Par Elisabeth Krueger – Le 28 juin 2020 – Source Free West media
Les tensions causées par le conflit libyen ne se sont pas seulement amplifiées entre deux partis du pays – le Gouvernement Fayez el-Sarraj (حكومة الوفاق الوطني GNA) et l’Armée de libération nationale libyenne (جيش التحرير الوطني الليبي LNA) – mais également entre les pouvoirs étrangers.
L’Égypte en particulier a été inclue au conflit. La semaine dernière, le Caire a défini la “ligne rouge”, dont le franchissement pourrait amener la plus grande armée des républiques arabes à envahir la Libye.
Le GNA, dirigé par Faiz Saraj, devrait “se souvenir de sa place”, a dit une source officielle au Ministère Égyptien des Affaires Étrangères en commentant des propos sévères envers Abdel Fattah al-Sisi, le président de la République Arabe d’Égypte.
“Ils doivent connaître leur place, ils doivent comprendre la réalité de leur taille en Libye et à qui ils sont en train de parler. L’Égypte a fait preuve d’une grande patience, mais sera extrêmement ferme envers toute violation ou tentative de mise en péril de ses intérêts nationaux et de sa sécurité”, a déclaré le ministre égyptien des affaires étrangères.
En réponse à cette déclaration, le ministre de la défense du GNA libyen a déclaré que le GNA continuerait de prendre des mesures pour “libérer” la cité portuaire de Syrte de la LNA et de son commandant en chef le Marshal Khalifa Haftar, en dépit des mises en garde égyptiennes.
“Aucune ‘ligne rouge’ ne peut interférer avec l’avancée de nos forces vers Syrte”, a déclaré Salah ad-Din al-Namrush le ministre adjoint de la Défense du GNA dans une interview publiée le 25 Juin par l’agence de presse du gouvernement turque Anadolu.
Il est intéressant de mentionner que le 6 Juin, le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi a dévoilé son plan pour la paix, qui vise l’arrêt des hostilités et le retour à la table des négociations du dirigeant de la LNA Khalifa Haftar et de son homologue de la GNA Faiz Saraj, après une série de défaites militaires de la LNA près de Tripoli.
D’après le chef d’état égyptien, son plan signifierait le règlement rapide de la crise libyenne et le retour du pays à une vie normale.
“Les propositions d’initiatives envers toutes les parties du conflit libyen pour établir un cesser-le-feu ont débuté le 8 Juin”, a déclaré Abdel Fattah al-Sisi lors d’une conférence de presse commune au Caire avec Khalifa Haftar, le dirigeant du LNA et Akila Saleh, le porte-parole de la chambre des représentants (ou conseil des députés, parlement élu de manière permanente et basé à Tobrouk [depuis relocalisée à Benghazi, NdT]). Abdel Fattah al-Sisi a expliqué que cette initiative, appelée “Déclaration du Caire”, est exclusivement inter-libyenne.
En parallèle, Khaled al-Meshri, à la tête de l’assemblée législative agissant conjointement avec le dirigeant du GNA Faiz Saraj, a déclaré que les libyens n’avaient aucun besoin de nouvelles initiatives et a empêché la tentative d’Haftar de revenir aux négociations après les défaites militaires proches de Tripoli.
Il est de plus important de rappeler que le 4 Juin, à la veille de l’annonce de l’initiative du Caire par les autorités égyptiennes, Faiz Saraj était arrivé à Ankara pour une “visite de travail”. Il y avait rencontré le président turc Recep Tayyip Erdogan et, d’après les résultats de la réunion, il fut décidé que Khalifa Haftar “n’a aucun droit d’être représentant à la table des négociations inter-libyennes”.
De ce fait, le plan pour la paix du président égyptien a été soutenu par quelques pays, mais certainement pas par la Turquie. En réalité, les autorités turques n’ont jamais cessé d’interférer dans le conflit libyen, et de montrer leur soutien pour le GNA. De plus, la Turquie a déclaré que son intervention dans le conflit militaire en Libye est légale et qu’elle n’enfreint aucune loi internationale.
Le 26 Juin, le ministre turc de la défense Hulusi Akar a déclaré à l’agence de presse İhlas Haber Ajansı que la présence turque en Libye débuta en 2010. Akar a souligné que cette présence s’est déroulée et se déroule encore à travers des accords déjà en place, et que le chef du GNA Faiz Saraj “s’est personnellement adressé au président turc et lui a demandé d’envoyer l’armée, l’interférence dans le conflit est donc justifiée.”
La Turquie utilise ainsi cet argument pour créer une intervention de grande envergure en Libye. Le 14 Juin, le journal libyen The Libyan Observer a indiqué que la Turquie avait pour intention d’ouvrir deux bases militaires en Libye.
Selon les sources de cette agence de presse, dans le cadre de la coopération militaire et technique, Ankara va déployer des systèmes de défense aérienne ainsi que des drones sur la base de Al-Vatiyya, dans l’ouest du pays. Les forces militaires turques seront également localisées dans une base près de la ville de Misrata. De surcroît, la Turquie envisage d’organiser des missions navales pour “prévenir des menaces provenant de la mer envers le pays”. En lien avec la coopération entre Ankara et Tripoli, la Turquie projette également de débuter l’exploration et les forages pétroliers.
De telles ambitions montrées par le gouvernement turc ne sont pas bien accueillies du tout par ses partenaires de l’OTAN. La France en particulier a montré son irritation grandissante du fait des incidents en Mer Méditerranée.
Le 10 Juin, sept bateaux turcs ont tenté de livrer du matériel militaire sur la côte libyenne en violation de l’embargo sur les armes établi par le Conseil de Sécurité de l’ONU contre la Libye. La frégate française Courbet, qui faisait à ce moment office dans la mission “Sea Guard” de l’OTAN, est intervenue dans cette opération malfaisante et, en réponse, les navires turcs ont audacieusement pointé leurs systèmes d’attaque vers le bâtiment français.
Le président français Emmanuel Macron a commenté l’incident, déclarant que “la Turquie joue un jeu dangereux en Libye” et que la France “ne tolérera pas ce jeu”.
La Grèce exprime également ouvertement son mécontentement envers la politique extérieure turque. Le ministre des affaires étrangères grec Nikos Dendias a déclaré que la Turquie “sape la sécurité et la stabilité dans l’est méditerranéen, viole la souveraineté de la Libye, de la Syrie, de l’Irak et de Chypre”.
Il a fait cette déclaration a la fin de sa visite, conjointement avec Josep Borrell, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, dans la ville de Kastanies dans la région d’Evros, à la frontière avec la Turquie. Dendias a indiqué que la Turquie a activement envoyé des migrants, en les encourageant à franchir la frontière avec l’Union Européenne, mais que “cette tentative de chantage a échoué”.
L’opinion que les ambitions de politique étrangère d’Erdogan deviennent trop agressives et dangereuses pour l’Europe est désormais partagée par les politiques allemands. Stefan Keuter, membre AfD du Bundestag a continuellement exprimé ces inquiétudes envers la politique étrangère turque – il pense que les activités d’Erdogan se sont montrées à plusieurs reprise un “accélérateur de feu, particulièrement concernant la migration illégale en Europe”.
C’est avec une grande attention que moi, mais également beaucoup de mes collègues du parlement, regardons les activités Turques, et pas seulement en Libye. Tout ce que fait Erdogan en termes de politiques étrangère a un impact direct sur l’Europe – et sur l’Allemagne. Malheureusement, surtout un très mauvais impact.
Traduit par Clément, relu par Wayan pour le Saker Francophone
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