Par Ramin Mazaheri – Le 8 mai 2022 – Le Saker Francophone
La cause première des révolutions de 1848 est le fait qu’il a fallu 50 ans pour que les idées socio-politiques de la Révolution française se répandent dans une Europe dominée par des monarques autocratiques. C’est dire la radicalité de 1789 et la lenteur de l’histoire politique.
La cause secondaire était les changements économiques provoqués par le refus de mettre fin aux mentalités féodales partout en Europe, sauf en France, et par le début de l’industrialisation. 1789 avait changé tous les Européens, mais tous les monarques – y compris les deux dynasties de la France post-napoléonienne – ont refusé de gouverner en fonction des besoins et des exigences entièrement nouveaux de leurs citoyens. Cela s’exprime dans le principal slogan de 1848, » Du pain et du travail, ou du plomb ! «
Le principal résultat des révolutions de 1848 a été un échec total partout sauf en France. 1848 a fourni de nouveaux bouleversements pour remplacer les souvenirs de l’Europe des sept guerres européennes contre la Révolution française (1792-1815), et ce qui les a remplacés était des monarchies absolues encore pires. Les rassemblements et les manifestations politiques étaient interdits, la censure était totale – en bref, toute la vie politique européenne était revenue à ce qu’elle était en 1847 : clandestine, publiquement inexistante et impitoyablement réprimée. Il n’y a pas eu de révolution – une lecture exacte de l’histoire européenne appellerait cette période les « contre-révolutions de 1848 ».
Le résultat secondaire des révolutions de 1848 était la toute première implantation de, et le rejet populaire immédiat, de ce que nous pouvons enfin commencer à appeler la démocratie libérale occidentale. Celle-ci n’a duré que trois ans avant qu’un coup d’État contre elle ne soit approuvé par le peuple à 11 contre 1 dans ce qui était alors le plus grand vote démocratique de l’histoire. Il n’a fallu que trois ans à la démocratie libérale occidentale pour prouver aux électeurs son incapacité totale et éternelle à s’occuper des masses et non d’une oligarchie élitiste.
Ce chapitre rendra cette conclusion parfaitement claire, non seulement parce que nous avons 175 ans de recul, mais aussi parce que nous disposons du journalisme et de l’analyse bouleversante d’un certain Karl H. Marx. Son analyse sur le terrain des actions de 1848 allait façonner la politique pendant plus d’un siècle, et inspirer à la fois les vrais socialistes et les socialistes devenus fascistes à rompre avec la démocratie libérale occidentale.
Napoléon attire toujours les foules – son neveu ? Peu de gens savent qu’il en avait un qui était important. Entre la disparition de Napoléon et la Seconde Guerre mondiale, il existe tant de malentendus. En fait, les Occidentaux ont pour consigne de ne pas considérer cette époque comme importante – ce chapitre espère expliquer pourquoi.
Marx sur la France : Le seul pays qui comptait en 1848… et en 1849
Il suffit de regarder les résultats :
C’est l’Italie qui a le plus porté le flambeau de 1789. Après avoir d’abord donné de faux espoirs, le pape a ouvertement déclaré que la papauté ne pouvait être le chef d’un État italien unifié. Son refus de mélanger religion et politique, même dans un pays où la majorité de la population sont de la même religion, était une erreur majeure. Après 1848, la papauté est devenue totalement anti-libérale, antinationale et favorable aux régimes absolutistes.
La Hongrie a abandonné après que sa révolte à base ethnique n’ait pas réussi à s’enraciner – sans surprise – dans le reste de l’empire des Habsbourg, extrêmement multi-ethnique. En effet, beaucoup semblent penser que l’élitisme racial germanique a été fondé par Adolf Hitler ?
La France révolutionnaire avait mis fin au Saint-Empire romain germanique en 1806, mais les Habsbourg autocratiques se sont maintenus après 1848 – la victoire contre-révolutionnaire était principalement la leur… c’est un thème commun.
La Russie tsariste n’est pas affectée par 1848. Elle soutenait, en grande partie pour maintenir la Prusse faible, ses frères autocratiques autrichiens.
Tout comme après la révolution russe, dans les années 1930 et dans ses réponses à la grande récession, la réponse de l’Allemagne a totalement déçu l’Européen moyen. Les Allemands ont été particulièrement brutaux dans la répression de leurs révolutions, et il faudra la Première Guerre mondiale pour mettre définitivement fin au despotisme allemand, du moins sous sa forme monarchique.
Gilet jaune : « Nous étions très nombreux au début, mais quand les gens ont commencé à voir avec quelle violence et quelle férocité le gouvernement réprimait les Gilets jaunes, beaucoup ont eu trop peur pour protester. Le gouvernement a fait tout ce qu’il pouvait pour nous faire disparaître, juste pour pouvoir nous gouverner selon ses caprices égoïstes. »
(Note : ce livre contient plus de 100 citations de Gilets jaunes en marche, publiées à l’origine dans des reportages sur PressTV).
Les grandes lignes de ce qui s’est passé en Europe en 1848 sont les suivantes : Les nouveaux riches, les professions libérales et les classes dirigeantes se sont toujours contentés d’un simple réformisme libéral, auquel s’opposaient les monarchistes. Ces trois groupes se sont d’abord alliés aux artisans et aux étudiants pour s’opposer à l’absolutisme et à la répression imposés par les Anglo-germaniques et les Russes. Lorsque ce triumvirat « bourgeois » a obtenu le réformisme léger qu’il voulait (c’est-à-dire des droits pour lui-même), ces « réformistes libéraux » n’ont plus soutenu les artisans et les étudiants – bien sûr, ils n’ont jamais voulu s’allier longtemps avec les paysans et le prolétariat. Ils ont plutôt soutenu la répression des artisans, des étudiants et des classes inférieures, et c’est ainsi que nous avons les contre-révolutions de 1848. Ces réformateurs libéraux n’ont jamais voulu une révolution, mais simplement une déclaration des droits des riches contre la monarchie autocratique. Comme tous les simples réformistes, ils ont refusé d’incarcérer, de confisquer ou d’exécuter les contre-révolutionnaires, et c’est ainsi que la contre-révolution a gagné, comme elle le fait toujours face à un réformisme tiède. 1848 est la preuve que les prétendus héros du réformisme libéral sont en fait des gens de droite opposés à la démocratie réelle.
Le résultat tertiaire de 1848 a été la croissance du nationalisme, mais on souligne rarement dans le monde de l’ouest que ce nationalisme était nécessaire pour expulser les autocrates anglo-germaniques – les Habsbourg et leurs alliés élitistes. Nous ne pouvons certainement pas blâmer les révolutionnaires français qui sont partis il y a des décennies, mais après avoir planté la graine de l’anti-féodalisme, de l’anti-monarchisme et de la fierté patriotique. Les rébellions à travers l’Europe étaient dirigées contre la mauvaise gouvernance des oligarchies aristocratiques qui s’étaient entendues pour anéantir 1789. Certains gauchistes voient cette montée du nationalisme comme une mauvaise chose, mais ils ont totalement perdu le fil.
1848 a abordé la « question politique », à savoir comment organiser la gouvernance, et partout, sauf en France, on n’a pas réussi à installer quelque chose que l’on puisse qualifier de « progressiste ». En outre, la victoire révolutionnaire de la France a également permis les premières discussions politiques sur la « question sociale » – comment passer socialement de la monarchie féodale à un autre système qu’il soit capitaliste libéral ou socialiste ? Au moins, au début de l’année 1848, on pensait que ce serait un combat loyal !
Il a fallu 33 ans à la France (la durée d’une génération humaine), de la chute de Napoléon à 1848, pour que les Français se débarrassent d’un exécutif non élu – une fois de plus, ils ont été les seuls à réaliser cet exploit. Le suffrage universel (masculin) a également été réalisé de manière spectaculaire pour la première fois, tout comme la création d’un « droit au travail ». Alors que tous les autres Européens renoncent à s’éloigner de la monarchie, la France fonde la deuxième République.
L’histoire de la France depuis la chute de Napoléon, et donc la fin de la Révolution française, jusqu’en 1848 peut être rapidement résumée : En 1815, Napoléon est emprisonné à Sainte-Hélène et les Bourbons reviennent après s’être enfuis à nouveau. Les Bourbons n’ont régné que jusqu’en 1830, lorsque Louis Philippe Ier de la Maison d’Orléans a été installé pendant la « Révolution de juillet » de cette année-là. Pour la France, 1848 est le résultat de 18 ans d’une terrible négligence de la part des orléanistes, qui ne se souciaient que de saigner le pays à blanc sur ordre de l’élite financière naissante, car c’est cette « bourgeoisie » qui a contribué à pousser la maison d’Orléans au pouvoir. 1848 a déposé la Maison d’Orléans, et la France attendait avec impatience ce nouveau système que nous appelons la « démocratie libérale occidentale » – elle allait être déçue.
Dans un pays où le suffrage universel masculin existe, on pourrait penser que le nouveau parlement s’efforcerait de représenter les intérêts des masses, non ? Si c’est le cas, vous ne comprenez pas qui la démocratie libérale occidentale vise à servir ! Marx a résumé la Seconde République ainsi, et selon ses idées de progression politique : » Sous la monarchie bourgeoise de Louis Philippe, seule la république bourgeoise pouvait suivre ; c’est-à-dire qu’une partie limitée de la bourgeoisie, après avoir (de 1830 à 1848) gouverné sous le nom du roi, maintenant la bourgeoisie entière devait gouverner sous le nom du peuple. »
La démocratie libérale occidentale aboutit inévitablement à ce résultat, mais les révolutionnaires de 1848 s’attendaient certainement à ce qu’une partie du pouvoir et de la richesse leur soit dévolue. Dans une France véritablement post-féodale, les anciens serfs avaient désormais une meilleure opinion de leur valeur pour la société, de leur droit à gagner du pain pour manger, souhaitaient la stabilité nécessaire fournie par la planification centrale, la protection sociale, etc. Cependant, alors que les âmes des serfs français avaient grandi, le pouvoir de la nouvelle classe orientée vers la finance avait augmenté à un rythme usuraire ! Ceci grâce au début de l’industrialisation, mais aussi aux abus usuraires des serfs devenus métayers. Je dis « début de l’industrialisation » car à l’époque de Napoléon, l’atelier moyen ne comptait que quatre ouvriers et les seules grandes entreprises étaient des fabricants d’armes – ce qui n’est plus le cas 30 ans plus tard.
Au fur et à mesure de la progression de la brève IIe République, il est devenu évident que cette nouvelle forme de gouvernance n’était là que pour profiter aux anciens royalistes terriens, aux entreprises commerciales post-1492 et à ces nouveaux industriels et rentiers « bourgeois ». La IIe République est le début du moment où les pouvoirs ont commencé à cesser lentement d’être royaux pour devenir des pouvoirs monétaires – quand le pouvoir est devenu corporatiste). C’est ce qui rend la France de 1848 si essentielle pour comprendre le 21e siècle.
Gilets jaunes : « Notre système est devenu totalement pourri. Ils font les lois pour répondre à leurs propres besoins, ou aux besoins des entreprises, et ils n’ont rien fait pour résoudre les énormes problèmes des gens ordinaires. C’est pourquoi les Gilets jaunes vont continuer à défiler dans les rues. «
Il a fallu trois ans aux Français pour l’apprendre, puis pour ouvrir la voie au président élu par le peuple en 1848 afin d’abolir sans effusion de sang le parlement toujours oligarchique de la démocratie libérale occidentale. Ce président était Louis-Napoléon Bonaparte, le neveu de Napoléon Bonaparte, dont le père était Louis « le Bon » Bonaparte, nommé roi de Hollande en 1806 dans une tentative ratée de rendre la République batave moins sujette aux attaques monarchiques.
L’analyse ci-dessus qui condamne la démocratie libérale occidentale est la raison pour laquelle ce chapitre est nécessaire : L’analyse historique dominante de la France de 1848-52 met beaucoup trop l’accent sur les changements économiques – c’est-à-dire la révolution industrielle – et la prétendue dictature d’une personne qui a été élu parce que de stupides péquenauds français pensaient qu’un vieux Napoléon s’était libéré de Sainte-Hélène. Cette analyse erronée existe parce qu’elle permet d’éluder ce qui s’est réellement passé sur le plan politique : la mauvaise gestion des premiers libéraux-démocrates occidentaux de France, leur parti pris évident contre les 90% les plus pauvres, et le rejet final de cette forme de gouvernance qui n’a fait que renforcer les inégalités et créer des crises régulières.
Sur le plan social, ce qu’ils réclamaient en 1848, mais que la IIe République n’a pas réussi à légiférer, c’est ce à quoi ressemble l’Europe d’après-guerre ! Les révolutionnaires de 1848 ont eu raison, et cela ne peut être réfuté.
Les années 1848-1948 ont été un siècle terrible pour les masses européennes, mais aussi pour les masses partout ailleurs – l’impérialisme européen a créé les tragédies, les famines et les inégalités qui ont littéralement façonné un nouveau « tiers monde » : avant 1848, un paysan en Europe était dans la même condition socio-économique qu’un paysan en Inde, en Chine, en Amérique latine, etc.
Gilet jaune : « Le mouvement tiendra bon à l’avenir. Il ne disparaîtra pas parce que leurs revendications sont très solides et vraies. Il y a de vraies raisons pour une révolution en France, et nous continuerons toujours à jouer notre rôle. «
Apprendre comment la Révolution de 1848 a dérapé dans le pays où elle a connu son plus grand succès est une clé majeure pour comprendre les gouvernements d’aujourd’hui, car c’est cette forme de gouvernement qui a fini par s’imposer malgré une désapprobation populaire immédiate et durable !
Et c’est pourquoi il serait préférable de les appeler les « contre-révolutions de 1848”.
Le génie de Marx : lier 1848 et 1789, ce qui est la seule façon de comprendre 1848.
Il y a trois contributions critiques que Marx a apportées à la compréhension de la période 1848-52 en France. Elles sont si critiques parce qu’elles illustrent comment la démocratie libérale occidentale commence par un faux gauchisme et finit en oligarchie, encore et encore et encore. Il faut considérer comme très important que les plaintes envers la 2eme République sont exactement les mêmes que celles que l’on entend aujourd’hui !
Tout d’abord, Marx a condensé l’évolution économique de la France à une époque où la société et l’économie changeaient rapidement, même sans les complications d’une révolution réussie en 1848. Il a expliqué comment les intérêts économiques de classe ont déformé la IIe République en quelque chose pour lequel personne qui était réellement sur les barricades ne se serait battu.
Peu après que la révolution de février 1848 ait forcé l’abdication de la Maison d’Orléans, le soulèvement des « Journées de Juin » a effrayé les royalistes et les républicains bourgeois (c’est-à-dire les anti-monarchistes) pour qu’ils s’unissent dans le « Parti de l’Ordre ». Les Bourbons – qui représentaient le pouvoir de la propriété foncière, la plus ancienne base de l’argent – ont finalement mis fin à leurs querelles royales avec les orléanistes – qui étaient installés pour défendre le pouvoir accru de la propriété industrielle/financière des nouveaux riches. Cette nouvelle unité est ce que Marx a voulu dire en écrivant : « …la propriété foncière est devenue complètement bourgeoise par le développement de la société moderne ». « Il n’y a plus de conflits entre anciens et nouveaux, il n’y a plus que des riches contre des pauvres. Ainsi, 1848 en France est la naissance de la lutte des classes moderne – et ce sont les riches qui l’ont déclenchée !
Deuxièmement, Marx a condensé ce qui s’est réellement passé au cours des quelques années agitées qui ont suivi la révolution de 1848, dont le point culminant a été le vote populaire qui a sanctionné le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte contre l’Assemblée nationale monocamérale. Marx a décrit le cycle de vie de cette nouvelle structure politique et la façon dont elle s’est discréditée par les mêmes défauts oligarchiques qui sont éternellement apparents dans ce système.
Troisièmement, Marx a montré comment les nouveaux politiciens professionnels, les médecins, les avocats des petites villes, les directeurs de banque et autres types de professionnels, qui sont les cadres de cette nouvelle démocratie libérale occidentale, se sont associés aux catégories de richesse les plus riches (richesse royaliste, usuraire, foncière et financière, des moyens de production) pour s’engager dans un style de gouvernance qui mettait en avant tous leurs propres intérêts et diabolisait les intérêts de tous les autres en les qualifiant de » socialisme ! « . Oui, comme l’illustre l’horrible politique des États-Unis 175 ans plus tard, Marx était sidéré de voir même les appels aux réformes les plus élémentaires et les mesures visant à réduire les inégalités être qualifiés de « socialisme diabolique » dès la première mise en œuvre de la démocratie libérale occidentale. Marx va même plus loin en accusant définitivement la démocratie libérale d’être bien inférieure à la démocratie sociale. Il s’agit d’un vieux débat, qui aurait dû être tranché en faveur de cette dernière dès 1852 en France.
En condensant succinctement – dans le seul paragraphe ci-dessous – le résumé de Marx des événements de 1848 jusqu’au coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte soutenu par les électeurs en 1852, les trois contributions historiques seront mises en évidence.
Un soulèvement véritablement mené par le peuple (c’est-à-dire une révolution populaire) en février 1848 a chassé le roi Louis Philippe des orléanistes, mais les exigences de la gauche moderne du peuple ont été trahies en juin. Les espoirs du peuple pour une « République démocratique et sociale » ont été vendus par les sociaux-démocrates, principalement les petits commerçants qui se sont contentés de consolider la réalisation sans précédent du suffrage universel masculin. Cependant, les sociaux-démocrates ont rapidement été vendus par les républicains bourgeois – ces cadres plus riches de la démocratie libérale occidentale – qui ne veulent pas vraiment le suffrage universel mais simplement des droits libéraux pour la classe supérieure uniquement. Cependant, les bourgeois républicains se sont vendus par la coalition du « Parti de l’ordre » au Parlement, dont la moitié souhaite toujours une restauration royaliste et l’autre moitié souhaite une république mais ne se soucie guère des droits libéraux, et surtout du suffrage universel. Cette faction l’emporte et finit par vider de sa substance le suffrage universel, et vote la subordination de la constitution aux décisions majoritaires du parlement – c’est-à-dire un véritable coup d’État législatif contre le peuple. Bonne nouvelle ! Après trois ans d’inefficacité, de grandiloquence et de pillage des ressources naturelles, sociales et de travail du pays par l’État, le « parti de l’ordre » est vendu par le parti bonapartiste – l’Assemblée nationale est dissoute, et ce qui est restauré, c’est l’idée bonapartiste d’un empereur élu par le peuple qui fait passer la volonté et le bien de la nation en premier.
C’est la raison pour laquelle Marx a écrit les premières lignes du 18e Brumaire de Louis Napoléon (le 18e Brumaire est la date du calendrier révolutionnaire français correspondant au coup d’État de Napoléon Bonaparte en 1799), où l’histoire se répète comme une farce : au lieu que la révolution suive une courbe ascendante au cours des premières années avec des succès de gauche, comme en 1789-94, une période similaire en 1848 voit l’échec. « En conséquence, la révolution se déplace sur une ligne descendante. Elle se trouve dans ce mouvement de recul avant que la dernière barricade de février ne soit abattue. … «
Ayant condensé la chronologie de 1848 de Marx, sa comparaison avec la chronologie de 1789 sera particulièrement éclairante tant pour 1789 que pour 1848. Ce livre ne dissèque pas les événements pré-napoléoniens de 1789-94, en grande partie parce qu’ils ont été parfaitement analysés par Marx en un paragraphe. J’inclus entre parenthèses mes explications des termes/partis clés de 1789 qui peuvent ne pas être entièrement connus du lecteur moyen (Marx est en gras).
« Lors de la première révolution française, au règne des Constitutionnels (c’est-à-dire le début de la Révolution française via l’obligation pour le roi d’accepter une constitution et de renoncer à une autocratie totale. L’engagement de Napoléon Bonaparte en faveur du constitutionnalisme est précisément ce qui a fait de lui un véritable révolutionnaire politique de son époque), succède au règne de les Girondins (véritables martyrs des libéraux-démocrates occidentaux d’aujourd’hui. La plupart d’entre eux étaient originaires du département de la Gironde, où se trouvait Bordeaux, la capitale française du commerce d’esclaves, et étaient partisans du marché libre, de la décentralisation et de la guerre impérialiste. C’est la décapitation de ces Girondins que les Occidentaux appellent le « Règne de la Terreur », précisément parce que les néo-girondins sont ce qui gouverne encore l’Occident à l’ère moderne. Napoléon Bonaparte a clairement soutenu le droit de gouverner des Jacobins, a combattu ces rebelles pendant des années, était ami avec Augustin Robespierre, etc.) et au règne des Girondins succède celui des Jacobins. Chacun de ces partis s’appuie sur son élément le plus avancé. … C’est tout le contraire en 1848. »
On comprend pourquoi, en dehors de la France, les « révolutions de 1848 » sont un tel échec, mais pourquoi la révolution française de 1848 est-elle un tel échec pour Marx ? C’est parce qu’il était très anti-bonapartiste. Marx vivait à Paris à cette époque et nous pouvons donc comprendre son parti pris – nous, par contre, nous ne le comprenons pas. En 2022, cela semble être une erreur majeure qui perd le fil de l’histoire politique : s’éloigner de l’autocratie. Je critiquerai profondément sa condamnation trop forte de Louis-Napoléon Bonaparte dans le chapitre suivant, mais ce qu’il faut d’abord c’est son analyse de la France de 1848-52 – elle est critique car elle rappelle tellement la politique occidentale d’aujourd’hui !
Les deux époques révolutionnaires ont combattu le même principe politique : l’autocratie, l’anti-démocratie et le règne d’une élite aristocratique. Les Gilets Jaunes se battent exactement de la même manière, même si l’autocratie est à peine moins barbare, mais vous devriez dire cela à l’un des nombreux Gilets Jaunes mutilés.
Qu’est-il arrivé à la révolution progressiste française de 1848, alors ? La démocratie libérale occidentale est arrivée !
La réponse courte est que Marx attribue la responsabilité de l’échec de 1848 aux actions semi-révolutionnaires de l’aile gauche de la France en 1848, ainsi qu’au rôle joué par Louis-Napoléon Bonaparte.
Dans la section ci-dessus, j’ai relaté le résumé que fait Marx des événements de 1848 jusqu’au coup d’État populaire de Louis-Napoléon Bonaparte. Il faudrait un peu plus d’informations sur les grands événements politiques entre ce début et cette fin.
La révolution de février 1848 a rétabli la monarchie, mais les résultats du vote d’avril ont vu la nouvelle Assemblée constituante (temporaire) remplie de royalistes, d’élites et de professionnels qui n’incarnaient pas les revendications socialistes qui avaient propulsé la révolution populaire : l’opposition aux marchés libres et la demande de travaux publics pour créer des emplois. Les Ateliers nationaux avaient été immédiatement créés en 1848 afin de satisfaire le « droit au travail » et d’introduire ainsi une planification centrale gouvernementale dans l’économie.
Il faut donc imaginer les centaines de milliers de travailleurs qui tentent aujourd’hui d’exercer leur métier à Paris alors que, parallèlement, le nouveau parlement temporaire chargé d’élaborer une nouvelle constitution est rempli de libéraux-démocrates occidentaux capitalistes. Naturellement, le peuple a vu qu’il était laissé pour compte. Le 15 mai, une manifestation de gauche entre et dissout cette Assemblée nationale temporaire. La Garde nationale – qui a toujours joué un rôle décisif dans les affaires révolutionnaires françaises – se range du côté des protestataires. Les ardents républicains et les meneurs de la manifestation sont arrêtés ; un banquier sera installé comme nouveau chef de la police de Paris ; un avocat dirigera désormais l’Assemblée restaurée.
En juin, l’Assemblée nationale conservatrice a annoncé que les ateliers nationaux seraient fermés et que les travailleurs nouvellement licenciés pourraient soit s’engager dans l’armée, soit retourner chez eux, en province. Nous voyons ici comment la démocratie libérale occidentale ne permettra jamais – pas depuis ses tout premiers jours – qu’autre chose qu’une « main invisible » guide l’économie, et aussi que la guerre impérialiste (qui n’est pas du tout une guerre révolutionnaire) soit sa principale réponse à la question économique. Plus de 10 000 personnes sont massacrées, soit presque 60 % du nombre de personnes guillotinées pendant le « règne de la Terreur » (mais sans aucun procès). C’est aussi la dernière fois que le clergé catholique français tente de jouer un rôle dans les élections : L’archevêque de Paris entre littéralement dans la mêlée de la rue parisienne en tant que médiateur – il est abattu, presque certainement par les forces conservatrices. La révolution populaire est ainsi terminée : mort, prison et exil en Algérie pour les gauchistes.
Pourtant, les sociaux-démocrates de la classe commerçante ne condamnent pas la répression – ils soutiennent la Constitution de novembre 1848, qui accorde le suffrage universel aux hommes. Louis-Napoléon Bonaparte est élu en décembre et, comme son oncle, il adopte une attitude pro-révolutionnaire médiane : il ne ressemble ni aux candidats socialistes de gauche, ni au chef d’armée anti-socialiste/pro-républicain qui a dirigé la répression des journées de juin, ni à un avocat libéral. Marx ne voulait pas se réconcilier avec Louis-Napoléon Bonaparte, qui était également un écrivain de gauche – son livre le plus célèbre était l’ouvrage pro-ouvrier L’extinction du paupérisme, ce qui contribue sans doute à expliquer sa victoire massive.
Après l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte, les années 1850 ont été marquées par un combat inefficace et destructeur de la nation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif :
Le pouvoir législatif – comme il le fera toujours pendant les 175 prochaines années – a perdu tout soutien populaire en refusant de représenter la populace et pas seulement la classe supérieure. Le coup d’État populaire et sans effusion de sang de Louis-Napoléon Bonaparte sera considéré comme un « fascisme installé par des ploucs de campagne », et l’analyse de Marx lui-même est très similaire à cela, malheureusement.
Le pouvoir exécutif – comme il le fera toujours au cours des 175 prochaines années – se battra jalousement pour acquérir autant de pouvoirs autocratiques et dictatoriaux que possible et mènera des guerres chauvines et impérialistes pour gagner l’opinion publique tout en répondant principalement aux besoins de l’élite.
Il n’a fallu que trois ans pour se rendre compte qu’un tel système était inapplicable, et pourtant, n’est-ce pas encore le prétendu sommet de la structure et de l’efficacité gouvernementales pour les libéraux démocrates occidentaux d’aujourd’hui ?
Gilet jaune : « Après trois ans, rien n’a changé, si ce n’est que les choses ont encore empiré pour le Français moyen. La vie est devenue tellement plus chère, mais Macron s’en moque. Macron ne considère pas les demandes des Gilets Jaunes, ou même du peuple français, comme dignes de son attention. «
Un gauchisme faible contre un exécutif fort – la France a le même problème aujourd’hui.
En mai 1849, la première Assemblée nationale de la IIe République est officiellement installée. Cette Assemblée a fini par approuver le non-soutien total de toute autre révolution populaire en Europe, par interdire les Sans-Culottes renaissants et d’autres partis politiques, et, comme Emmanuel Macron aujourd’hui, par mettre fin à la pratique de longue date de l’Assemblée nationale d’entendre les pétitions des groupes d’intérêts spéciaux de la base.
Louis-Napoléon Bonaparte utilise immédiatement la guerre étrangère pour prouver au « Parti de l’ordre », qui détient 64 % des sièges, qu’il est lui aussi un homme puissant de l’ordre (exécutif). Avant même que le nouveau parlement ne siège, il a violé l’interdiction de l’ingérence militaire dans la liberté des autres nations prévue par la nouvelle constitution en bombardant Rome pour soutenir un pape en exil. Cela s’est fait aux dépens de la République romaine naissante mais condamnée, qui ne bénéficiait pas du soutien populaire – il aurait été bon que les socialistes l’emportent, mais cela n’a pas été possible avant 1917. Cela ne fait pas de Bonaparte l’équivalent d’un monarque absolu, faut-il le préciser. La France était arrivée en s’attendant à être reçue comme des libérateurs, et cherchait également à empêcher une invasion par l’Autriche.
Le parti d’opposition, le Parti de la Montagne, avec 26 % des sièges, qui était constitué de républicains et de néo-jacobins, a audacieusement voté la destitution de Louis-Napoléon Bonaparte, qui avait été élu par une écrasante majorité de 75 %. Soutenir le pape était populaire auprès du citoyen moyen, et voilà que le « parti de gauche » de France (en réalité des petits commerçants et des professions libérales de la petite bourgeoisie) s’attaque à un président extrêmement populaire ?
Ce qui ne peut être contesté, c’est l’inefficacité du Parti de la Montagne dans son combat. La superbe analyse de Marx rappellera aux gens la lutte tiède et non révolutionnaire des faux partis de gauche dans toute la démocratie libérale occidentale. Nous devons nous rappeler que Marx vivait à Paris à cette époque. Il a sûrement dû espérer que les Montagnards étaient de véritables gauchistes – après tout, le « faux gauchisme » dans un contexte de démocratie libérale occidentale n’avait encore jamais été vu !
Après le vote de destitution de la Montagne, les protestations non armées de juin 1849 ont eu lieu. La Garde nationale était là – en uniforme, mais non armée. Cette décision pacifiste a été fatale : ils n’avaient aucun moyen de se défendre contre l’attaque de l’armée qui a suivi. La manifestation s’est soldée par un échec total – c’était la dernière « Journée révolutionnaire » de la 2e République – et il n’y a eu aucune victime. Marx écrit : » L’erreur principale de la ‘Montagne’ était sa certitude d’être victorieuse. » (c’est lui qui souligne). Je ne pense pas que la France ait eu une « Journée de la Révolution » officielle depuis lors, et probablement parce que la plupart des Français ne connaissent pas non plus cette histoire ?
Marx a vu que le véritable gauchisme avait été coupé de la Montagne par les journées de juin 1848 et remplacé par un sentiment suffisant, finalement conservateur, de fausse certitude. Il a vu que ces faux gauchistes étaient condamnés précisément parce qu’ils acceptaient les termes de la démocratie libérale occidentale :
« Si la Montagne voulait gagner au parlement, elle ne devait pas faire appel aux armes ; si elle faisait appel aux armes au parlement, elle devait se conduire d’une manière parlementaire dans la rue ; si la démonstration amicale était destinée sérieusement, c’était une sottise de ne pas prévoir qu’elle rencontrerait un accueil belliqueux ; si elle était destinée à la guerre réelle, c’était plutôt une originalité de mettre de côté les armes avec lesquelles la guerre devait être conduite. Mais les menaces révolutionnaires de la classe moyenne et de ses représentants démocratiques ne sont que des tentatives pour effrayer un adversaire….. »
Cela décrit certainement les manifestations syndicales ou d’autres manifestations dirigées par les sociaux-démocrates qui sont si détendus qu’un politicien les a récemment appelés de manière désobligeante les « promenades dans un parc ». C’est à cette même logique de piégeage que les Gilets jaunes doivent se soumettre et qu’ils affrontent encore si courageusement samedi après samedi.
Gilets jaunes : « La France se réveille. Le gouvernement continue à nous accuser tous d’être des Black Blocs ou des casseurs pour que le pays se retourne contre nous. Mais nous sommes tous unis pour empêcher la destruction de la France, et cette unité va continuer à se renforcer. »
Le « charme superstitieux » de la Garde nationale sur l’imaginaire français – c‘est-à-dire sa capacité à inciter l’armée à soutenir le peuple et l’élite – est ici rompu de manière cruciale. Elle sera supprimée sous Louis-Napoléon Bonaparte, puis interdite au début de la Troisième République en 1871, lorsque les démocrates libéraux occidentaux reprendront le contrôle de Louis-Napoléon et des bonapartistes, qui existaient également dans l’intervalle entre les deux Bonaparte.
Une différence claire entre la démocratie libérale impérialiste et la social-démocratie anti-impérialiste : la première utilise clairement la guerre étrangère pour vider de sa substance la possibilité d’un esprit domestique qui protégerait les droits du peuple au niveau national. Elle utilise également la guerre impérialiste perpétuelle pour insister sur le fait que de tels droits domestiques ne sont pas commodes, et que de telles discussions ne peuvent certainement pas impliquer autre chose que des mots.
La répression qui s’ensuit entraîne l’arrestation ou l’exil des derniers politiciens de la vraie gauche, y compris de nombreux membres du parti de la Montagne, et des journalistes – Marx se rend à Londres. Avec la disparition de la vraie gauche, le nouveau parti de la Montagne n’était pas une opposition. L’Assemblée nationale s’est lancée dans une série de mesures de droite qui ont retourné tout le monde contre elle.
Le 13 juin 1848, ils ont voté la subordination de la constitution aux décisions de la majorité du parlement – c’était un coup d’État contre les droits constitutionnels du peuple.
« C’est ainsi, en effet, que la république l’entendait, c’est-à-dire que les bourgeois y régnaient sous la forme parlementaire, sans trouver, comme dans la monarchie, un frein dans le veto du pouvoir exécutif, ni dans la responsabilité du parlement à la dissolution. C’était une ‘ république parlementaire ‘, comme l’a appelée Thiers. »
Nous assistons ainsi à la véritable émergence du rêve inavoué de la démocratie libérale occidentale : un pays dirigé par un parlement des riches ; une extension de la monarchie absolue à une minuscule coterie d’élites bourgeoises.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est arrivée le 31 mai 1850, lorsque l’assemblée a voté une loi portant atteinte au suffrage universel de millions d’électeurs. Marx écrit : » La loi du 31 mai 1850 est le ‘ coup d’État ‘ de la bourgeoisie « . » Contre les électeurs, il veut dire.
Ainsi, le premier coup d’État de la IIe République est en réalité le fait des parlementaires et non de Louis-Napoléon Bonaparte ! Bonaparte rétablira le suffrage universel, ce qui est tout à son honneur.
Ces deux faits cruciaux sont toujours écartés de toute discussion sur la IIe République et l’ »auto-coup » de Louis-Napoléon Bonaparte (un coup d’État où un exécutif légalement élu dissout le pouvoir législatif). En 2022, ils devraient changer radicalement notre évaluation de lui, et rompre avec la vision négative et plutôt partiale de Marx.
Cela nécessite le chapitre suivant – Louis-Napoléon : Confirmation de la différence révolutionnaire entre le bonapartisme et la démocratie libérale occidentale.
Dès le début, la démocratie libérale occidentale a montré ce qu’elle voulait : Un pays dirigé par un parlement de et pour les riches.
Marx écrit en résumé de la discussion politique autorisée dans la première démocratie libérale occidentale :
« Qu’il s’agisse du droit de pétition ou de l’impôt sur le vin, de la liberté de la presse ou de la liberté du commerce, des clubs ou des lois municipales, de la protection de la liberté individuelle ou de la réglementation de l’économie nationale, le slogan revient toujours, le thème est monotone, le verdict est toujours prêt et inchangé : Socialisme ! Même le libéralisme bourgeois est déclaré socialiste ; l’éducation populaire est également déclarée socialiste ; de même, la réforme financière nationale est socialiste. Il était socialiste de construire un chemin de fer là où il y avait déjà un canal ; et il était socialiste de se défendre avec un bâton quand on est attaqué avec une épée.
Il ne s’agissait pas d’une simple forme de discours, d’une mode ou encore d’une tactique de parti. Le bourgeois reçoit correctement que toutes les armes qu’il a forgées contre le féodalisme s’épointent contre lui-même ; que tous les moyens d’éducation qu’il a fait naître se rebellent contre sa propre civilisation ; que tous les dieux qu’il a faits sont tombés loin de lui. Elle comprend que tous ses soi-disant droits du citoyen et ses organes progressistes attaquent et menacent sa domination de classe, tant dans son fondement social que dans sa superstructure politique – et qu’ils sont donc devenus « socialistes ». Elle décèle à juste titre dans cette menace et cet assaut le secret du socialisme, dont elle estime la signification et la tendance plus correctement que le prétendu faux socialisme n’est capable de s’estimer lui-même et qui, par conséquent, est incapable de comprendre comment il se fait que la bourgeoisie lui ferme obstinément les oreilles, de même qu’elle pleurniche sentimentalement sur les souffrances de l’humanité ; ou qu’elle annonce en style chrétien le millénaire et la fraternité universelle ; ou qu’elle radote de manière humaniste sur l’âme, la culture et la liberté ; ou qu’elle élabore doctrinalement un système d’harmonie et de bien-être pour toutes les classes. Mais ce que la bourgeoisie ne comprend pas, c’est que son propre régime parlementaire, son propre règne politique, doit nécessairement tomber sous le coup de l’interdiction générale du « socialisme ». » (C’est moi qui souligne)
Si vous croyez encore à la démocratie libérale, je vous suggère de relire ce texte.
Marx montre non seulement que la démocratie libérale occidentale refuse de protéger les droits que la démocratie libérale occidentale prétend avoir créés et auxquels elle croit, mais aussi que la démocratie libérale occidentale est une « troisième voie » bidon : il y a soit le socialisme, soit l’autocratie/oligarchie.
« En conséquence, en persécutant maintenant comme socialiste ce qu’elle avait autrefois célébré comme libéral, la bourgeoisie admet que son propre intérêt lui commande de s’élever au-dessus du danger de l’auto-gouvernement….. « La démocratie libérale occidentale n’est pas une résolution de la lutte des classes, comme la démocratie socialiste prétend l’être, mais l’institution permanente de la lutte des classes dans le but exprès d’un gouvernement par une élite.
» Le régime parlementaire laisse tout à la décision des majorités – comment peut-on s’attendre à ce que les grandes majorités au-delà du parlement ne veuillent pas décider ? « . Le parlementarisme de la démocratie libérale occidentale est faux et non représentatif, aboutissant à un gouvernement par des partis contrôlés par l’élite. Contrairement aux parlements de la démocratie socialiste, où les cordonniers deviennent des parlementaires, comme lors du vote législatif de Cuba en 2018.
Pas étonnant que les écoles occidentales ne veuillent pas parler de cette époque !
En examinant l’époque de 1848-52, nous constatons que la démocratie libérale occidentale s’est totalement discréditée dès le départ, et que nous avons les mêmes problèmes qu’il y a 175 ans : c’est une autocratie améliorée en un régime bourgeois, mais jamais un régime populaire. La démocratie libérale occidentale est tellement antidémocratique qu’elle ne mérite même pas le nom de « démocratie libérale occidentale » !
Ainsi, la Révolution de 1848 en France fut un succès – éviction d’un roi non élu, suffrage universel masculin, mise en place d’un nouveau système politique. Elle culmine avec le référendum de 1852 sur l' »auto-coup d’État » de Louis-Napoléon Bonaparte contre le Parlement, et le remplacement de la IIe République par le IIe Empire, qui sera dirigé par le nouveau « Napoléon III ». Il est approuvé par 97% des électeurs avec une participation de 80%. Plus de 8 millions de Français voulaient voter, et ils ne pouvaient le faire dans la France du 19e siècle qu’en acceptant que la vision bonapartiste de la Révolution française était le seul moyen de maintenir les acquis de la Révolution française au milieu d’un continent de monarchie absolue et de révolutions ratées ET en rejetant la démocratie libérale occidentale de la 2e République.
1848 a réussi en France précisément parce que les électeurs ont rejeté entièrement la démocratie libérale occidentale. Quatre ans pour comprendre, ce n’est pas si mal ?
Ainsi, la période entre la 2ème et la 3ème République est faussement calomniée comme étant équivalente à toutes les autres monarchies de l’époque. Nous en avons déjà parlé : nous parlons d’un Bonaparte élu, qui était naturellement détesté par ses contemporains autocratiques partout ailleurs dans la région. L’histoire se répète comme une farce dans le rejet gauchiste moderne des deux Bonaparte, et non dans la différence entre 1789 et 1848 !
Si nous ne tenons pas compte de la volonté de l’électorat français, par nature progressiste – par nature parce qu’il n’y avait pas d’autre électorat de masse à cette époque – et de son choix final des Bonaparte, nous sommes obligés de nous ranger du côté des horribles monarques absolus ou des horribles libéraux-démocrates.
La monarchie absolue a régné longtemps après 1848. Les libéraux-démocrates occidentaux, malgré toute leur arrogance, ne se laissèrent pas abattre, comme le nota Marx : « En tout état de cause, le démocrate (social) sort de la honteuse défaite aussi immaculé qu’il y était entré innocemment….. » En 1871, la collusion de ces deux forces avec l’Allemagne contre la social-démocratie et le bonapartisme/révolutionnisme français a conduit au siège traître de Paris (la Commune de Paris) et ensuite à la restauration de la démocratie libérale occidentale, malheureusement.
Cependant, en 2022, nous devons rejeter la condamnation de Marx et considérer les révolutions de 1848 comme un succès en France. Le maintien du suffrage universel masculin a constitué une avancée spectaculaire par rapport au reste de l’Europe. Cette seule avancée nous permet de voir clairement que les idéaux de 1789 et le mouvement d’éloignement de l’autocratie ont encore progressé.
Mais 1848 a été une avancée pour une raison encore plus importante : elle a permis la première mise en œuvre de la démocratie libérale occidentale moderne… et ses défauts endémiques ont été immédiatement révélés. Il est devenu évident que la démocratie socialiste était la seule vraie solution – d’où la Commune de Paris – si l’on veut une large prospérité, stabilité et égalité pour l’individu moyen. Ceux qui ne le réalisent pas sont coincés dans une boucle de malheur inutile de 1849-52.
L’ascension de Louis-Napoléon Bonaparte n’est pas aussi passionnante que celle de son oncle – le premier est simplement arrivé au pouvoir par le vote. C’est un homme politique moderne, avec de nombreux défauts, mais les Français de l’époque savaient qu’il représentait une option progressiste par rapport à la monarchie absolue ou à la démocratie libérale occidentale.
La section Algérie
Avant d’aborder l’incapacité de Marx à apprécier les réalisations de la Révolution française de 1848 et le règne de Louis-Napoléon Bonaparte en opposition à la démocratie libérale occidentale, nous devons brièvement analyser l’incapacité de Marx à prendre en compte le rôle que la conquête de l’Algérie a joué sur la politique de la France métropolitaine en 1848.
Marx s’est davantage concentré sur les systèmes bancaires et industriels, plutôt que sur l’impérialisme. C’est une omission significative : les trésors, les ressources et les salaires volés de l’impérialisme sont énormes – nous parlons des gains de l’appauvrissement d’un pays entier. Mais là où Marx a vraiment échoué, c’est en ne notant pas l’énorme impact politico-culturel du fait d’être un colonisateur.
Ce que les événements de 1848 ont prouvé, et que Marx n’a pas noté, c’est comment la démocratie libérale occidentale travaille main dans la main avec l’impérialisme militariste pour réprimer les masses de leur propre nation. C’est une analyse incroyablement importante à tirer de 1848, car l’armée française est passée d’une armée révolutionnaire en 1789 à une armée impérialiste en 1830.
La colonisation de l’Algérie était d’un tout autre ordre que la colonisation du Nouveau Monde, et nous devons délimiter cette différence : la colonisation d’un espace méditerranéen qui a vu Marseille et Alger interagir socialement pendant plus de deux millénaires n’est pas du tout la même chose qu’une perception occidentale (ignorante) de sauvages païens qui doivent être convertis. Oui, la France avait d’autres domaines impérialistes mais nous ne pouvons pas sous-estimer la puissance de l’Algérie française dans l’histoire de la France de 1830 à aujourd’hui.
L’Algérie a été envahie en 1830 pour détourner et finalement légitimer la prise de pouvoir par la Maison d’Orléans, qui mettait fin à la Restauration des Bourbons depuis 1815 – cette invasion s’est produite précisément au même moment que la chute d’Alger. Les finances et le prestige interne de Louis Philippe Ier ont été énormément renforcés sur le plan intérieur par l’occupation de l’Algérie. Cette nouvelle « classe impérialiste » a été trop ignorée par Marx dans les événements français de 1848.
Une preuve de l’impact politico-culturel de cette nouvelle « classe impérialiste » se trouve dans la personne de Louis-Eugène Cavaignac, qui est passé directement du poste de gouverneur d’Algérie à la répression de l’insurrection de juin 1848. Il a été un acteur aussi essentiel en 1848 et au-delà que n’importe qui d’autre, à l’exception de Louis-Napoléon Bonaparte, face auquel il a terminé deuxième à l’élection présidentielle de 1848. Comme le note Marx : » Cavaignac, le général du parti républicain bourgeois, qui a commandé à la bataille de Juin, s’est mis à la place du Comité exécutif avec une sorte de pouvoir dictatorial « . « L’élection de Louis-Napoléon Bonaparte en décembre met fin à cette dictature, mais pas avant que l’impérialiste Cavaignac ne dirige la rédaction de la constitution de novembre qui donne à la classe d’élite le pouvoir sur la France. Ce n’est pas rien !
La personne de Cavaignac représente donc la nouvelle pourriture capitaliste-impérialiste qui se retournerait contre son propre peuple, comme un flic anti-émeute CRS qui a pointé son pistolet à balles en caoutchouc sur le visage des Gilets Jaunes. Marx omet de souligner que c’est l’impérialisme contre l’Algérie musulmane qui a fourni ce muscle pour renverser 1848. Ou que la chère Garde nationale a été sapée par ce déploiement impérialiste. Ou que la culture française s’était certainement endurcie par une guerre qui n’était pas du tout menée pour la révolution progressiste.
Romaric Godin, journaliste économique au top média français Mediapart, dans son livre La guerre sociale en France a reconnu l’importance de Cavaignac (même si Godin ne reconnaît pas l’importance de l’impérialisme) à la fois comme un nouveau type d’homme politique et son parallèle évident avec Emmanuel Macron. Godin écrit : « L’autoritarisme démocratique est celui de Cavaignac en 1848 et d’Adolphe Thiers (le futur président de la IIIe République qui s’est entendu avec Bismarck pour assiéger Paris) en 1871 : celui qui utilise toute la capacité législative pour réprimer l’opposition. Ce genre d’abus est sanctionné par la loi et est donc parfaitement légal. »
La démocratie libérale occidentale commence en fait avec Cavaignac, qui a réprimé ceux qui réclamaient la démocratie socialiste, les ateliers nationaux et un rôle pour les paysans et le prolétariat en politique en juin 1848. On peut tracer une ligne droite de lui à l’écrasement des Gilets jaunes par Macron, et les deux hommes sont enguirlandés par la « démocratie » libérale occidentale.
En effet, de plus en plus de personnes semblent prêtes à appeler la France du 21ème siècle comme étant un vrai « autoritarisme démocratique« . Les Algériens musulmans le savaient déjà en 1830, et en 1848 tout le monde savait que l’autoritarisme est ce que la démocratie libérale occidentale a toujours été réellement.
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Ramin Mazaheri est le correspondant en chef à Paris pour PressTV et vit en France depuis 2009. Il a été journaliste dans un quotidien aux États-Unis et a effectué des reportages en Iran, à Cuba, en Égypte, en Tunisie, en Corée du Sud et ailleurs. Il est l’auteur de ‘Socialism’s Ignored Success: Iranian Islamic Socialism’ ainsi que de ‘I’ll Ruin Everything You Are: Ending Western Propaganda on Red Chinaqui est également disponible en simplified et traditional en chinois.
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