Par Franck Pengam − Mai 2016
L’objectif de cette étude est de traiter du phénomène terroriste dans sa dimension spectaculaire, autrement dit celle qui mobilise intensément les médias et par conséquent les consciences collectives. Nous allons tenter une analyse globale pour montrer que cette forme précise de terrorisme peut être un instrument étatique utilisé ou récupéré, pour effectuer des modifications de paradigme dans la société… au bénéfice du pouvoir. Si «expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser» le terrorisme, selon le charismatique Premier ministre Manuel Valls, nous allons lui démontrer qu’en l’expliquant, nous voulons plutôt lui nuire.
Rappel historique
Mettons directement les pieds dans le plat : d’un point de vue historique, le phénomène terroriste a été majoritairement organisé par des instances étatiques dans un objectif de subversion précis. Les origines philosophiques du terrorisme contemporain peuvent remonter à la naissance du monde moderne, où la Terreur de la Révolution française de 1789 a été le moyen légitime pour un changement radical de paradigme, justifiant massacres et autres totalitarismes
qui suivront. Au XIXe siècle déjà, le terrorisme anarchiste d’extrême-gauche était supervisé en sous-main par l’État (le préfet de police Louis Andrieux et ses agents de police agitateurs infiltrés) pour contenir la contestation sociale et légitimer les lois scélérates de 1893.
Plus tard, dans les années 1950, ce sont des milieux d’extrême-droite qui ont été massivement récupérés par l’OTAN, avec la coordination des services de renseignement anglo-américains (CIA et MI6), pour lutter contre l’influence du communisme en Europe de l’Ouest par le biais d’attentats sous faux-drapeau. À partir des années 1970, ces réseaux d’armées secrètes de l’OTAN appelés Stay-behind, et notamment la section italienne Gladio, ont également commencé à manipuler des milieux d’extrême-gauche. Les Brigades rouges italiennes ont par exemple été instrumentalisées par la CIA, dans le cadre de la stratégie de la tension pour maintenir l’Europe dans le giron militaire de l’OTAN. En octobre 1990, le Premier ministre italien Guilio Andreotti a révélé que l’organisation Gladio, à travers la loge maçonnique italienne P2, organisait les opérations des Brigades rouges. Alberto Franceschini, un des fondateurs des Brigades rouges, l’a également expliqué dans ses mémoires publiées en 2005 1.
Il est démontré aujourd’hui que l’OTAN, la CIA et le MI6 ont tué des civils européens dans le cadre des opérations des cellules Stay-behind (exemple : l’attentat de la gare de Bologne en Italie en août 1980, 85 morts, 200 blessés) pour maintenir le Rimland européen sous contrôle anglo-saxon. Ces armées secrètes inféodées à l’OTAN étaient présentes dans la quasi-totalité des pays européens. De nombreuses études et livres documentés traitent de ces affaires 2, des reportages ont été réalisés et des enquêtes parlementaires suisse, italienne, belge, néerlandaise, autrichienne et luxembourgeoise ont éclairé le phénomène dans leur pays respectif, à partir des années 1990.
Dans les années 1980, ce sont les milieux wahhabites et takfiristes issus principalement d’Arabie saoudite, qui seront utilisés par les instances étatiques et para-étatiques anglo-américaines, principalement pour contrer la menace soviétique en Afghanistan. Des organisations telles que les Frères musulmans et la Ligue islamique mondiale, largement soutenues par la CIA, ont joué un rôle essentiel dans ce djihad US anti-soviétique. Ces éléments wahhabites deviendront centraux dans le changement de paradigme après la chute du mur de Berlin et seront utilisés massivement par la suite. L’ancien secrétaire d’État étasunien James Baker dira logiquement à ce sujet en 1996 : «Nous ne devons combattre les intégristes, que dans la mesure exacte où nos intérêts nationaux l’exigent.» Cette collaboration entre les États-Unis et les fondamentalistes musulmans n’est pas nouvelle. Elle commence au moins dès 1953, quand la CIA recrute des mollahs plutôt extrémistes (mais pro-étasuniens) pour renverser le président iranien Mohamed Mossadegh et quand les Frères musulmans s’intègrent aux objectifs
géostratégiques étasuniens durant la guerre froide.
La France du président François Mitterrand sera également de la partie. Les services de renseignements extérieurs français (DGSE) s’engageront à partir de 1982 dans la première guerre d’Afghanistan (1979-1989) avec leurs homologues des services secrets étasuniens (CIA), anglais (MI6), pakistanais (ISI) et saoudiens (GID). La confrérie religieuse des Frères musulmans recrute alors, depuis son centre pakistanais, des milliers de combattants des pays arabes pour aller faire le djihad anti-soviétique en Afghanistan. La DGSE armera et entraînera également des combattants pour ce conflit, y compris en France. Ces mêmes groupes seront mobilisés après les années 1990 en Bosnie, au Kosovo, dans le Caucase, en Irak, en Libye, en Syrie, etc., dans des objectifs peu avouables. Jusqu’à aujourd’hui, de nombreuses personnalités, notamment des Frères musulmans (et ses succursales l’Union des organisations islamiques en Europe, l’Assemblée mondiale de la jeunesse islamique, le Conseil mondial des mosquées et la Fondation internationale islamique de charité), recherchées par Interpol ont bénéficié et bénéficient encore de haute protection politique en France, alors même que des groupes algériens en relation avec eux (comme le Groupe islamique armé ou le Front islamique du salut) ont organisé des attentats en France et en Algérie à plusieurs reprise en 1994, 1995 et 1996 3. Les réseaux wahhabo-takfiristes franco-belges à l’œuvre actuellement se sont en effet constitués depuis les années 1990, selon le juge d’instruction au Tribunal de grande instance de Paris au pôle antiterroriste, Marc Trévidic.
Les services occidentaux n’ont pas le monopole du terrorisme étatique ; l’action terroriste sous fausse bannière a indéniablement été utilisée par de nombreux États pour faire avancer des intérêts divers. Voici une liste non exhaustive de 42 exemples plus ou moins admis officiellement, démontrant que le terrorisme étatique a été massivement utilisé dans de nombreux pays comme un outil de subversion précis. Nous pouvons d’ores et déjà souligner que le terrorisme a souvent été organisé par les plus grandes démocraties du monde libre, dans des objectifs géostratégiques transnationaux. Ceci invite à la vigilance légitime et au principe de précaution, quant aux affirmations tranchées sur l’actualité du phénomène terroriste contemporain.
Selon l’ancien diplomate et universitaire canadien Peter Dale Scott, il y a dans ces grands événements ce qu’on appelle l’Histoire officielle, qui ignore, déforme ou marginalise des événements profonds (et majeurs), et un second niveau d’analyse qui les incorpore, qu’il appelle l’Histoire profonde. L’écrivain français Honoré de Balzac l’avait également dit plus radicalement: «Il y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où sont les véritables causes des événements.» Nous allons maintenant entrer au cœur du sujet et tenter de mettre en lumière différents niveaux de l’histoire profonde dans de récents événements survenus en France.
Le lien étatique et para-étatique avec le terrorisme : failles ou collusions
La quasi-totalité des terroristes ayant frappé l’Occident depuis le 11 septembre 2001 à New York était connue de nombreux services de renseignements. Amusons-nous un peu : nous allons vous présenter des profils ayant commis les derniers attentats spectaculaires en France et vous devrez établir s’il s’agit de laxisme, de collusions ou/et de failles venant de services étatiques et para-étatiques. C’est parti.
Attentats à Paris, le 13 novembre 2015
- Abdelhamid Abaaoud, coordinateur présumé des attentats, a dès 2002 des démêlés avec la justice belge. Il multiplie les séjours en prison entre 2006 et 2012. Une fiche de synthèse des services de renseignement belges (Sûreté de l’État) précise que son père, Omar Abaaoud, a été auditionné en février 2014 et a déclaré que la radicalisation de son fils a commencé dès sa sortie de l’établissement pénitentiaire de Forest (en Belgique) en septembre 2012. Décrit comme «un bon vivant» par ceux qui le connaissaient, «il arrivait de le retrouver raide saoul, au petit matin, sur la place communale», Abdelhamid Abaaoud, le cerveau présumé des futurs attentats, commencera à être surveillé par les services compétents à partir de février 2013, date où il est repéré pour des voyages en Syrie. Selon BFMTV, le jeune homme était devenu membre de la police secrète de l’État islamique (EI), équivalent d’un service de renseignements, dans le fief de Raqqa en Syrie. Il a été en contact avec Mehdi Nemmouche en janvier 2014, quatre mois avant le quadruple assassinat du Musée juif à Bruxelles et ils ont d’ailleurs tous les deux fait partie du même groupe de combattants en Syrie. Il a également été en lien avec Ayoub el-Khazzani, l’auteur de l’attaque échouée du 21 août 2015 dans le Thalys Amsterdam-Paris. La police belge a démantelé à Verviers, le 15 janvier 2015, une cellule terroriste mise en place par Abdelhamid Abaaoud. Son nom avait aussi été évoqué par les services de renseignement étasuniens(CIA) dans un rapport de mai 2015, qui mettait en garde contre une possible attaque structurée de l’EI en Europe et par la possible présence en France d’Abdelhamid Abaaoud, considéré comme la tête d’affiche du contingent jihadiste francophone de l’EI. Le document émettait l’hypothèse qu’Abaaoud avait tenté de faire croire à sa mort à la fin de l’année 2014 sur le front syrien selon la radio La voix de l’Amérique (19.11.2015). David Thomson, journaliste à RFI et auteur du livre Les Français djihadistes (Les Arènes, 2014), dira également que «c’est le visage le plus connu du djihad francophone». En 2013 et 2014, il postait sur Facebook, sous sa vraie identité, des vidéos de lui sur le front syrien, lance-roquette à la main, appelant les gens à le rejoindre. Selon Le Parisien, un espion de l’EI tel que lui toucherait environ 50 000€ de rétribution personnelle pour une attaque fomentée en Europe. Reda H., arrêté en août 2015, a avoué qu’il avait été missionné par Abdelhamid Abaaoud pour commettre un attentat dans une salle de concert en France. Il a également prévenu de l’imminence d’attentats en France ou en Europe. Une écoute de la Sûreté de l’État du 2 janvier 2015 révèle qu’Abaaoud s’est plaint d’avoir été refoulé à un aéroport où «ses faux papiers ont probablement été détectés». Il n’a pas été dérangé plus que cela semble-t-il. Pour résumer, Abdelhamid Abaaoud a donc été mis en examen pour association de malfaiteurs terroristes, placé sous contrôle judiciaire, placé sur écoute, fait l’objet d’un mandat d’arrêt international, de nombreuses fiches des services de renseignements et a quand même pu faire des allers-retours en Syrie, revenir en Belgique et en France sans problème (il se vantait de pouvoir franchir les frontières européennes très facilement), pour finalement coordonner 9 personnes dans les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. La libre circulation des hommes entre la Turquie (point de passage récurent des zislamistes au Proche-Orient) et Bruxelles ne sera pas remise en question pour autant.
- Salah Abdeslam est connu des services de police pour ses petites activités criminelles. En 2011, il est condamné aux côtés de son ami d’enfance Abdelhamid Abaaoud dans des affaires de vol. Il fera un mois de détention préventive et perdra son emploi à la STIB (compagnie de transport en commun bruxelloise). En décembre 2013, il devient le gérant du bar Les Béguines à Molenbeek-Saint-Jean (son frère en est le propriétaire) qui fermera cinq mois, à partir du 5 novembre 2015, sur décision administrative pour consommation et vente de stupéfiants. Les frères Abdeslam étaient connus pour être de gros consommateurs de cannabis et d’alcool, comme l’exige la charia. Salah Abdeslam était également un habitué des bars homosexuels bruxellois. Son frère Brahim Abdeslam a été condamné à plusieurs reprises : pour vol en 2005, pour usage de faux et escroquerie en 2010 et plus tard pour infractions routières. En janvier 2015, il tente de se rendre en Syrie, mais est intercepté par les autorités turques. Renvoyé en Belgique, il sera interrogé avec son frère Salah Abdeslam et ils seront tous les deux relâchés et identifiés comme radicalisés. La section antiterroriste de la police judiciaire fédérale (DR3) de Belgique avait reçu, dès juillet 2014, des informations d’une source fiable à propos de projets d’attentats fomentés par les frères Abdeslam, a révélé L’Écho. Ce sont au total dix à treize personnes de la DR3 qui seront mises au courant des plans des deux djihadistes à partir de juillet 2014… sans suite. En raison notamment «de la mauvaise communication entre plusieurs services», la Police judiciaire fédérale (PJF) conclura que les deux individus ne représentent pas un danger et l’enquête fermera donc en juin 2015. La policière qui affirme avoir transmis à ses supérieurs des informations sur la radicalisation et les projets d’attentats des frères Abdeslam dès juillet 2014, fait aujourd’hui l’objet d’une enquête pour violation du secret professionnel. Elle est à l’origine des affirmations de la presse belge quant aux dysfonctionnements au sein de la PJF. Neuf mois avant les attentats de Paris, entre deux projets de massacre pour punir les impies, Salah et Brahim Abdeslam s’amusaient dans une boîte de nuit (halal?) de Bruxelles. Salah Abdeslam est ensuite identifié dans au moins huit pays différents et notamment avec Ahmet Dahmani en août 2015, membre présumé du réseau franco-belge de l’EI interpellé le 21 novembre 2015 à Antalyaen (Turquie). Selon le New York Times, la bourgmestre de Molenbeek-St-Jean Françoise Schepmans avait reçu, un mois avant les attentats, une liste de plus de 80 noms et coordonnées d’individus suspectés d’être des militants zislamistes, dont notamment Abdelhamid Abaaoud, Brahim et Salah Abdeslam. Selon un témoignage du voisin et ami des frères Abdeslam, qui les a vus la veille des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, une grosse dispute a éclaté dans la fratrie et l’un d’eux a affirmé ne pas bouger s’il n’avait pas «empoché l’argent». Au moins un des frères Abdeslam attendait donc sûrement sa commission pour agir le 13 novembre 2015. Un motif pécuniaire qui tranche avec la motivation de mourir en martyr pour la grandeur de Dieu… et de mourir tout court d’ailleurs. En effet, s’il est question d’argent, et vu le profil de ces personnes, nous pouvons penser que c’est pour qu’il soit dépensé. D’ailleurs, la mort des protagonistes n’était apparemment pas prévue, comme l’affirmerait un autre témoignage d’un des deux hommes qui exfiltrait Salah Abdeslam après les attentats du 13 novembre 2015. Ce dernier a en effet manqué de conviction en renonçant au dernier moment à se faire sauter à Paris : «C’était un enfant de 12 ans qui pleurait» en suppliant de ne pas être «balancé» selon le témoin. Ce n’est qu’ensuite que Salah Abdeslam exprimera sa colère, démontrant que le sacrifice au nom de la cause (mais laquelle?) n’était pas au programme : «Je me vengerai. Ils vont payer pour la mort de mon frère.» Le 29 octobre 2015, les données de 837 personnes fichées (dont les frères Abdeslam) à la Sûreté de l’État avaient été transmises au Schengen Information System, ainsi qu’à Interpol et Europol (European Police Office). Ceci n’a pas empêché Salah Abdeslam (fiché «S») de passer tranquillement trois contrôles de police en plein état d’urgence sans être inquiété, sur le trajet Paris-Bruxelles, juste après les attentats du 13 novembre 2015. Ceci a été justifié par le fait qu’il «n’était pas connu des renseignements français». Excellent. Il sera finalement arrêté le 18 mars 2016, dans le quartier où il a toujours vécu, en train de courir comme un gamin (voir à 1:16) on ne sait où, devant une ribambelle de policiers. D’ailleurs, dès le 7 décembre 2015, un policier de Malines (en Belgique) avait signalé dans un rapport l’adresse où a été appréhendé Salah Abdeslam : au 79 rue des Quatre vents à Molenbeek-Saint-Jean. Son rapport précisait qu’une personne radicalisée (Abid D’Jamilla) liée à cette adresse, a probablement eu soit un contact dans «un passé lointain» avec les frères Abdeslam, soit «beaucoup de contacts». Quoi qu’il en soit, c’est le 11 décembre 2015 que la cellule radicalisation de la police de Malines a décidé de transmettre l’information au parquet d’Anvers et à la police fédérale d’Anvers. Cela a été effectué à deux reprises le 17 et le 30 décembre 2015. L’information a également été transmise une troisième fois le 31 décembre 2015 par le chef de corps Yves Bogaerts à la Banque de données nationale générale et à la cellule antiterrorisme de la PJF de Bruxelles. Mais selon ce dernier, «une faute en interne aurait été commise à ce moment-là» : l’information n’a jamais été transmise. En plus de ces erreurs malencontreuses, la police de Malines a été sommée par «de plus hautes instances» de considérer cette information comme «non fiable». Trois tentatives infructueuses et un blocage hiérarchique… Un autre fait troublant (décidément) : une clé USB contenant des données sur des terroristes présumés appartenant à Salah Abdeslam a été saisie en février 2015. «Rien n’a été fait avec ces informations, selon le rapport du Comité P du 30 mars 2016. Le parquet fédéral a également demandé de suivre le trafic d’appels de deux GSM appartenant à Salah Abdeslam, de plus rien n’a été fait. Les enquêteurs ont même égaré un GSM appartenant à Abdeslam.»
- Omar Ismaïl Mostefaï a été condamné à huit reprises entre 2004 et 2010 pour des faits de petite délinquance, mais n’a jamais été incarcéré. En 2010, il est signalé pour sa radicalisation et fait l’objet d’une fiche «S» (renouvelée le 12 octobre 2015), depuis qu’il a été repéré en compagnie d’Abdelilah Ziyad, un terroriste marocain avéré, vétéran du djihad et condamné à huit ans de prison en France pour sa participation à l’attentat de 1994 à l’hôtel Asni à Marrakech. Mais les services de renseignement français savaient dès 2009 que Mostefaï s’était radicalisé à Chartres, dans le groupe dirigé par Abdelilah Ziyad. L’Algérie a notamment soupçonné ce dernier d’avoir été assisté ou manipulé par des services secrets dès la fin des années 1980. Les services secrets turcs (MIT) repèrent Omar Ismail Mostefaï le 6 septembre 2013 sur le territoire turc. La Turquie a prévenu la France à deux reprises, en décembre 2014 et en juin 2015, au sujet des agissements suspects de Mostefaï. Mais la France attendra les attentats du 13 novembre 2015 pour répondre à travers une demande d’informations sur le terroriste en question. Ce dernier serait entré en 2013 en Turquie par la Bulgarie. Il aurait ensuite transité par la Turquie pour se rendre en Syrie. Les autorités turques se seraient d’autant plus inquiétées de ses intentions, que sa sortie du territoire turc en direction de la France n’a jamais été enregistrée. Mostefaï resurgit dans les radars de la DGSI en avril 2014, à l’occasion d’une réunion du groupe radical d’Abdelilah Ziyad à Chartres, mais elle ne le place pas sous surveillance. Les services secrets algériens (DRS) avaient découvert depuis fin 2014 qu’il était membre d’une cellule de recrutement de djihadistes pour la Syrie, au nom de laquelle il aurait été chargé de transporter des messages, de l’argent et des faux documents. De plus, le DRS avait prévenu ses homologues de la DGSE française en octobre 2015, d’un fort risque d’attentats terroristes dans la région parisienne au niveau des «centres abritant des grands rassemblements de foules» et à propos de forts soupçons sur Omar Ismaïl Mostefaï. La DGSI avait placé la bande d’Abdelilah Ziyad sous une surveillance serrée à Chartres, d’abord en 2009 et 2010, et ensuite entre 2014 et septembre 2015, sans inclure Mostefaï. Les services ont fini par perdre sa trace jusqu’au 13 novembre 2015, au Bataclan.
- Samy Amimour a été mis en examen par la DCRI (ancienne DGSI), les services de renseignement intérieur français, le 19 octobre 2012 pour association de malfaiteurs / terroristes en lien avec un projet avorté de départ vers le Yémen. Il a alors été placé sous contrôle judiciaire et doit se présenter toutes les semaines au commissariat de Drancy. En septembre 2013, il viole son contrôle judiciaire pour se rendre en Turquie. Les services secrets turcs le repéreront dès le 6 septembre de la même année en compagnie d’Ismaël Omar Mostefaï et de Samir Bouabout (avec qui il avait préparé un départ pour le djihad raté en 2012). Il franchit la frontière pour aller en Syrie et rejoint les rangs de l’État Islamique. Ce n’est que le 29 octobre 2013 qu’un mandat d’arrêt international (renouvelé le 20 octobre 2015) est émis contre lui, après avoir violé son contrôle judiciaire presque deux mois auparavant. Il devait être jugé en janvier 2016 à Paris.
- Bilal Hadfi faisait des études pour devenir électricien à l’Institut Anneessens-Funck en Belgique. Sa radicalisation a été perçue de manière progressive par le personnel de l’institut et remonterait au printemps 2014. Le 15 février 2015, il part subitement pour la Syrie, prétextant un voyage au Maroc. C’est le 27 avril 2015 que le directeur de l’institut a informé du probable départ de l’élève en Syrie l’administration de l’enseignement bruxelloise, qui devait transmettre l’information à la cellule de radicalisation de la ville. Les tentatives de la direction de prévenir les autorités seraient «restées bloquées au niveau de l’administration», soit totalement niées. En effet, il figurait déjà sur les fichiers belges de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (OCAM), qui est un organe fédéral coordonnant les informations des services de renseignement militaire et civil belges (SGRS et Sûreté de l’État), tout comme ses coreligionnaires Salah et Brahim Abdeslam. Bilal Hadfi s’est fait également «radier par le collège», l’organe exécutif et politique de la commune de Bruxelles, dès mars 2015, ce qui lui a interdit de résider sur le territoire de la commune. Aussi, le 8 mars 2015, l’appartement familial bruxellois du concerné est perquisitionné avec une intervention de la brigade antiterroriste. Selon deux agents du renseignement européen (probablement du EU INTCEN) interrogés par le Washington Post, Bilal Hadfi avait aussi été repéré par des services pour un retour de voyage du Moyen-Orient vers la Belgique. Il a ensuite disparu des radars des services de sécurité belges. Comble de l’histoire : le directeur de l’Institut Anneessens-Funck a été suspendu provisoirement pour avoir réagi trop tardivement à la radicalisation de son élève… alors qu’il était déjà connu pour cela des services compétents.
- Chakib Akrouh est parti de Bruxelles début 2013 en Syrie rejoindre l’EI, en compagnie de six ou sept autres personnes, et s’était ainsi fait remarquer auprès des services antiterroristes belges. Il était fiché sur la liste des jeunes radicalisés de Belgique établie par les services de renseignement et faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international depuis le 28 mai 2014, selon le journal Le Soir. Il a été condamné en juillet 2015 par défaut à cinq ans d’emprisonnement lors du procès en Belgique d’une importante filière syrienne, qui avait vu Abdelhamid Abaaoud écoper, lui aussi en son absence, d’une peine de 20 ans. Selon une note datant d’avril 2012, un service de renseignement belge (Sûreté de l’État) savait qu’une cellule terroriste prévoyait des attaques de grande ampleur en Europe. Cette note évoque des événements suspects d’un appartement à Molenbeek-Saint-Jean mis sur écoute. La résidence appartenait à Gelel Altar, un Belge d’origine marocaine arrêté près de Casablanca le 15 janvier 2016 et suspecté d’avoir entretenu des liens avec les principaux auteurs des attentats de Paris (Abaaoud et Akrouh). La Sûreté de l’État a également relevé des évocations explicites d’attentats d’après des conversations entretenues par les différents suspects : ces informations ont été transmises au Parquet fédéral indiquant que certains extrémistes (aujourd’hui liés aux attentats du 13 novembre 2015) cherchaient à se procurer des armes et des explosifs. Khalid Zerkani, qui a été condamné cet été 2015 à douze ans de prison pour avoir recruté des jeunes pour aller combattre en Syrie, était également présent à ces réunions de 2012 avec son bras droit Gelel Attar. Malgré ces informations, personne n’a empêché les allers et retours entre la Syrie et la Belgique de tous ces braves gens (les jeunes du réseau Zerkani) parfois armés, selon le quotidien flamand Het Laatste Nieuws.
- Foued Mohamed-Aggad commence à se rapprocher de l’islam en 2012. Il part pour la Syrie en décembre 2013, accompagné de son frère aîné Karim et d’un groupe de huit amis. Leur voyage s’effectue sous couvert d’une mission humanitaire. Ils sont en contact avec Mourad Farès, un Français soupçonné d’avoir fait passer de nombreux candidats au djihad en Syrie, arrêté à la mi-août en Turquie et mis en examen jeudi 11 septembre 2014 par un juge antiterroriste parisien. Foued Mohamed-Aggad rejoindra l’EI. Depuis il faisait l’objet d’une fiche «S» pour radicalisation ainsi que d’une notice bleue d’Interpol (utilisée pour recueillir des informations complémentaires sur des individus concernant leur identité, leur lieu de séjour ou leurs activités illicites dans le cadre d’une enquête). Il a, malgré tout, pu passer toutes les frontières d’Europe jusqu’en France le 13 novembre 2015.
Pour conclure sur ces attentats, rappelons qu’une liste de tous les djihadistes français opérant en Syrie a été proposée il y a deux ans par les services secrets syriens à Bernard Squarcini, l’ancien n°1 de la DCRI. Il a transféré cette proposition à l’ancien ministre de l’Intérieur Manuel Valls, qui a refusé de collaborer avec les services syriens, pour des raisons probablement personnelles et idéologiques, selon Squarcini. D’après un document révélé par Paris Match, la justice française savait que la salle du Bataclan était une cible désignée pour une attaque terroriste depuis début 2009. Aucune alerte, protection ou surveillance spéciale n’a été mise en place, alors que le Belge Farouk Ben Abbes a également été interpellé pour un projet d’attentat contre le Bataclan en 2010. Ce dernier a pourtant été en contact avec le célèbre Fabien Clain, qui a revendiqué les dernières attaques de Paris au nom de l’EI et qui a été le mentor de Mohammed Merah dont nous parlerons plus tard.
Jesse Hugues, le chanteur du groupe Eagles of Death Metal, qui a joué au Bataclan le soir des attentats, affirme que «six membres de la sécurité ne s’étaient en fait jamais présentés» et qu’«ils avaient clairement une bonne raison de ne pas se montrer». Une complicité ou une faille que l’enquête n’a pas encore traitée. L’actuel directeur de la CIA, John Brennan, a également rappelé dans une interview à la CBS, que la CIA était au courant de la planification de ces attentats du 13 novembre 2015 à Paris quelques jours avant qu’ils ne surviennent, selon la radio La voix de la République islamique d’Iran (15/02/2016). Pour nuancer cette accumulation de faits troublants, nous mettrons en avant dans la suite de notre étude des cas dont la similarité est frappante : les attentats de janvier 2015 à Paris (Kouachi/Coulibaly) et de mars 2012 à Montauban et Toulouse (Merah).
Finalement, nous les recontextualiserons dans une perspective globale indispensable pour avoir de bonnes clefs de réflexion.
Franck Pengam
Note du Saker Francophone On est ravi de publier sur le Saker Francophone ce long article en 5 parties, qui retrace les attentats de novembre dernier et les remet en perspective dans un contexte géopolitique plus large. C'est un énorme travail de la part d'un jeune auteur, sourcé, factuel et très bien structuré.
Notes
- Alberto Franceschini, Brigades rouges : L’histoire secrète des BR racontée par leur fondateur, entretien avec Giovanni Fasanella, Éditions Panama, 2005. ↩
- Jan de Willems, Gladio (Bruxelles, EPO, 1991); Hugo Gijsels, Network Gladio (Louvain, Utgeverij Kritak, 1991); Leo Müller, Gladio. Das Erbe des Kalten Krieges. Der NATO Geheimbund und sein deutscher Vorläufer (Hambourg, Rowohlt, 1991) ; Jean-François Brozzu-Gentille, L’Affaire Gladio. Les réseaux secrets américains
au cœur du terrorisme en Europe (Paris, Albin Michel, 1994) ; Ronald Bye, Finn Sjue, Norges Hemmelige Haer. Historien om Stay Behind (Tiden Norsk Verlag, Oslo, 1995); William Blum, Killing Hope. US military and CIA interventions since World War II (Maine, Common Courage press, 1995); Emanuele Bettini, Gladio. La republica parallela (Milan, Ediesse, 1996); Jens Mecklenburg, Gladio. Die geheime Terrororganisation der Nato (Berlin, Elefanten Press, 1997); Fulvio Martini, Nome in codice: Ulisse (Milan, Rizzoli, 1999); Daniele Ganser, NATO’s Secret Armies. Operation Gladio and Terrorism in Western Europe (Londres, Franck Cass, 2005) [éd. fr. Les Armées secrètes de l’OTAN. Réseaux Stay Behind, Gladio et Terrorisme en Europe de l’Ouest (Paris, Demi-Lune, 2007) ↩ - Jean-Loup Izambert, 56 – Tome 1 : L’État français complice de groupes criminels, IS Edition, 2015 ↩
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