L’échec de l’économie soviétique et la domination mondiale du pétrodollar


Par Tobias Pfennig – Décembre 2017 – Source Defend Democracy Press

Aujourd’hui, je voudrais parler de l’échec de l’économie soviétique et de la domination mondiale du pétro-dollar. Alors que nous sommes actuellement confrontés à de multiples difficultés économiques en essayant d’établir des économies indépendantes ou même socialistes, je suis sûr que pour réussir, nous devons étudier et apprendre de l’histoire – en particulier l’échec de l’économie soviétique, mais aussi son succès.

Pendant son existence, l’ensemble du bloc soviétique souffrait d’une pénurie massive de devises étrangères. Dans l’ancienne République démocratique allemande, nous fabriquions des marchandises de niveau international comme des micro-puces chez Carl Zeiss, des ordinateurs chez Robotron et des appareils de haute-fidélité. Beaucoup de ces produits étaient rebaptisés et vendus comme des produits haut de gamme dans les pays occidentaux. Même si nous étions en tête du marché mondial de la technologie dans de nombreux secteurs, nous vendions nos marchandises en dessous des prix du marché, afin d’obtenir des devises étrangères.

Comment le dollar US est-il arrivé au pouvoir ?

En 1929, la Grande Dépression a ébranlé le monde. Tous les pays ont aboli l’étalon-or des monnaies parce qu’il n’y aurait pas eu assez d’or pour rembourser tout le monde. Les gens ont commencé à se précipiter dans les banques pour échanger leur monnaie contre de l’or pendant que les marchés s’effondraient, et l’inflation a frappé les devises.

Ainsi, en 1933, le président des États-Unis Roosevelt a carrément nationalisé tout l’or du pays, obligeant les gens à le vendre au Trésor public et rendant sa possession illégale. En 1948, les États-Unis possédaient 22 000 tonnes d’or – soit 75% de tout l’or détenu par les banques centrales dans le monde – faisant du dollar la monnaie la plus soutenue par l’or et donc la plus fiable au monde. En outre, l’Amérique du Nord et l’Europe ensemble contrôlaient 91% du marché mondial des exportations. Avec cela, les États-Unis ont pu mettre en place, après la Seconde Guerre mondiale, le système de Bretton-Woods qui incluait la création du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.

Les États-Unis promettaient alors que leur papier imprimé avait de nouveau une valeur parce qu’ils assuraient sa convertibilité en or. Le reste du monde a accepté le système, qui impliquait que tous les échanges bilatéraux soient libellés en dollars US à des taux de change fixes. Le dollar US pouvait alors être échangé contre de l’or si nécessaire. Cela signifiait que toutes les monnaies ou les marchandises devaient être échangés contre des dollars US puis en une autre monnaie ou un autre bien. À ce stade, les États-Unis ont commencé à devenir la nouvelle superpuissance mondiale.

Alors que les pays commençaient à faire confiance au nouveau système, les États-Unis ont compris qu’ils n’avaient plus besoin de soutenir leur monnaie par de l’or et, de nos jours, personne ne sait s’il y reste effectivement de l’or à Fort Knox. Et lorsque, dans les années 1960, le président français De Gaulle a fait usage de cette possibilité d’échange et a ordonné que tous les dollars américains soient retournés en or à la France, il était déjà clair que le dollar n’était plus du tout soutenu par l’or. De nouveau, les États ont commencé à se précipiter pour récupérer leur or. Et pour éviter la dévaluation du dollar, les États-Unis ont dû à nouveau abandonner l’étalon-or en 1971. Mais les marchés mondiaux ont continué à échanger sur la base du dollar américain.

Pourquoi l’indépendance à l’égard du dollar US est-elle si importante ?

Lorsque nous construisons une économie indépendante ou planifiée, nous sommes toujours confrontés aux mêmes attaques. L’économie est utilisée comme un outil politique pour atteindre les objectifs des acteurs qui dominent les marchés et la politique. Et la Russie l’a de nouveau appris après la crise en Ukraine en 2014.

Depuis 2014, la Russie souffre d’une crise économique persistante, résultat direct des événements politiques intervenus en Ukraine. L’Occident a imposé des sanctions à la Russie en limitant ses possibilités de commerce alors qu’en même temps, le prix du pétrole commençait à chuter massivement. Les États-Unis et l’Union européenne avaient un objectif direct avec ces mesures : la dévaluation du rouble russe et la dégradation de l’économie russe – et cela a marché. Le rouble échangé contre le dollar US a perdu plus de la moitié de sa valeur et les réserves de change russes ont diminué d’un tiers au cours des mois qui ont suivi. C’est là que nous découvrons une fois de plus le problème du dollar américain comme monnaie de réserve et de change. Mais nous avons également découvert l’importance stratégique du marché mondial du pétrole et de son contrôle.

Pourquoi le marché du pétrole est-il si important ?

En 2013, les exportations de pétrole et de gaz ont représenté plus de 68% de l’ensemble des exportations de la Fédération de Russie. Comparé aux moins de 10% des États-Unis, c’est énorme. Nous pouvons donc dire que la Russie dépend directement de l’exportation du pétrole pour acquérir des devises étrangères. Avec la chute du prix du pétrole, cette possibilité a été réduite.

Fait intéressant, ce n’est pas la première fois que cela arrive à la Russie. En 1980, le pétrole était la source de 56% de tous les revenus soviétiques en devises fortes. Et lorsque, au début des années 1980, la crise du pétrole a provoqué une surproduction sur les marchés mondiaux, le prix a commencé à baisser. Comme aujourd’hui, les membres de l’OPEP ont essayé d’abaisser les taux de production pour stabiliser les prix. Mais en 1985, les Saoudiens ont augmenté leur production pour regagner des parts de marché et le prix du pétrole s’est totalement effondré. Il est passé de 30 dollars le baril à moins de 10 en quelques mois, alors que la demande continuait de croître. Une situation très semblable à celle d’aujourd’hui.

Immédiatement après le retour de la Crimée à la Russie en 2014, Michael Reagan, le fils de l’ancien président américain Ronald Reagan a écrit un article où il déclarait :

« Je suggère au président Obama d’étudier comment Ronald Reagan a vaincu l’Union soviétique. Il l’a fait sans tirer un coup de feu, comme nous le savons, mais il avait une super-arme – le pétrole. […] Puisque la vente du pétrole était la source de la richesse du Kremlin, mon père a fait en sorte que les Saoudiens inondent le marché avec du pétrole bon marché. La baisse des prix a dévalué le rouble, provoquant la faillite de l’URSS, ce qui a conduit à la perestroïka et à Mikhaïl Gorbatchev, et à la chute de l’Empire soviétique. »

Deux mois après la publication de l’article en 2014, le prix du pétrole a commencé à s’effondrer jusqu’à atteindre son plus bas, au tiers de sa valeur. L’Arabie saoudite, premier exportateur mondial de pétrole brut avec 20% de parts de marché, a une influence importante sur le marché. Mais les États-Unis ont aussi commencé à exporter massivement du pétrole. Depuis le début de l’Euromaïdan à la fin de 2013, les États-Unis ont augmenté leurs exportations de pétrole de 1500%, atteignant plus de 1.5 million de barils par jour. En outre, depuis 2011, ils ont réussi à doubler leurs extractions de 5 million à 10 millions de barils par jour. Cette augmentation massive de la production a été rendue possible par la fracturation hydraulique, et maintenant, la moitié du pétrole produit aux États-Unis est du pétrole de schiste. En quelques années, les États-Unis sont redevenus un des dix premiers exportateurs mondiaux.

Tout cela a de lourdes conséquences pour des pays comme la Fédération de Russie ou le Venezuela. Le Venezuela a les plus grandes réserves mondiales de pétrole et a essayé d’utiliser ses exportations pour créer de la richesse en faveur de sa population. Mais le problème est que d’une part 90% de toutes les exportations du Venezuela sont constituées de pétrole et que, d’autre part, il dépend des importations pour plus de 70% de sa consommation alimentaire. Il n’est donc pas étonnant qu’après la chute du prix du pétrole, les réserves de change vénézuéliennes confinent à zéro et que les gens voient des étagères vides dans les magasins.

Quelles implications ces faits ont-ils sur nos idées économiques ?

Nous pouvons énumérer certains points, qui sont absolument nécessaires pour construire une économie indépendante ou socialiste.

  1. Une balance commerciale stable des importations et des exportations ;
  2. Les exportations doivent être diversifiées et composées de marchandises provenant d’autant de secteurs différents que possible afin de survivre à d’éventuels effondrements du marché ;
  3. Les normes des marchandises échangées doivent correspondre aux normes les plus récentes du marché mondial ;
  4. L’autosuffisance ou l’autarcie doivent être un élément central pour éviter la dépendance à l’égard des marchés étrangers, mais ceux-ci ne pourraient pas être totalement éliminés parce qu’ils sont nécessaires au développement ;
  5. Le prix du pétrole doit être considéré comme un outil politique ;
  6. Le commerce en devises étrangères doit être contrôlé et le commerce en dollars US doit être aboli ;
  7. Le commerce doit être perçu comme un outil politique ;
  8. Il faut inventer un nouveau système économique au lieu de revenir à l’étalon-or.

Notre principal objectif, bien sûr, doit être de provoquer la chute du dollar américain. Enfin, cette année, la Russie et la Chine ont entamé des échanges bilatéraux en roubles et en yuans, sans le dollar. C’est un bon premier pas. Mais nous devons comprendre que le commerce n’est pas un simple échange de marchandises. C’est un outil politique puissant. Nous avons donc besoin d’une plate-forme en faveur du « commerce politique ». Le commerce extérieur, en particulier, crée des dépendances. Cette dépendance du commerce ne peut fonctionner qu’en établissant des objectifs communs. La meilleure manière de trouver ces partenaires est de regarder ces pays qui sont actuellement sous embargo ou boycott de l’Occident, des États-Unis, des pays de l’Union européenne et de l’OTAN.

Mon organisation, « Alliance anti-impérialiste » travaille activement dans cette direction, pour trouver des possibilités pour un tel commerce entre pays anti-impérialistes. Récemment, j’ai parlé avec le président syrien Bachar al-Assad de la possibilité de commerce entre la Syrie et les Républiques populaires de Donetsk et Lugansk. Mes camarades en Syrie et au Donbass espèrent entamer ce commerce l’année prochaine. Cet échange commun devrait aussi créer des liens politiques à long terme. C’est pourquoi nous pensons qu’il est absolument nécessaire de soutenir le peuple du Yémen dans sa lutte contre l’Arabie saoudite et l’impérialisme des États-Unis, non seulement d’un point de vue humanitaire, mais aussi dans la perspective stratégique de faire pression sur l’Arabie saoudite. Même si les Saoudiens ont décidé d’augmenter les prix du pétrole depuis quelques mois – cette décision a effectivement été prise avant la purge interne – je ne pense pas que l’Arabie saoudite puisse être un allié politique ou économique à long terme.

Donc, comme je l’ai déjà dit, je pense que le retour à l’étalon-or ne peut pas être notre objectif. Mais nous avons encore besoin d’une monnaie qui soit acceptée par nos partenaires internationaux pour le commerce entre des pays dans une sphère économique. Pour plaisanter, nous pouvons nous demander si nous devrions utiliser le Bitcoin. Bien sûr que non, mais la question est sérieuse. La seule chose qui donne de la valeur à ces monnaies numériques, à part pour la spéculation, est d’y croire. Le même système de croyance qui a d’abord amené l’or, puis le dollar américain, au pouvoir. Donc nous devons comprendre que la monnaie est un système de croyance.

Qu’est-ce qui a suffisamment de responsabilité pour convaincre les gens d’une nouvelle manière de commercer ?

Je pense que c’est le rôle que la Russie et la Chine jouent de plus en plus dans le monde. Depuis son intervention en Syrie, la Russie est de plus en plus perçue comme un facteur de stabilité, comme la voix des opprimés et une « pacificatrice ». De nombreux pays plongés dans des situations politiques problématiques regardent aujourd’hui en direction de la Russie et lui demandent conseils et aide. Et souvent la Russie a l’impression qu’on lui en demande trop. Peut-être que la Russie ne devrait pas le voir comme une demande excessive, mais plutôt comme une marque de confiance.

En 1963, le Conseil d’assistance économique mutuelle (Comecon dans son sigle anglais) a réussi à promouvoir le « rouble de transfert » une monnaie virtuelle conçue pour être utilisée pour les échanges mutuels entre les pays membres. Cette monnaie avait l’avantage de permettre le commerce extérieur sans créer une monnaie commune et sans le dollar américain entre deux. Évidemment, cette monnaie était principalement destinée à équilibrer les échanges entre les pays membres. Mais, placée sous la supervision internationale de pays partenaires, une monnaie similaire pourrait en fait conduire aujourd’hui à remplacer le statu quo. Le succès d’un tel projet réinventé n’est limité que par la quantité de marchandises échangées dans ce système et par le nombre de pays membres.

Surtout de nos jours, alors que les États-Unis et l’Union européenne essaient de bloquer les possibilités d’échange pour nuire aux économies et aux pays indépendants, je pense que nous avons de nouveau besoin d’un système similaire – une possibilité facile de créer des échanges commerciaux entre des pays aux intérêts communs, qui veulent préserver leur indépendance économique. Des pays qui ne veulent pas faire partie d’une union économique forcée et qui ne veulent pas renoncer à leur monnaie locale et à leur souveraineté. Des pays qui ne veulent plus accepter la superpuissance des États-Unis et de leur dollar… Des pays qui sont unis dans leur lutte contre l’impérialisme.

Je pense donc qu’il est nécessaire de recréer un tel système économique et de mettre fin, enfin, à l’hégémonie du dollar américain.

Tobias Pfennig, Alliance anti-impérialiste

Note du Saker Francophone

L'auteur était présent dans le public lors du deuxième colloque de Chișinău (15-16 décembre 2017)

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker francophone

 

 

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