deux contrôlées par l’État – restent les acteurs dominants, et Gazprom a toujours le monopole de l’exportation de gaz.
Il n’y a pas à suggérer que quelqu’un dans le gouvernement n’est pas d’accord avec ça. Comme je l’ai dit auparavant, Koudrine, en tant que ministre des Finances, soutenait le projet de créer des champions nationaux dans les branches clé de l’économie.
Aujourd’hui que les privatisations sont de nouveau discutées, elles sont proposées – comme en 2009 – pour des raisons purement fonctionnelles – combler les failles dans le budget – et non pour une aspiration idéologique à tout privatiser. Le gouvernement a l’intention de continuer le blocage des actions dans toutes les entreprises impliquées, tandis que la directrice de la Banque centrale, Nabioullina, s’oppose à la privatisation de Sberbank, la plus grande banque du pays.
L’impression qui domine est celle d’une équipe unie, fondamentalement d’accord sur les principaux paramètres de la politique économique.
Tous croient en une économie ouverte, où les prix sont définis par le marché et par le jeu de l’offre et de la demande. Tous croient en une stricte discipline monétaire et fiscale. Tous conviennent que certains éléments de la planification industrielle et du contrôle étatique devraient être maintenus et sont essentiels à ce stade du développement de la Russie.
Si l’équipe est unie, pourquoi parler d’une purge ?
Pour répondre brièvement, la Russie a été en récession ces deux dernières années. Il est tout à fait naturel que pendant une récession, le gouvernement soit critiqué. Cela se passe dans tous les pays.
Bien que les critiques soient bruyantes et fortes, cela ne les rend pas politiquement dangereuses. On ne trouve aucun des symptômes habituels – manifestations massives, sit-ins, débrayages, grèves – qui signalent une désaffection généralisée.
La raison à cela n’est pas que la population russe a été zombifiée par la propagande de masse – comme les médias occidentaux aiment à le proclamer – mais vient des formes prises par la récession.
La discipline financière stricte a porté ses fruits, avec une récession qui a été relativement peu profonde, sans licenciements, faillites, fermetures d’entreprises ou saisies hypothécaires importants. Bien que les revenus aient subi l’an dernier un choc violent dû à la flambée de l’inflation, l’emploi est resté stable, inspirant la confiance que la récession n’était que temporaire. Surtout, les deux secteurs les plus sensibles socialement – la nourriture et le logement – continuent à prospérer.
Il y a aussi des facteurs politiques. Le principal effet des sanctions contre la Russie, est qu’elles amènent les Russes à accuser de la récession non pas Poutine et le gouvernement, mais l’Occident. Cela explique en partie l’extraordinaire popularité de Poutine, bien que son habileté exceptionnelle, la popularité de beaucoup de ses politiques et le sens de l’autorité et le partage des compétences qu’il communique, l’auraient sûrement fait rester populaire de toute façon.
La réalité de la popularité de Poutine rend encore moins probable qu’il projette de purger son gouvernement de gens qui donnent chacun l’impression qu’ils lui sont loyaux, en particulier lorsque tout indique qu’il est d’accord avec eux. Sa popularité signifie qu’il ne subit aucune pression pour le faire. Avec tous les indices annonçant que la récession touche à sa fin, cela n’a aucun sens pour lui de procéder à une telle purge, de toute façon.
Toute cette question de purge est intéressante, à cause de ce qu’elle dit de la nature du débat politique en Russie.
Cela montre que lorsque le gouvernement russe devient impopulaire, les critiques qui font leur chemin dans le public russe sont celles provenant de la gauche patriotique du spectre politique, plutôt que de sa droite libérale pro-occidentale. Sur ce spectre, Poutine et son gouvernement sont beaucoup plus à droite que la plupart des Russes voudraient qu’ils soient. L’hypothèse occidentale que le régime de Poutine empêche les Russes de poursuivre sur leur voie libérale pro-occidentale naturelle ne pourrait pas être plus fausse.
Cependant, ceux qui cherchent ou veulent un changement fondamental dans les orientations actuelles ou la direction du gouvernement russe seront probablement déçus.
L’article original a été rédigé pour The Duran
Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker francophone