Par Dmitry Minin – Le 17 septembre 2027 – Source Strategic Culture
La levée du siège de Deir ez-Zor par les militants de État islamique (IS) a très justement suscité l’espoir que la guerre civile en Syrie prendrait bientôt fin. Mais dès qu’il est apparu clairement que les batailles pour la ville allaient se terminer, les éléments kurdes des Forces démocratiques syriennes (SDF), voulant obtenir une part du gâteau, ont commencé à s’ingérer.
Jusqu’à présent, les Kurdes n’avaient pas tenté d’atténuer le sort des personnes assiégées de Deir ez-Zor et de la garnison qui les défendait. Mais maintenant, sur l’insistance des conseillers militaires américains et en profitant de la défaite de l’essentiel des forces d’État islamique face à l’armée du gouvernement (SAA), les unités de SDF ont commencé à progresser rapidement dans la région de Deir ez-Zor située sur la rive est de l’Euphrate. Dans le même temps, les généraux américains déclarent avec véhémence qu’ils n’autoriseront pas les forces gouvernementales syriennes à traverser le fleuve. Les préoccupations concernant une éventuelle scission dans le pays sont de nouveau devenues réelles. Plutôt que la fin pacifique attendue, la situation en Syrie a empiré grâce à la menace d’une intervention militaire étrangère. Cette fois-ci, un conflit à grande échelle pourrait éclater entre le gouvernement central et les Kurdes.
Les déclarations de certains représentants du Pentagone sur la situation actuelle ne sont pas seulement nuisibles, mais totalement illégales. Comment une puissance étrangère, sans aucune résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, peut-elle dicter à un État souverain où son armée nationale peut et ne peut pas aller sur son propre territoire ? Sans oublier le fait que les États-Unis ont aidé le SDF à établir deux points d’appui sur la rive ouest de l’Euphrate dans et autour de Raqqa et Manbij près de la frontière turque. Et malgré leurs promesses antérieures, ils ne semblent pas avoir l’intention de partir. Dans le même temps, les Kurdes se rendent à Washington et font des choses susceptibles d’être suicidaires à long terme.
Les raisons de l’escalade actuelle résident dans le désir du commandement régional des États-Unis CENTCOM de changer ce qu’il considère comme un résultat défavorable de la guerre syrienne en sa faveur. À la suite de l’échec de son scénario au sud avec la capture de la zone frontalière syrienne avec la Jordanie et l’Irak par des forces de l’armée syrienne libre (FSA), l’armée américaine a abandonné l’idée et s’est consacrée de bon cœur à l’est. Sur les recommandations des généraux du Pentagone, elle aura encore une influence significative sur la nature du pouvoir à Damas en établissant un « bastion inexpugnable » de l’opposition sur la rive gauche de l’Euphrate qui séparera également les communications terrestres de la Syrie avec l’Irak et l’Iran. Et si cela ne fonctionne pas, les États-Unis espèrent, à tout le moins, établir une zone tampon à long terme.
Les rapports selon lesquels l’armée du gouvernement se prépare également à traverser le fleuve semblent avoir servi de catalyseur pour que les États-Unis accélèrent leurs plans pour capturer la rive orientale de l’Euphrate.
Beaucoup des mesures prises par le Pentagone et ses alliés ont été trop tardives et il est peu probable qu’elles réussissent. Ainsi, les inquiétudes exprimées par certains experts selon lesquelles la FSA pourrait battre la SAA dans la course à Abu Kamal, un lieu clé sur la frontière syro-irakienne, sont en grande partie infondées. La ville est située sur la rive ouest de l’Euphrate, et l’armée du gouvernement s’aventure vers elle à partir de trois directions à la fois – du nord le long du fleuve depuis Deir ez-Zor, du désert au sud et directement le long de la frontière. Les forces gouvernementales ont donc de meilleures chances de gagner la course.
Les menaces de l’armée américaine d’utiliser la force contre l’armée syrienne si elle traverse l’Euphrate n’arrêteront pas Damas. Toute action du commandement syrien visant à la défaite rapide de État islamique serait considérée comme parfaitement légitime aux yeux de la communauté mondiale, alors que toute opposition à celle-ci trouverait une aide et un encouragement au terrorisme. De plus, le Pentagone n’a pas assez de ressources dans le domaine pour mettre sérieusement ses menaces à exécution, surtout à la lumière de la coopération de la Russie et de la Syrie dans le domaine de la défense aérienne. Il faut supposer que la SAA commencera à traverser la rivière de l’Euphrate dans les prochains jours, quoi qu’il arrive.
En outre, les forces d’État islamique (7 000 à 10 000 militants) qui ont été poussées vers le fleuve pendant une longue période ont encore suffisamment de ponts et de bateaux à moitié détruits qu’ils pourraient essayer d’utiliser pour traverser jusqu’à la rive est du fleuve. Ils peuvent également être poussés par la SAA et l’espoir de créer leur propre espace fortifié sur la rive opposée protégée par des frontières naturelles. Avec un tel tournant d’événements, les forces attaquantes du SDF se trouveraient très désavantagées. Selon certains rapports, les militants de État islamique ont déjà lancé une contre-offensive contre les forces kurdes.
Washington ne se contente pas de relever des défis militaires dans la phase finale de la guerre syrienne, mais aussi des défis sociaux et politiques. Malgré tous ses efforts, l’Amérique n’a pas réussi à donner une importance nationale à son favori actuel – le SDF. Ces forces sont encore principalement composées de Kurdes, la composante arabe étant extrêmement faible. La raison en est la différence entre les objectifs et leur aversion mutuelle. Les dirigeants des Kurdes syriens, par exemple, n’ont pas soutenu l’opération conçue par les conseillers américains pour transférer des membres arabes de la FSA du sud de la Syrie sur les territoires occupés par les SDF. Et les quelque 2 000 militants d’Usudal-Sharqiya, Jaish Maghaweer, al-Thawra et Liwa Tahrir Deir al-Zour, qui sont là ne veulent pas être subordonnés aux Kurdes. En conséquence, le Pentagone a catégoriquement refusé sa protection à ces derniers.
Il y a également des frictions croissantes dans les relations entre les troupes kurdes et la population arabe dans les territoires occupés par les Kurdes à l’est du pays. Les Arabes en particulier sont deux à trois fois plus nombreux ici que les Kurdes, mais ils sont dans une position subordonnée, dont ils ne sont manifestement pas satisfaits. Les Kurdes sont assez bons pour se battre, mais ils ne sont pas très habiles à gérer la vie civile. L’économie est à l’arrêt et le niveau de vie reste faible. Les programmes scolaires étaient un point de désaccord, par exemple, car, comme on peut l’imaginer, ils ont été réécrits conformément à la façon dont les Kurdes voient leur place dans l’histoire et la culture de la Syrie. En réponse, des manifestations populaires ont éclaté dans un certain nombre d’établissements. Il est intéressant de constater que la levée du siège de Deir ez-Zor par l’armée du gouvernement a été accueillie par des rassemblements de soutien.
En gros, une situation se développe, dans laquelle, face à une éventuelle impasse avec les Kurdes, qui sont encouragés par les Américains, le gouvernement syrien n’agira pas seul, mais sera soutenu par l’opposition actuelle et trouvera même dans cette situation une base pour « l’unité nationale ». Il est également probable que la Turquie, par exemple, propage un sentiment anti-kurde dans la partie de l’opposition syrienne sous son contrôle.
Les actions actuelles de l’Amérique en Syrie ne devraient pas changer de manière significative le paysage stratégique là-bas. Dans le même temps, si les Kurdes syriens continuent à suivre la politique des États-Unis de manière si aveugle, ils risquent de perdre ce qu’ils s’attendraient à pouvoir obtenir dans un dialogue constructif avec Damas.
Dmitry Minin
Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker francophone