Par Dmitry Orlov – Le 7 juillet 2020 – Source Club Orlov
Paul Craig Roberts, qui était secrétaire adjoint au Trésor dans l’administration de Ronald Reagan, a annoncé que l’effondrement des États-Unis est inévitable. Pour étayer cette conclusion, il cite quelques Russes dont il respecte les opinions : Andrei Raevsky – alias The Saker – et Dmitry Orlov – votre serviteur. Je suis flatté, bien sûr, mais je n’ai jamais prétendu que l’effondrement des États-Unis était évitable. « Tous les empires finissent par s’effondrer ; aucune exception ! » Je n’ai pas cessé de le répéter. Depuis que j’ai commencé à écrire sur ce sujet en 2006, je n’ai jamais hésité sur ce point.
À l’époque, j’avais écrit [en français, NdT] :
« L’effondrement des États-Unis semble aussi peu probable aujourd’hui que l’effondrement de l’Union soviétique ne l’était en 1985. L’expérience du premier effondrement peut être instructive pour ceux qui souhaitent survivre au second ».
L’effondrement des États-Unis vous semble-t-il beaucoup plus probable aujourd’hui qu’en 2006 ? Si oui, c’est un bon signe ; sinon, vous devriez manger plus de poisson. Il est riche en oméga-3, ce qui permettra à votre cerveau de mieux fonctionner.
Je ne ressens pas d’envie particulière de me joindre à Paul Craig Roberts et d’annoncer que les États-Unis viennent d’atteindre le point de non-retour car, à mon avis, ils ont dépassé ce point depuis longtemps. Je trouve également assez fâcheux que cette détermination dépende de l’opinion de quelques Russes ; les Américains devraient décider eux-mêmes quand leur empire se sera suffisamment effondré pour appeler son effondrement par son nom : un effondrement. De plus, je ne veux pas participer à l’effondrement de l’Amérique parce que cela contredit la politique russe informelle concernant la chose, qui est bien résumée dans la phrase lapidaire ВСЁ САМИ – « tout par eux-mêmes » : les Américains peuvent s’écrouler sans l’aide de personne, c’est pourquoi les Russes refusent de lever le petit doigt pour ça. Conformément à cette politique, mon objectif est d’informer sur l’effondrement, et non d’y participer.
Et conformément à mon objectif d’informer sur l’effondrement, je souhaite vous fournir les outils pour décider si, et dans quelle mesure, l’Empire américain s’est effondré. Mon approche traite l’Amérique comme un Empire, et suppose qu’elle repose sur les trois mêmes piliers que tous les autres empires depuis leur apparition il y a plusieurs milliers d’années. Ces trois piliers n’incluent pas des éléments secondaires tels que la richesse financière, la puissance économique, la puissance militaire, la supériorité technologique, une population importante ou de vastes possessions territoriales. Les trois piliers sont composés de constructions mentales essentielles. Sans ces constructions, un empire se froisse comme un costume bon marché. L’Empire américain a déjà possédé ces constructions mentales en abondance. Je veux vous donner les moyens de décider par vous-même s’il les a encore.
Beaucoup de gens fondent actuellement leur appréciation de l’ampleur de l’effondrement de l’Amérique sur trois choses :
1. Black Lives Matter et le chaos qui l’accompagne, avec de nombreuses villes américaines pillées et incendiées, une police rendue inefficace et un taux de criminalité qui explose, des gens qui ont peur d’exprimer des opinions contraires à celles que la gauche totalitaire considère comme appropriées par crainte de perdre leur carrière et leur emploi. [C’est le phénomène Cancel culture, NdT]
2. L’effondrement de l’économie américaine et avec elle du marché de l’emploi, avec environ la mise à l’écart de la moitié de la population valide en âge de travailler, des vagues d’expulsion de locataires, de saisie des biens des propriétaires/débiteurs et de faillites d’entreprises, en particulier dans le secteur des services, jusqu’alors largement surdimensionné et parasité. Environ la moitié des propriétaires – détenteurs de prêts hypothécaires – sont prêts à vendre parce qu’ils ne voient pas comment continuer à payer leurs traites.
3. L’effort totalement insensé de contenir le coronavirus en utilisant des demi-mesures inefficaces qui gênent ceux qui ont très peu de chances d’en mourir – la grande majorité – tout en faisant tout ce qui est possible pour infecter les personnes vulnérables, âgées et les malades, afin de collecter ensuite quelques milliers de dollars supplémentaires auprès des compagnies d’assurance médicale ou du Trésor américain tout en les tuant lentement à l’aide de machines de respiration pulmonaire artificielle.
Non pas que ce soit de bonnes nouvelles, mais ce sont les symptômes d’une maladie sous-jacente, et non ses causes, qui sont de nature beaucoup plus générale et systémique. Ces symptômes sont peut-être d’une gravité sans précédent, mais ils ne sont certainement pas sans précédent dans leur ensemble.
Examinons chacun d’entre eux :
1. Aux États-Unis, la vie des Noirs compte – tous les 20 à 30 ans environ, mais presque jamais le reste du temps, pendant lequel on considère qu’il est bien de laisser les Noirs s’entre-tuer, de les emprisonner en masse et de contribuer à leur déchéance en leur fournissant un logement et en distribuant de l’argent et de la nourriture à des familles noires sans père. La routine est maintenant si bien rôdée qu’elle peut être recyclée à l’infini ; ainsi, le Rodney King de 1991 a été réincarné en George Floyd de 2020. Et n’oublions pas l’émeute raciale de Chicago en 1919.
En tout cas, ce n’est pas nouveau et ceux qui pensent que cela conduira à une sorte de mouvement révolutionnaire seront certainement déçus. Les révolutions nécessitent des dirigeants et une vision, et les dirigeants de ce mouvement n’ont rien à offrir en dehors de tactiques de protestation, qui ont également été recyclées. De manière emblématique, le poing levé, symbole de ce mouvement, a fait surface dans presque toutes les révolutions de couleur lancées par les États-Unis dans le monde entier, et il ne s’agit donc que de retours de bâtons.
Dans la politique américaine, les Afro-Américains sont des pions politiques manipulés en permanence à des fins partisanes, notamment par le parti Démocrate. Ils sont des pions politiques depuis la guerre civile, qui était un conflit économique – une lutte pour arracher économiquement le Sud à l’Empire britannique – l’abolition de l’esclavage était une fable moralisante pour cacher la soif de sang des industriels du Nord. En tant que pion politique permanent, la société afro-américaine est maintenue au plus près du point d’ébullition, prête à se révolter au moindre faux pas. Cette condition fait que la société afro-américaine dégénère de plus en plus à chaque génération qui se succède.
Actuellement, les Démocrates sont les instigateurs et les complices des émeutes raciales et du chaos qui en découle, dans une tentative désespérée d’empêcher la victoire de Trump lors de sa réélection. Ce faisant, ils contribuent à détruire le pays de l’intérieur, alors que Trump fait un travail de destruction à l’échelle internationale. Il s’agit d’une manifestation de la séparation des préoccupations au sein du duopole Républicain-Démocrate, ce qui n’est pas nouveau non plus : il est de tradition que les républicains s’occupent de la politique étrangère tandis que les démocrates se concentrent sur la politique intérieure.
Le fort penchant pour l’autodestruction est peut-être un peu nouveau, mais ce n’est pas la seule sphère dans laquelle l’Amérique s’autodétruit actuellement. C’est probablement un symptôme de la sénescence générale de son élite dirigeante. Beaucoup de ses membres dirigeants, y compris les deux candidats à la présidence – Trump et Biden – ainsi que beaucoup d’autres, ont largement dépassé l’âge de la retraite et, très probablement, sont trop séniles pour donner un sens à un monde en mutation rapide. Ils ne sont encore capables que de deux choses : s’accrocher au pouvoir et s’enrichir aux frais de l’État.
Quoi qu’il en soit, des émeutes raciales et d’autres manifestations politiques ont déjà eu lieu auparavant et l’empire américain a continué malgré tout.
2. L’économie américaine s’effondre en effet, et ce depuis plusieurs générations. À un moment donné, probablement vers 1970, lorsque la production américaine de pétrole conventionnel a atteint son maximum, il a été décidé qu’il devrait être possible de permettre aux Américains de vivre perpétuellement au-dessus de leurs moyens en s’endettant de plus en plus tout en accusant des déficits commerciaux toujours plus importants avec le reste du monde.
Bien entendu, cette technique, appelée conventionnellement « pousser le bouchon toujours un peu plus loin », est vouée à l’échec. Chaque fois que l’on pousse le proverbial bouchon un peu plus loin, le gouffre s’approfondit – il s’élève aujourd’hui à plus de 28 000 milliards de dollars pour la seule dette souveraine des États-Unis. Et puis on atteint une petite colline et le bouchon vous revient dessus et vous réduit en miettes. Il semble que cette colline a été rencontrée en 2019 – bien avant que le coronavirus ne commence à faire la une des journaux.
À l’heure actuelle, des millions d’Américains ont perdu leurs moyens de subsistance et succomberont en temps voulu à la malnutrition, à des problèmes médicaux non traités, à l’abus d’alcool et de drogues et, principale cause de mortalité, au désespoir. Cela se produit déjà de plus en plus.
Mais même un tel événement ne suffirait pas à mettre définitivement fin à l’empire américain. Après tout, suffisamment de personnes sont mortes pendant la Grande Dépression pour que celle-ci soit qualifiée d’acte de génocide – puisqu’elle était tout à fait évitable. Le fait fondamental à garder à l’esprit est que les États-Unis ne sont pas un État social et qu’ils ne se consacrent pas au bien-être de leur population. Pour parler franchement, aux États-Unis, la plupart des gens ne comptent pas – ils sont une ressource à utiliser pour faire des profits et amasser des richesses pour le petit nombre qui compte – ceux qui possèdent la ressource. C’est moins un pays qu’un country club ; et si vous n’en êtes pas membre, votre bien-être n’a aucune importance. Vous pouvez mourir en masse et être remplacé plus tard par l’immigration. Où sont les descendants des « coolies » chinois qui ont construit le chemin de fer transcontinental ? Rien ne prouve qu’un grand nombre d’entre eux soient jamais rentrés en Chine. Il est fort probable qu’on leur a simplement donné assez d’opium pour qu’ils se suicident tranquillement.
Ainsi, même un profond échec économique ne signifiera pas nécessairement la fin de l’Empire américain – car ce n’a pas été le cas jusqu’à présent. Les États-Unis peuvent simplement se défaire d’une grande partie de leur population, en la remplaçant au besoin par des migrants en meilleure santé, moins gâtés, mieux éduqués et plus disciplinés et recommencer à zéro, car il y aura encore des profits privés à réaliser jusqu’à ce que le tout dernier arbre, rocher ou tas de gravats soit vendu au plus offrant.
3. La panique face aux coronavirus a été des plus commodes. Elle a été utilisée comme excuse pour les nombreux échecs de ceux qui échouent et comme couverture pour divers types d’activités défensives utiles pour ceux qui n’échouent pas. La Chine et la Russie l’ont utilisée comme prétexte pour mettre au point leurs systèmes de soins de santé et de défense civile afin de contrecarrer toute future attaque bioterroriste américaine. Les Européens, avec leurs résultats lamentables et embarrassants, l’ont utilisée pour démontrer l’état de délabrement de leurs systèmes de soins de santé – à une exception notable : l’Allemagne – ainsi que leur désunion interne en ne se prêtant pas mutuellement assistance. D’un autre côté, ils ont pu utiliser le coronavirus pour arrêter la migration incontrôlée. Et les Américains ont utilisé le coronavirus comme excuse pour couvrir leur échec économique, qui a précédé la peur du virus et l’arrêt économique qui s’en est suivi.
Aujourd’hui, certains membres de l’élite américaine tentent d’utiliser la peur du coronavirus à des fins partisanes afin de détrôner Trump. Selon les statistiques publiées, le coronavirus a tendance à être beaucoup plus infectieux et beaucoup plus mortel dans les États contrôlés par les Démocrates que dans ceux contrôlés par les Républicains – un signe clair que les statistiques sont fausses, puisque les virus ne sont que des brins d’ARN enfermés dans une membrane protéique et, en tant que tels, n’ont pas d’affiliation politique. S’ils semblent être politiquement affiliés, cela indique qu’ils sont utilisés à des fins de propagande.
Outre l’affiliation politique, un autre excellent prédicateur du taux de mortalité des coronavirus est la prévalence des maisons de retraite. Les personnes âgées meurent toujours de quelque chose, et le coronavirus se trouve être l’agent mortel du jour, tandis que les maisons de retraite offrent un environnement propice à la propagation du virus, étant remplies de personnes dont le système immunitaire est affaibli et qui sont proches de la mort pour d’autres raisons.
Malgré la surchauffe de la presse et toutes les tactiques d’intimidation déployées par les épidémiologistes pour gagner leur vie, le coronavirus ne rend pas les gens malades, ni ne les élimine en masse, sans parler de tuer suffisamment d’enfants ou de personnes saines en âge de travailler pour qu’il ait une importance économique. Il est donc farfelu de penser qu’un problème médical aussi mineur suffirait à renverser un empire puissant.
Donc, cessons de considérer des problèmes aussi insignifiants que les émeutes raciales, les dépressions économiques et les virus respiratoires inhabituellement dangereux comme les causes profondes de l’effondrement de l’Empire Américain. Considérons plutôt que cet empire, comme n’importe quel autre, repose sur trois piliers : la culture, l’idéologie et l’histoire. Si l’un d’entre eux est absent, l’effondrement de l’empire devient probable. Éliminez les trois, et son effondrement est assuré. Vers les années 1970, ces trois piliers étaient au sommet de leur forme ; aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Voici à quoi ressemble chacun de ces trois piliers dans le contexte de l’Amérique d’aujourd’hui.
Culture
La culture aux États-Unis n’a jamais atteint le même niveau que, disons, Tolstoï ou Dostoïevski, mais c’était en fait un atout majeur. Comprendre Tolstoï ou Dostoïevski demande une éducation et un sens inné des valeurs morales, ce qui les rend difficiles à vendre à un public ignorant, distrait et immature. Le grand art, dans la mesure où il existe aux États-Unis, est une importation de luxe. Le public des concerts de musique classique est généralement composé de médecins, d’avocats, de dentistes et d’étudiants dans cette discipline, qui étudient pour se produire devant des médecins, des avocats et des dentistes.
Les Américains ont renoncé à tout cet apprentissage fantaisiste et ont créé une culture de super-héros vêtus de lycra qui, inévitablement, sauvent le monde d’un désastre certain. Ils ont montré au monde des machos comme Arnold Schwarzenegger, Bruce Willis et Sylvester Stallone et des salopes sexy délurées comme Julia Roberts et bien d’autres.
Pendant un certain temps, les Américains ont réussi à dominer le monde dans le domaine de la musique populaire. Ils y sont parvenus en créant le genre de musique qui permettait aux libidineux pathologiques et aux immatures de donner libre cours à leurs pulsions de base. Et ils ont créé une mode qui se dispensait de toutes les subtilités de la distinction sociale et réduisait toutes les apparences à des t-shirts, des blue-jeans et des casquettes de base-ball, le tout éclaboussé de logos à la mode, transformant malgré eux les gens en hommes-sandwichs qui paient pour faire la pub de ceux qui s’enrichissent sur leur dos – au sens propre !
Pendant un temps, la planète entière a tout gobé, surtout les jeunes. Les subtilités de la tradition culturelle locale ont été remplacées par un sabir mondial générique axé sur le plus petit dénominateur commun – une jeunesse ignorante et facilement titillée. Un argent fantastique a été gagné simplement en faisant des copies d’enregistrements, ou en cousant des étiquettes de créateurs sur des vêtements basiques assemblés dans un enfer du tiers monde.
Et puis les Américains sont passés à la vitesse supérieure et ont tout détruit. Le Terminator est une pseudo-femme multi-genre avec une personnalité schizophrénique, et Ariel de Disney est une transgenre trop bronzée. Le capitaine Jack Sparrow a été viré de la série Pirates des Caraïbes à la suite d’une longue et pénible bataille juridique avec son ancienne femme – le comble pour un capitaine de pirates. Les Américains ont décrété que le rap – produit d’une culture de ghetto complètement dégénérée – est vraiment une musique réelle plutôt que ce qu’elle est fondamentalement, c’est-à-dire un bruit obscène, grossier, violent, raciste et misogyne.
Les peuples d’Eurasie, d’Afrique et d’Amérique, du Nord et du Sud, ont maintenant pris conscience du fait que tous ces excréments culturels américains ne sont tout simplement pas normaux, quelle que soit la norme humaine prise comme étalon. Il s’agit d’un produit défectueux que les entreprises culturelles américaines vomissent dans le cadre d’un effort motivé par le profit pour gagner de l’argent tout en corrompant l’esprit des jeunes, à commencer par la population des États-Unis elle-même, qui est son public captif. En regardant ces résultats, le monde voit les Américains tels qu’ils sont en réalité – éternellement infantiles, décadents, sexuellement paumés, vulgaires et aux mœurs dissolues – et il frissonne de dégoût.
Pire encore, les Américains restent dans l’ensemble totalement aveugles à ce regard extérieur, et imperméables au ridicule perçu par presque tout le reste de la planète. L’ambassadeur des États-Unis à Moscou a récemment accroché le drapeau arc-en-ciel LGBT à côté du drapeau américain, ce qui a provoqué une surprise amusée chez les Moscovites : « Pourquoi l’ambassade LGBT hisse-t-elle un drapeau américain ? »
Un empire dont la culture – qui était l’une de ses principales exportations mais qui est devenue un ridicule objet de dérision presque universelle – peut-il durer beaucoup plus longtemps ?
L’idéologie
Pour comprendre la nature de l’idéologie américaine, il est nécessaire de retracer l’histoire du christianisme occidental. À Rome, le christianisme s’est d’abord répandu comme la religion des plébéiens et des esclaves, dont certains ont été martyrisés pour leur foi, mais ont trouvé des adhérents parmi les épouses des patriciens. Sa popularité a fini par croître au point qu’il a supplanté les anciens cultes païens et est devenu la religion d’État de l’Empire romain. L’Empire a ensuite organisé un exode de l’ancienne Rome – dans la langue de l’Apocalypse, la Prostituée de Babylone qui s’asseyait sur sept collines – vers la Nouvelle Rome – alias Constantinople et maintenant Istanbul – où il a continué pendant un autre millier d’années sous le nom d’Empire romain d’Orient, alias Byzance. Pendant ce temps, l’ancienne Rome a été largement abandonnée et a perdu la plupart de sa population. Ses égouts ne fonctionnaient plus, mais les aqueducs continuaient de fonctionner, ce qui en faisait un marécage impaludé.
Et puis ce marécage fut hanté par un minuscule État-nation sectaire dirigé par des moines – dont beaucoup étaient homosexuels et pédophiles – qui ont eu le culot de revendiquer la suprématie spirituelle sur le monde entier. Contrairement au christianisme originel, qui était basé sur un modèle communautaire, le culte papal était une corporation qui prélevait et collectait des impôts – à un taux fixe de 10%, appelé dîme – et contrôlait une grande partie de l’économie. Son chef était doté d’une infaillibilité semblable à celle de Dieu, en fait, il était déifié comme les empereurs romains de l’ère des dieux païens. Le Vatican a été érigé en siège de Dieu sur la planète Terre. Toutes les commandes passées au Ciel par les individus, afin de leur éviter les feux de l’enfer, devaient être acheminées par le siège social pour approbation. Le billet d’entrée au paradis s’appelait une indulgence. Ce faisant, l’appel au communalisme qui est partout dans l’enseignement du Christ a été fortement atténué.
Finalement, certaines personnes en ont eu assez de ces bêtises et se sont rebellées. Le mouvement rebelle s’est appelé protestantisme, et il a engendré de nombreuses sectes. À quelques exceptions près – certaines sectes anabaptistes – au lieu de s’orienter vers le christianisme communaliste originel, les protestants s’en sont éloignés encore plus en s’orientant vers l’individualisme : plutôt que d’être une affaire à régler par la médiation de l’Église, le salut est devenu une affaire strictement personnelle entre un individu et son sauveur – qui, pour autant que l’on sache, pourrait être un démon déguisé. Cela allait directement à l’encontre des premiers enseignements chrétiens : « Ce n’est pas toi qui m’as choisi, mais moi qui t’ai choisi… », a dit Jésus. (Jean 15:16) La position qui place Dieu à l’intérieur de sa précieuse personne est absurdement solipsiste et choisir son « sauveur personnel » est comme choisir son éruption volcanique, son ouragan ou son astéroïde.
Mais les protestants sont allés encore plus loin. Si le salut était une affaire strictement personnelle, alors la grâce de Dieu l’était aussi, et la façon la plus objective d’évaluer si l’on était doté de la grâce de Dieu était de regarder sa valeur nette : les bienheureux étaient évidemment les riches, et plus on était riche, plus on était béni. Très vite, il s’est agi de réaliser l’œuvre de Dieu pour amasser des richesses en les retirant à tous ceux qui, en fonction de leur valeur nette, n’étaient pas aussi favorisés par le Tout-Puissant. Ajoutez un peu de racisme, les races les plus sombres n’étaient clairement pas aussi bénies que les blancs, et vous arrivez à un élément essentiel de l’idéologie impérialiste occidentale. Soit dit en passant, selon cette idéologie, il n’y avait rien de mal à un peu de génocide. Les Américains ont donc perpétré un génocide contre les Indiens d’Amérique, les Britanniques contre à peu près tout le monde, et les Allemands – derniers arrivés dans l’impérialisme occidental – contre les Juifs et les Tziganes, non pas comme une sorte d’aberration criminelle, mais comme une grande et honorable quête.
La dernière étape consistait à retirer Dieu de l’équation. Or, la bonté d’un homme n’était déterminée que par un seul critère : les sommes d’argent en sa possession. La richesse pouvait être amassée par le crime, mais à condition que le criminel n’ait jamais été condamné pour ce crime, sa richesse, en soi, était une preuve non équivoque de sa bonté.
Entrez dans le rêve américain : voici un continent entier à exploiter, et n’importe qui – mais blanc – de n’importe quelle partie du monde pourrait venir en Amérique et « faire le job » – c’est-à-dire amasser des richesses fabuleuses. Cela ferait de lui une bonne personne. Les autres, dont la tentative de réaliser ce rêve devait échouer, mourraient dans la rue, mais cela n’aurait pas d’importance car, dans une logique un peu circulaire, étant fauchés, ils n’étaient pas bons du tout. L’idée que les membres des races sombres – et de certains autres groupes, comme les Irlandais – étaient plus pauvres et donc moins bien lotis, a été conservée, ce qui fait qu’il est bon et approprié de les exploiter pour son enrichissement personnel.
La simplicité de ce système et les possibilités qu’il offrait ont attiré des scélérats de toute l’Europe et d’ailleurs vers le pays des opportunités. De nombreuses vies ont été perdues et de nombreuses grandes fortunes ont été faites. Mais lorsque les années 1970 sont arrivées, les opportunités pour les nouveaux arrivants ont commencé à s’amenuiser et l’idée que le travail acharné et un peu de chance étaient ce qu’il fallait pour « réussir » en Amérique a été remplacée par quelque chose d’entièrement différent : le fait de naître dans la bonne famille avec la bonne quantité de richesses et les bonnes relations politiques est devenu un facteur exagérément déterminant de succès.
Comme il était devenu plus difficile de s’enrichir en travaillant dur, il est devenu plus facile de s’enrichir en poursuivant son employeur pour harcèlement sexuel ou discrimination. Au lieu de travailler dur, il est devenu plus facile de tomber dans une fosse sur un chantier de construction et de vivre ensuite des prestations d’invalidité. Vivre des allocations du gouvernement est devenu une bien meilleure option que d’essayer d’obtenir une somme d’argent équivalente en travaillant pour lui. Et pour les personnes encore employées, de moins en moins nombreuses, la recherche d’un emploi s’est transformée en une course à l’échalote toujours plus stressante, humiliante et précaire, pour un job qui pouvait prendre fin à tout moment. Le rêve américain est ainsi devenu un cauchemar.
Histoire
Dans toute culture, la création et les mythes fondateurs sont universels – chaque petit groupe et tribu en possède. Peu importe que vous pensiez que votre peuple a été arraché à un coquillage par un corbeau – comme le croient les tribus indiennes du Nord-Ouest américain – ou que vous croyiez que vous descendez de l’âme désincarnée d’un extraterrestre qui existait il y a 75 millions d’années – comme le pensent les croyants de la Dianétique de Ron Hubbard. Nos cerveaux fonctionnent de manières mystérieuses, et l’une d’entre elles est telle que si vous n’avez pas de mythe fondateur, vous ne savez pas qui vous êtes ni comment vous devez penser, ressentir et agir.
Il est également assez typique pour les humains de développer et de raconter des histoires épiques sur leurs grands ancêtres : des histoires de héros courageux qui ont lutté contre des monstres et des démons – et qui ont gagné. Ces histoires, lorsqu’elles sont racontées aux jeunes, les rendent fiers d’être qui ils sont et désireux de prouver leur valeur. Toutes ces histoires prodigieuses n’ont pas forcément une fin heureuse : certaines peuvent évoquer des échecs et des défaites épiques et être consignées dans des ballades et des lamentations tristes, mais elles n’en sont pas moins édifiantes parce qu’il y a de la dignité dans la souffrance, surtout si cette souffrance a une cause valable et qu’elle comporte un élément de martyre.
On pourrait s’attendre à ce qu’il soit un peu difficile d’extraire une série d’histoires heureuses et édifiantes de quelque chose qui est apparu au cours du processus consistant à interpréter malencontreusement les Saintes Écritures en remplaçant le communalisme par l’individualisme, puis en remplaçant Dieu par Mammon, et enfin en remplaçant tout cela par un simple lucre dégoûtant, tout en massacrant, asservissant, violant et pillant, d’abord en Amérique du Nord et ensuite dans le reste de la planète. Et pourtant, c’est ce qui a été fait !
La solution a été de concocter une histoire presque entièrement fausse. Dans tous les cas, un faux récit de bien-être a été substitué à ce qui s’est réellement passé dans le but de cacher ou de déguiser les véritables impératifs et motifs et de les remplacer par des fables moralisatrices synthétiques.
Ainsi, un important mythe fondateur est celui des Pèlerins – alias les Puritains – qui ont débarqué sur le Mayflower à Plymouth, Massachusetts, qui ont célébré Thanksgiving avec les Indiens locaux, et qui ont ensuite fondé la colonie de la baie du Massachusetts en 1630. Sauf qu’ils n’étaient pas des pèlerins, mais des colons – membres d’un étrange culte sectaire – et que les Indiens locaux, qui parlaient assez bien anglais et commerçaient beaucoup avec eux, auxquels ils vendaient une herbe sauvage locale que l’on pensait efficace contre la syphilis, qui ravageait l’Angleterre à l’époque – ne voulaient rien avoir à faire avec les puritains. Ces derniers, incapables de chasser, de cultiver ou de pêcher, et désespérés par la faim, ont pillé les potagers des Indiens. Cela ne les a pas aidé à se faire aimer des habitants de la région. Ils disaient des bêtises bizarres sur Dieu et, de plus, sentaient mauvais – pas le genre de personne qu’on invite à une fête de la récolte. De plus, étant membres d’une secte extrémiste, ils ne fêtaient même pas Noël, et donc ils ne seraient pas venus s’ils avaient été invités. Mais ils n’auraient pas pu être invités à une fête de Thanksgiving en tout cas, car la fête de Thanksgiving a été créée par Abraham Lincoln bien plus de deux siècles plus tard. Elle a ensuite été reconvertie pour vendre des dindes congelées, avec de faux pèlerins ajoutés comme gadget publicitaire.
Un autre jour férié important aux États-Unis, le 4 juillet, annoncé comme la fête de l’indépendance, est le résultat d’une révolte fiscale, où de riches colons ont refusé de payer des impôts au trésor impérial britannique alors que le commerce entre la Grande-Bretagne et les colonies se poursuivait. Cette séparation superficielle a eu d’autres avantages au fil du temps : elle a permis aux États-Unis de perpétuer la traite des esclaves au-delà de la loi sur la traite de 1807 et de la loi sur l’abolition de l’esclavage en 1833 ; elle a également permis aux États-Unis de tirer profit du commissionnement de corsaires servant essentiellement comme une colonie de pirates. Mais à bien des égards, les États-Unis et l’Empire britannique sont restés unifiés, et c’est ce qui a permis à l’Empire américain de prendre le relais de l’Empire britannique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Tout cela fait que l’expression « Independence Day » – jour de l’indépendance – n’est pas appropriée.
Par ailleurs, la guerre américano-mexicaine de 1846-1848 (connue sous le nom d’Intervención Estadounidense au Mexique) a été un cas flagrant d’agression territoriale, à la suite de laquelle les États-Unis ont saisi et annexé une grande partie du territoire mexicain. La plupart des souvenirs de cet événement honteux ont été effacés par la suite, et tout ce qui a été conservé est le symbole héroïque de Fort Alamo qui reste un piège à touristes très populaire jusqu’à ce jour.
La plat de résistance pour falsifier et blanchir l’histoire américaine reste la guerre de Sécession. Chaque année, les États-Unis produisent une nouvelle récolte de diplômés qui croient sincèrement qu’il s’agissait de libérer les esclaves alors qu’en fait, ce sont les industriels du Nord qui ont fourni les armes et qui ont voulu réorienter le flux de marchandises exportées depuis le Sud, en particulier le coton, de la Grande-Bretagne vers l’Amérique du Nord en détruisant la petite classe de propriétaires de plantations du Sud qui étaient de solides alliés de la Grande-Bretagne. La libération des esclaves était un spectacle secondaire destiné à donner à cette pure guerre d’agression un vernis moralisateur. Les esclaves n’ont pas vraiment été libérés de toute façon : il y avait la ségrégation, le redlining, les politiques sociales destinées à miner les familles noires, et à ce jour l’esclavage noir est très en vogue dans les prisons privées américaines. Les lois américaines contre le métissage ont été copiées avec empressement par les nazis allemands et utilisées contre les Juifs. Si l’on considère tout cela, la suggestion selon laquelle les blancs du Nord ont sacrifié leur vie pour libérer les esclaves alors que les blancs du Sud – dont la grande majorité n’avait aucun lien avec l’esclavage – ont sacrifié leur vie pour maintenir les noirs en esclavage est tout simplement risible. Et pourtant, c’est ce que les écoliers américains sont obligés de croire.
Certains événements historiques n’ont pas pu être blanchis et sont donc soigneusement oubliés. Par exemple, la guerre de 1812, au cours de laquelle des troupes noires défilant sous le drapeau britannique ont occupé Washington et incendié la Maison Blanche, n’offre pas le bon type de symbolisme et est donc passée sous silence. De même, un examen minutieux des relations des États-Unis avec les indiens autochtones d’Amérique du Nord présente une histoire de génocide qui est, strictement si on s’en tient aux chiffres, le pire génocide jamais perpétré dans l’histoire de l’humanité. Il est donc considéré comme impoli de le mentionner ne serait-ce qu’une fois.
En dehors de la guerre civile américaine, le plus grand crime contre la vérité historique a été commis par les Américains en ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale. Pendant la plus grande partie du conflit, 80 % des troupes allemandes ont été déployées sur le front de l’Est, tandis que sur le front de l’Ouest, les nations se sont rendues sans grand combat, puis ont travaillé dur pour contribuer à l’effort de guerre nazi contre l’URSS. Alors que les Américains et les Britanniques étaient formellement alliés à l’URSS contre l’Allemagne, ils souhaitaient ardemment que le Troisième Reich défasse, occupe et démembre l’URSS. Et bien que l’on fasse grand cas du Lend Lease, en vertu duquel les États-Unis fournissaient du matériel de guerre à l’URSS, ces fournitures étaient payées d’avance en or, dans l’attente d’une défaite soviétique rapide, mais ont été pour la plupart livrées après que la défaite de l’Allemagne a été assurée, et n’a pas représenté plus de 12 % du matériel de guerre total fourni à l’Armée rouge ; par conséquent, cela ne pouvait pas être décisif.
En dépit de l’abondante documentation d’archive de ces faits historiques, les Américains continuent de raconter que ce sont eux qui ont gagné la guerre. Le récent discours de Donald Trump lors de la cérémonie de remise des diplômes de West Point, au cours duquel il s’est payé de mots face aux diplômés qui « ont conduit l’Amérique à la victoire sur les sinistres nazis et fascistes impériaux il y a 75 ans » en est un exemple. Il n’a pas mentionné le fait que la guerre avait été gagnée par l’Armée rouge et que les États-Unis avaient joué un rôle secondaire, ne se joignant au conflit que pour s’approprier une partie du butin et seulement après que la défaite de l’Allemagne nazie ait été assurée. Et dès que le projet de destruction de l’URSS par l’Allemagne nazie se fut soldé par un échec, l’alliance a été oubliée et on est passé à la guerre froide et à un effort total pour tenter de détruire l’URSS par une première frappe nucléaire – qui s’est également soldée par un échec.
L’affirmation erronée selon laquelle ce sont les États-Unis qui ont vaincu Hitler est un grave affront à la mémoire historique des Russes pour l’immense sacrifice qu’eux et les autres peuples soviétiques ont fait pour assurer cette victoire. C’est bien plus qu’un exemple de mauvais goût ; c’est un cas de vol de mémoire, et c’est maintenant illégal selon la loi russe. L’un des amendements à la constitution russe, adopté avec un soutien public écrasant le 1er juillet 2020, est le suivant « 67.3 La Fédération de Russie honore la mémoire des défenseurs de la Patrie et protège la vérité historique. Il n’est pas permis de diminuer l’importance de l’exploit du peuple dans la défense de la Patrie ». Ce que Trump a dit à West Point fera automatiquement de lui un criminel en Russie ; tant pis pour son plan secret de demander l’asile politique là-bas une fois que la situation à Washington sera devenue incontrôlable.
Une véritable histoire qui reflète avec précision à la fois les victoires et les défaites, à la fois les actes d’héroïsme et les atrocités, et qui se souvient des grands dirigeants autant que des despotes, des traîtres et des méchants, est indestructible, et un peuple qui est capable d’accepter tout ce qu’il a été, en acceptant le bien et le mal, est inébranlable dans son identité. Le problème d’une histoire construite sur des mensonges est que les mensonges constituent une base très fragile.
Les statues publiques sont en train d’être renversées aux États-Unis en ce moment même. Washington, Jefferson, Lincoln et bien d’autres encore moins connus sont descendus de leur piédestal. Tandis qu’ils se tenaient encore debout, ils ont servi de prétexte à des narratifs prétendûment historiques que l’on disait héroïques et vertueux. Mais que pensez-vous qu’il en ressortira une fois le voile déchiré ?
L’histoire apprend aux gens qui ils sont. Mais qu’est-ce qu’une histoire pleine de mensonges raconte aux gens, si ce n’est qu’on leur a menti sur ce qu’ils sont ?
Il peut être douloureux d’admettre que l’Empire américain est en train de s’effondrer pour les raisons énumérées ci-dessus. La bonne nouvelle est que, pour vous épargner cette peine, vous pouvez toujours suivre la tradition politique américaine contemporaine et rejeter la faute sur la Russie. Je vais vous faciliter la tâche : ce qui suit est un extrait du roman L’art de la touche délicate (Искусство лёгких касаний) de Victor Pelevin, qui est un grand théoricien de la guerre psychologique. Il ne semble pas y avoir de traduction anglaise de ce roman, et la traduction ci-dessous est donc la mienne [avec certaines de mes propres clarifications ajoutées entre crochets].
« Une attaque cynique [psychologique] a été planifiée contre les dirigeants politiques du monde libre. Après l’activation du Russiagate, la « Chimère-Tsar », les Américains allaient se rendre compte qu’un sénateur de Washington et une actrice d’Hollywood exercent la même profession, à la différence que l’actrice souffle à l’oreille d’Harvey Weinstein tandis que le sénateur souffle à celle de Bibi… Je m’excuse, mais ensuite vient une théorie conspirationniste tellement ridicule qu’il est gênant de la répéter. Idéalement, dit Izyumin, tout politicien occidental qui n’est pas une canaille complète et évidente doit être dénoncé comme un agent russe.
À quel résultat cela devait-il mener ?
Les Américains auraient l’impression de ne pas vivre dans une république libre, mais dans un empire oligarchique pourri et que leur pays est le même genre de démocratie contrôlée à distance que [l’URSS], avec le même genre d’application sélective de la loi et d’élections frauduleuses, tout cela basé sur des mensonges. La seule différence serait la manière dont cette gestion totalitaire serait organisée et où la fraude serait cachée… Et, bien sûr, il y aurait une attaque contre la culture. Ce serait la même image sans joie : la tambouille hollywoodienne de synthèse, la publicité obligatoire [pour l’armée et la police], des membres bien entraînés de la classe créative [exposés] dans leurs vitrines sur Internet et des sociétés qui s’efforcent de s’adapter au programme gauchiste en étendant leurs toiles d’araignée high-tech dans l’obscurité spirituelle et en se préparant à poser des pièces de monnaie sur les yeux des futurs cadavres…[C’était une coutume hongroise de fermer les yeux des morts avec des pièces d’argent parce que, s’ils restent ouverts, nous verrions notre propre mort capturée dans leurs yeux, NdT]. Le plus important serait une attaque contre l’identité. La « Chimère-Tsar » créerait une sorte de miroir aux alouettes dans lequel un Américain verrait en lui un animal dépendant et effrayé, préoccupé en permanence par sa survie personnelle, censé à chaque étape démontrer des opinions politiques correctes et un patriotisme superficiel, semblable à celui de l’homme soviétique des années 70. La forme finale, entièrement déployée, de la Chimère a été décrite comme suit : l’Amérique contemporaine est comme l’Union soviétique totalitaire de 1979 avec les LGBT [plus les Black Lives Matter et les Antifa] à la place de la Ligue de la jeunesse communiste, la gestion des entreprises à la place du Parti communiste, la libération sexuelle à la place de la répression sexuelle et l’aube du socialisme à la place du crépuscule du socialisme… la différence étant que dans l’URSS des années 1970, il était possible d’importer des blue-jeans d’Amérique alors que l’Amérique contemporaine est le genre d’URSS où personne n’apportera jamais de blue-jeans. Il était possible de quitter cette URSS, alors que les Américains seraient coincés là où ils sont. Et il n’y aura pas non plus de « Voice of America », juste trois sortes différentes de « Pravda » et un seul immortel changeant de forme [le secrétaire général du Comité central du Parti communiste, Leonid] Brejnev qui se bat violemment contre lui-même. »
Selon Pelevin, la « Chimère-Tsar » rencontrerait une force de dissuasion fabriquée aux États-Unis. Si la Russie osait activer la « Chimère-Tsar » , les États-Unis activeraient leur force de dissuasion, ce qui entraînerait une destruction mutuelle assurée. Cela constitue une bonne intrigue pour un roman, mais elle est historiquement inexacte, car il est clair que les États-Unis avaient préparé leur contre-mesure avant que la « Chimère-Tsar » russe ne soit mise au point, et ils n’ont pas hésité à l’utiliser. Elle avait un nom de code simple et brutal : La fosse à purin géante.
Les États-Unis l’ont déployée contre la Russie dès le milieu des années 1980. Son but était simple : faire croire aux dirigeants russes que leur pays, l’URSS, était une fosse à purin géante, indigente, corrompue, décrépite et vouée à l’extinction. Elle a été si efficace qu’elle a incité les derniers dirigeants soviétiques, dont Gorbatchev et Eltsine, à se tourner vers la trahison pure et simple. L’URSS s’est rapidement effondrée – un résultat qui dépassa les attentes les plus folles. Cet événement a déclenché la mort prématurée de plusieurs millions de Russes qui sont morts de désespoir. Il s’agissait bel et bien d’un acte de génocide.
Miraculeusement, la Russie a réussi à se remettre de cette expérience, et près de trois millions de visiteurs internationaux lors de la Coupe du monde de football en 2018 ont été les témoins d’un pays transformé : modernisé, bien géré, efficace, amical et sûr. C’est à ce moment-là que la chimère de la fosse à purin géante a cessé de fonctionner. Les médias américains et occidentaux continuent à produire un tir de barrage de fausses mauvaises nouvelles sur la Russie, mais les seuls qui prétendent encore les croire sont les Occidentaux eux-mêmes, ainsi que certains membres de l’opposition politique russe financés par l’étranger et payés pour le croire : « Il faut arrêter de parler… d’enseigner des choses qu’ils ne faudrait pas, uniquement par lucre ». (Tite 1:11) Parmi les victimes les plus pathétiques de la fosse à purin géante figurent les immigrants russes en Occident qui s’y accrochent pour justifier l’exil qu’ils se sont imposé.
Quant aux Russes, ils ont vus leur reflet dans les yeux du monde et ont aimé ce qu’ils ont vu. Cette théorie de la conspiration est « tellement ridicule qu’il est embarrassant de la répéter », mais au moment où la Russie était prête à déployer la « Chimère-Tsar« contre les États-Unis, ces derniers avaient déjà tiré la chasse d’eau et se trouvaient sans défense face à cet assaut minutieusement calculé. Cela fait une bonne histoire, n’est-ce pas ? Mais c’est tout ce que c’est … une histoire.
Mais l’Empire américain n’est pas une histoire, c’est une pompe à richesse. Trois cent millions de personnes ont besoin qu’elle fonctionne – pour obtenir un tribut du reste du monde – pour continuer à se vautrer dans le luxe du style de vie du premier monde au lieu de plonger rapidement dans celui du tiers-monde et de se retrouver dans la ruine.
Quel est le rapport avec les trois piliers que sont la culture, l’idéologie et l’histoire ? Permettez-moi de développer cette question pour vous : qu’attendez-vous d’un peuple dont les icônes culturelles sont des super-héros qui ont perdu leurs super-pouvoirs, dont l’idéologie repose sur la croyance en la bonté d’un lucre sale qui tombe en poussière à cause de l’abus de la planche à billet, dont le bien-être repose sur sa capacité à recevoir l’aumône de cette même planche à billet et dont l’histoire a été réduite à une litanie d’atrocités qu’aucune humiliation publique ne peut racheter ?
C’est une question à laquelle vous devez réfléchir.
Dmitry Orlov
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
Traduit par Hervé, relu par JJ pour le Saker Francophone
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