L’Europe est-elle vouée à brûler en enfer comme l’a prophétisé Kadhafi?
Par Lyudmila Alexandrova – Le 9 septembre 2015 – Source ICH
MOSCOU. Alors que la crise des migrants de l’Europe grossit et s’étend, de nombreux médias russes nous rappellent la dernière prophétie obscure du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, faite plusieurs mois avant sa mort violente. Dans une lettre ouverte obtenue par le quotidien russe Zavtra et publiée en mai 2011, plusieurs mois avant l’assassinat du leader libyen, ce dernier a déclaré :
«Maintenant, écoutez-moi, vous peuples de l’Otan. Vous êtes en train de bombarder un mur qui se trouve sur la route de la migration africaine vers l’Europe, et sur celle des terroristes d’al-Qaïda. Ce mur c’est la Libye. Vous êtes en train de le détruire. Vous êtes idiots, et vous brûlerez en enfer pour les milliers de migrants en provenance d’Afrique et pour avoir soutenu al-Qaïda. Il en sera ainsi. Je ne mens jamais. Et je ne mens pas maintenant.»
Depuis le début de l’année, 500 000 réfugiés sont arrivés en Europe. La crise des migrants est devenue la priorité numéro un pour les pays de l’UE. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a déclaré au Parlement européen dans son message annuel sur l’état des affaires dans l’Union européenne :
«L’Europe aujourd’hui représente une lueur d’espoir, un havre de stabilité dans les yeux des femmes et des hommes du Moyen-Orient et d’Afrique. Nous devons être fiers de cela et non pas le craindre.»
La question de la cause de cette crise des migrants en Europe a suscité un déluge de commentaires de la communauté des experts et de la société russe en général. L’Europe est sur le point de perdre sa réputation d’endroit le plus stable dans le monde, en grande partie parce que les principaux pays européens et les États-Unis ont démantelé les régimes des pays dont les populations sont maintenant à l’assaut des gares dans l’UE, disent les experts.
«Que la crise des réfugiés est le résultat des politiques des États-Unis et de l’UE crève les yeux», explique le chercheur principal de l’Institut d’études orientales de l’Académie des sciences de Russie, Boris Dolgov. «La destruction de l’Irak, la destruction de la Libye et les tentatives pour renverser Bachar al-Assad en Syrie par l’intermédiaire des islamistes radicaux, tous cela est le fait de la politiques de l’UE et des États-Unis, les centaines de réfugiés sont le résultat de cette politique», a-t-il dit à l’agence TASS.
La professeure Irina Zvyagelskaya, du département d’études orientales à l’Institut d’État de Moscou, section relations internationales MGIMO, a déclaré à l’agence TASS :
«C’est un problème très grave et multi-facettes. La guerre civile en Syrie, les tensions en Irak et en Libye alimentent en permanence le flux de migrants, mais ce n’est pas la seule cause. Je suis d’accord avec ceux qui voient les événements actuels comme la tendance vers un déplacement massif des populations, qui laisse les pays les plus faibles dans la misère économique. Il y a des problèmes systémiques qui amènent les gens à abandonner leurs maisons et à prendre la route. Et la législation européenne libérale permet à beaucoup d’entre eux non seulement de rester en Europe, mais aussi d’y vivre des prestations sociales, sans rechercher un emploi.»
L’auteur russe, dramaturge et metteur en scène Yevgeny Grishkovets, écrit dans son blog :
«Ces gens sont épuisés, en colère et humiliés. Ils n’ont aucune idée des valeurs européennes, des modes de vie et des traditions, du multiculturalisme ou de la tolérance. Ils ne seront jamais d’accord pour respecter les lois européennes. Ils ne se sentiront jamais reconnaissants envers les personnes des pays où ils ont réussi à entrer, parce que ces mêmes pays sont à l’origine des bains de sang chez eux et des problèmes qui les forcent aujourd’hui à partir.
» Angela Merkel promet que la société allemande moderne et l’Europe sont préparés pour régler ces problèmes […] Voilà un mensonge et un non-sens! Je suis certain que beaucoup de ceux qui, en France, en Italie et en Allemagne, qui font mine de compassion et secouent la tête de confusion en apprenant que de plus en plus de migrants sont noyés, meurent de suffocation ou de fatigue sur le chemin, se disent en secret quelque chose comme ceci : «C’est bien fait pour eux! Ce sera une leçon pour les autres.»
Le politologue Fedor Loukianov estime que la crise des migrants n’est que la partie visible de l’iceberg des innombrables problèmes qui se sont accumulés depuis des années.
Dans le quotidien publié par le gouvernement russe Rossiïskaïa Gazeta, il précise:
«Il existe un lien direct entre la crise des migrants et les quinze dernières années de politiques occidentales au Moyen-Orient. Aucune des tentatives d’intervention n’a donné les résultats escomptés. Au contraire, chaque geste a simplement fait tourner les choses de mal en pis. Mais même si les États-Unis et l’Europe avaient suivi une ligne plus calme, l’érosion serait toujours en cours, bien qu’à un rythme plus faible. Le résultat final, cependant, serait le même. Alors que les modèles du XXe siècle se sont révélés inefficaces dans les nouvelles conditions, aucune transition en douceur n’a été effectuée vers l’étape suivante.»
Le chroniqueur et blogueur Vitaly Tretyakov se demande pourquoi l’Union européenne est tombée dans ce piège dont elle ne sera jamais en mesure de sortir.
«Les raisons sont nombreuses, mais chacune d’entre elle est la conséquence de l’arrogance et d’une confiance en soi exagérée. Dans la plupart des cas, cet autoritarisme n’est jamais exprimé à haute voix, mais les Européens se sentent toujours supérieurs à tout le monde.
» Il reste à voir si l’Union européenne a succombé aux fortes pressions de Washington ou bien si elle a plutôt manifesté sa solidarité avec les États-Unis quand elle a décidé d’accélérer le prétendu processus de démocratisation en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Quel que soit le cas, ce faisant, elle a contribué à ouvrir la boîte de Pandore. Maintenant, un vaste territoire est plongé dans les guerres civiles, le chaos armé et des millions de réfugiés ont été contraints de fuir pour sauver leurs vies.»
Traduit par jj, relu par Diane pour le Saker Francophone