Le poids colossal du simulacre-‘Russiagate’


Par Philippe Grasset − Le 15 fevrier 2022 − Source De Defensa

Le 12 février, le procureur spécial Durham rendit son nouveau rapport intermédiaire. N’ayez crainte pour Durham, sa réputation est dure comme de l’acier trempé, c’est un de ces rares hommes de loi représentant le gouvernement aux USA, pour une enquête interne, qu’il est impossible de faire varier d’un degré ni d’un paquet de dollars quand il a une mission à accomplir. Son visage fermé, sévère, c’est presque une caricature de l’officier supérieur de justice incorruptible, et assez brutal et extrême, —dirait-on un Robespierre de l’accusation, plus qu’un Fouquier-Tinville bouffi de mensonges cyniques ?

Écoutez ce que le très-respecté constitutionnaliste Jonathan Turley dit de lui, justement à propos de l’enquête que mène Durham dont il (Turley) mesurait alors et déjà (le 5 novembre 2021) toute l’importance:

Durham est décrit comme étant soit douloureusement méthodique, soit positivement glacial en tant que procureur. Mais il est largement reconnu pour être un procureur acharné et absolument apolitique. L’arrestation de Danchenko est un développement sismique et confirme que Durham est loin d’avoir terminé son enquête.

Maintenant, pour le contenu, les effets, le potentiel du rapport du 12 février. On laissera pour le coup parler Trump car, en l’occurrence, il est complètement fondé de parler, et ses exclamations, ses hyperboles, ses accusations sont absolument justifiées devant cet Himalaya de scandale, de forfaiture, de tromperie au plus haut niveau de l’État Bref, c’est tout  ce qu’alimente notre haine de la Russie et de Poutine emballée dans une moraline accouchée d’une raison-subvertie fardée comme une fille, avec l’hystérie du psychopathe en pleine crise, comme cerise sur le gâteau, – aux USA certes, chez les Système’s boys-girls, mais aussi drôlement en Europe, nous qui nous sommes complètement transmutés en blocs de haine moraline.

Trump enfin, pas fâché de pouvoir être vraiment très fâché :

L’ancien président Donald Trump a publié une réponse cinglante samedi après que le conseiller spécial John Durham ait révélé dans un document judiciaire que l’équipe de campagne (2016) d’Hillary Clinton avait comploté pour infiltrer la campagne Trump ainsi que les serveurs informatiques de la Maison Blanche afin de fabriquer des allégations de collusion russe.

“Le dernier argumentaire du conseiller spécial Robert Durham fournit des preuves indiscutables que ma campagne et ma présidence ont été espionnées par des agents payés par la campagne d’Hillary Clinton dans le but de fabriquer une connexion totalement faussaire avec la Russie”, peut-on lire dans la déclaration de Trump.

“C’est un scandale bien plus grand dans sa portée et son ampleur que le Watergate et ceux qui ont été impliqués dans cette opération d’espionnage et qui étaient au courant de celle-ci devraient faire l’objet de poursuites pénales.

Dans une période plus forte de notre pays, ce crime aurait été passible de la peine de mort. En outre, des réparations devraient être versées à ceux qui, dans notre pays, ont été lésés par cela.”

» Comme [l’actuel conseiller du président et directeur du NSC]  Jake Sullivan, – qui mène actuellement les États-Unis sur le chemin de la guerre avec la Russie au sujet de l’Ukraine ? »

Ces informations sensationnelles venues d’un procureur spécial indépendant, qui est une nomination temporaire d’une valeur suprême pour le temps de sa mission, dans le cadre constitutionnel US, donc une nouvelle qui devrait constituer un devoir d’information détaillée de la part de la presse, presseSystème incluse et au premier chef, a rencontré un silence quasi-unanime absolument stupéfiant de la part de cette même presseSystème. Seul le New York ‘Times’, dans un acte d’une extrême hypocrisie et d’un profond mépris pour ses lecteurs, en a parlé pour n’en rien dire, selon l’argument que la chose était trop complexe pour ses lecteurs, – en gros et selon les termes que le NYT devrait ne pas hésiter à employer, “vous êtes trop cons pour comprendre”. L’argument est si ahurissant qu’il laisse sans voix, – mais pas sans commentaire écrit pour notre compte :

Un journaliste du New York Times a expliqué pourquoi le journal s’est joint à la quasi-totalité [de la presseSystème] pour ignorer l’accusation majeure de l’avocat spécial selon laquelle la campagne d’Hillary Clinton a espionné les communications de la Trump Tower, de l’appartement de Donald Trump à New York et de la Maison Blanche, dans le but de faire passer Trump pour un agent de la Russie.

Les accusations déposées dans les motions de l’avocat spécial John Durham dans le cadre de son enquête sur [le ‘Russiagate’] dans l’administration Obama sont essentiellement trop complexes pour les lecteurs du Times, a écrit Charlie Savage, qui couvre les questions de sécurité nationale et de politique juridique.

Deux jours après la publication des documents Durham, Savage écrit que les affirmations de Durham “abordent des questions denses et obscures, de sorte que les disséquer exige de demander aux lecteurs de dépenser beaucoup d’énergie mentale et de temps, – ce qui soulève la question de savoir si les médias devraient même couvrir de telles affirmations”.

Il a poursuivi en déplorant que “les alliés de Trump dépeignent les médias comme étant engagés dans une opération de dissimulation s’ils ne le font pas”.

» L’“analyse de l’actualité” de Savage publiée lundi s’intitule “Le dépôt d’une plainte a déclenché la fureur des médias d’extrême droite, mais leur récit n’est pas cohérent”. Le sous-titre est le suivant : “Les dernières affirmations alarmistes sur l’espionnage de Trump se sont révélées fausses, mais l’explication est byzantine, – soulignant le défi pour les journalistes de décider ce qui mérite d’être couvert”. »

De toutes les façons, écrit encore Savage, tout cela est « old news », c’est-à-dire “tout le monde est au courant”, – ce qui n’est pas si faux pour notre compte, vieille canaille ! FoxNews, le seul réseau à en avoir parlé avec abondance, et avec les invectives rafraîchissantes de Tucker Carlson, relève que les réseaux ABC, NBC, CBS et MSNBC n’ont accordé aucun temps d’antenne à l’affaire tandis que CNN, royale, y consacrait deux minutes et 30 secondes.

Parallèlement nous diront quelques mots de l’“invasion”-bouffe de l’Ukraine si complètement dépendante dans sa filiation de ‘Russiagate’, – alors que les Russes recommandent à l’Ukraine, pour que tout s’arrange, d’abandonner d’elle-même l’idée d’une adhésion à l’OTAN si l’OTAN ne change pas son attitude, et que le gouvernement ukrainien semble envisager de faire des ouvertures vers les sécessionnistes du Donbass. Tout cela ne fait pas du tout l’affaire de la partie américaniste, qui a d’abord utilisé son arme favorite pour tenter de remettre Zelenski dans le droit chemin : une aide d’un $milliards pour la gloire de la démocratie, ça irait ?

En attendant, l’administration Biden et le reste continuent leur étrange et sensationnelle série de montagnes russes dans leurs réactions vis-à-vis de ceci et de cela, et dernièrement des annonces de retrait des troupes russes. Biden, qui a par ailleurs ordonné la fuite couarde de tous les militaires américanistes (« Le ‘Moment-Kaboul’ s’est déjà produit en Ukraine », écrit le Saker-US) et expliqué d’une façon très-rock’n’roll le retrait de certaines forces russes (« C’est pour mieux exécuter l’encerclement de l’Ukraine », – vision stratégique de type ‘Art Contemporain’) a conclu en réponse au retrait partiel russe, – cette fois en ne donnant ni date ni heure pour l’“invasion”, ce qui témoigne d’un sens parfait de la dissimulation tactique (l’ennemi ne doit pas savoir que vous savez ce qu’il n’a pas encore décidé de faire) :

Le président Joe Biden continue de mettre en garde contre une éventuelle invasion russe de l’Ukraine, malgré les informations selon lesquelles la Russie retirerait certaines de ses troupes de la frontière ukrainienne.

Peu de temps après que le président russe Vladimir Poutine a déclaré mardi qu’il était ouvert à des discussions sur la sécurité avec l’Occident et que certaines forces russes quittaient leurs positions près de l’Ukraine, Joe Biden a prononcé un discours dans lequel il a déclaré qu’une invasion russe était « toujours très probable ».

On reste toujours songeur et même rêveur devant les errements poétiques du président, qui ne sont pas vraiment démentis par ceux de ses collaborateurs, notamment son conseiller Jack Sullivan en attendant son inculpation par le procureur Bertham. Le Saker-US va tout à fait dans notre sens lorsqu’il donne le 15 février 2022 son explication de la psychologie, non seulement de Biden mais de toute son administration et même au-delà, jusqu’au DeepState, – qui est une façon de dire des uns et des autres,  qu’ils se trouvent dans un élan d’affirmation d’allégeance et de dépendance, comme l’on dit d’une drogue, les uns par rapport aux autres et vice-versa, comme s’il n’était plus possible de faire aucune hiérarchie, aucune direction, aucune élaboration, aucune distinction…

(Juste pourrait-on diverger un petit peu lorsque Saker-US parle des “intérêts qui dirigent” au travers de la représentation des zombies de la directionSystème ; les intérêts suivent plutôt, parce que le mécanisme est celui du fric, mais il n’a plus aucune direction, aucune stratégie, aucune ambition structurée, – sinon le fric, le fric, le fric, etc., qu’il ramasse à la suite du peloton, comme la voiture-balai du Tour de France ; ou bien, et même surtout, qu’il fait imprimer sous forme de billets par les imprimeuses promesses hypersophistiquées de la Fed.)

Voilà l’affaire, [conclut le Saker-US]. Ce n’est pas seulement Biden qui est en état de mort cérébrale.  C’est aussi le collectif-“Biden” : tout ce qu’ils font, c’est “du vent surchauffé”, comme Lavrov l’a si bien dit aujourd’hui.  Ce que nous avons entendu ce soir n’est pas seulement les divagations d’un sénile, d’un narcissique délirant.  Ce que nous avons entendu, c’est la voix de l’État profond américain : c’est ce qu’ils “pensent” tous et c’est ainsi qu’ils “pensent” tous.

Le pourquoi et le comment de l’arrivée au pouvoir d’individus tels que Clinton, Dubya [GW Bush], Obama, Trump ou Biden, ou de leurs promesses, n’a plus vraiment d’importance.  Ce qui compte, c’est que ce sont ces gens-là qui dirigent les États-Unis (pas eux personnellement, bien sûr, mais les intérêts qu’ils représentent).  Le même genre de non-entités dirige le Royaume-Uni, d’ailleurs, mais d’une manière encore plus pompeuse et ridicule.

… Tout cela et bien assez, finalement, pour nous rappeler que ‘Russiagate’ est le père putatif, communicationnel et psychologique, opérationnel enfin, des événements actuels autour de l’Ukraine et de cette haine extraordinaire de la Russie et de Poutine, des divagations des interférences russes, de l’armée des délateurs et des dénonciateurs, des balances et des donneuses instituées dans divers pays européens, de cette corruption pathologique extraordinaire de la psychologie.

C’est effectivement le déchaînement de communication alliant des services officiels (CIA, FBI), la presseSystème, la bureaucratie d’un puissant parti (démocrate) sans beaucoup de résistance de l’autre (le parti républicain n’aimant guère Trump qu’il devait soutenir), ainsi que tous les moyens de corruption et d’influence aux USA et à l’étranger dans le bloc-BAO de l’“État profond” qui a transformé la perception de la Russie, et essentiellement celle de Poutine. Nous sommes passés de l’image d’un dirigeant extrêmement ferme, résistant aux pressions occidentalistes, soupçonné d’autoritarisme et de corruption à une image d’icône démoniaque, provoquant de véritables hystéries et autres malaises physiologiques et psychologiques du genre dans la perception et le jugement. […]

Il est manifeste que ‘Russiagate’, qui a déclenché une cascade d’accusations d’ingérence, d’actions illégitimes, de complots de la Russie, d’attaques contre les médias russes (RT et Spoutnik), etc., constitue une dynamique créatrice d’illusions… […]

Il n’y a nul complot sinon des tentatives éparses et de circonstance, il n’y a nul plan diabolique sinon la pente du naufrage à pic. Nous sommes prisonniers de l’addiction des psychologies à l’illusion établie (pour ce cas, diabolisation de Poutine, ‘Russiagate’), au-delà même de la cohérence d’un simulacre bien construit.

Pour cette ample et vaste raison, il nous paraît assez judicieux de reprendre ce texte déjà référencé plus haut que nous avions consacré au ‘Russiagate’, lorsque assez d’éléments avaient été réunis pour décrire et comprendre de quoi il s’agissait après bien plus an de cette polémique menée au grand jour, lorsque la structure du pouvoir et de la direction US, lorsque sa psychologie s’étaient totalement immergées dans ce simulacre monstrueux. Notre intuition est que ni l’une ni l’autre n’en sortiront jamais, sinon pour entériner la rupture et la désintégration du pays.

Voici une reprise du texte du 22 mai 2017, rafraîchi essentiellement par la traduction des extraits d’articles anglais en français.

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Russiagate, simulacre extrême

22 mai 2017 – L’affaire est désormais nommée Russiagate selon un rite désormais bien établi : tout scandale d’une certain “poids” en termes de volume et de puissance de la communication, c’est-à-dire considéré du point de vue de la communication, reçoit un surnom terminé par le gate du Watergate, surnom originel emprunté au nom de l’immeuble où eut lieu le cambriolage initial d’où naquit le scandale. Le Watergate est “le père de tous les scandales” dans l’époque commençante de la postmodernité. Vieux maintenant de dix mois, le Russiagate est désormais un membre très sérieux de la confrérie. C’est tout dire : on parle désormais de destitution du président. Mais cela ne s’arrête pas là, loin s’en faut et tant s’en faut : il s’agit d’un Watergate d’une facture infiniment étrange, un néo-Watergate absolument postmoderne.

(Certains imaginent la variante plus ouverte de Trumpgate, et l’on pourrait aussi bien dire Russiagate-Trumpgate. Mais la chose est trop large, même si elle nous ouvre des horions pleins de brio. Pour notre cas, c’est bien de Russiagate spécifiquement dont nous voulons parler.)

Pour nous, si Watergate est “le père de tous les scandales” dans l’époque commençante de la postmodernité, Russiagateest “l’archétype de tous les scandales” dans l’époque en pleine surpuissance de la postmodernité ; c’est-à-dire qu’il est simulacre achevé et le modèle achevé du simulacre du scandale, selon une expression dont on verra qu’elle est paradoxale parce qu’elle désigne un phénomène contradictoire, et qui est aussi bien suicidaire que meurtrier.

Pour bien structurer notre propos, nous rappelons en quelques mots son origine en restant au plus simple. (La chose devient horriblement complexe lorsqu’on veut aller aux détails comme le montre ce texte de Rolling Stone/ZeroHedge.com du 21 mai 2017 décrivant une chronologie détaillée du scandale.) Entré dans la dernière décade de juillet 2016, on prépare la convention démocrate qui doit sacrer Hillary Clinton, dans la foulée de la convention républicaine qui vient, – l’horreur est consommée, – de nommer comme son candidat officiel Donald J. Trump. C’est alors que commence une livraison massive et coordonnée de fuites-WikiLeaks portant sur le matériel de communication (essentiellement e-mails) de la campagne Clinton et du DNC (Democratic National Committe). Les premiers éléments mettent en évidence une opération générale du DNC pour saboter la candidature Sanders, au point où la présidente du DNC, Debbie Wasserman Schultz, doit immédiatement démissionner. La défense pour sauver la convention et la candidature Clinton est aussitôt organisée en catastrophe selon l’idée que, pour détourner l’attention il faut la dés-orienter, du contenu du message vers le “messager” qui devra être assez extraordinaire et scandaleux pour justifier largement un tel détournement, aux yeux de ceux qui n’attendent qu’un signal à cet égard, et même rendre ce détournement très juteux du point de vue de la communication. En conséquence, le “messager” est aussitôt identifié conformément à l’hystérie de l’antirussisme qui baigne Washington D.C. depuis trois ans : c’est la Russie-Poutine qui manipule… Il n’y a rien, aucun signe, aucune preuve, etc., sinon l’urgence de la manœuvre dans laquelle s’engouffre aussitôt la presseSystème, soulagée en un seul soupir d’avoir quelque chose de très-consistant à se mettre sous la plume.

La tactique accouchant de la stratégie comme c’est la coutume dans l’époque postmoderne de l’inversion, il apparaît très vite que la défense tactique qui marche bien peut parfaitement se muer en une attaque stratégique qui sera irrésistible. La narrative devient quasi-instantanément que la Russie a attaqué Hillary et la DNC non pour le fait lui-même mais beaucoup plus fondamentalement parce qu’elle (la Russie) veut faire faire gagner Trump, parce que Trump est “son” candidat, son “agent”, son sous-marin en immersion, le traître-en-soi, The Siberian Candidate comme le baptisera le Prix Nobel d’Economie Paul Krugman en pleine crise d’“hystérie rationnelle”, en référence au mythe hystérique de la Guerre Froide du Manchurian Candidate. C’est-à-dire que l’on est passé de la question des documents “fuités” concernant Hillary et le DNC, au comportement général du candidat Trump, puis du président Trump. C’est fait : Russiagate est né et l’on n’en démordra plus car il est né comme simulacre complètement postmoderne, en tranchant net tout ce qui liait la situation de Washington D.C. quelque vérité que ce soit.

Il y a un texte excellent dans The National Interest, le 19 mai 2017, de Jim Geraghty, un conservateur républicain qui fut constamment anti-Trump (le groupe NeverTrump) durant la campagne, texte que signalait The Daily Caller le même 19 mai 2017. Ce texte permet de comprendre le caractère à la fois extraordinaire et inédit de Russiagate, antipodes du Watergate pour cela : l’absence totale de preuves, d’indices, de signes, etc., pour étayer l’accusation, en fait l’absence de crime dans un montage réalisé pour dénoncer le crimeRussiagate dure depuis dix mois, et depuis dix mois l’opérationnalité du “scandale” se poursuit parallèlement (puisqu’il s’agit de l’accusation d’un candidat devenu président d’agir constamment pour les intérêts russes, sous l’influence des Russes, donc nécessairement en communication avec les Russes pour recevoir les consignes afférant à sa mission) ; pendant toute cette période, par conséquent, toute la puissance de l’IC (Intelligence Community), le FBI, la NSA, la CIA, etc., a été et est orientée vers la recherche de preuves, d’indices, de signes, etc. ; et rien, absolument rien depuis neuf mois.

Jeudi soir, les responsables de la communication de la Maison Blanche se sont empressés de mettre en avant ces commentaires des législateurs, admettant ou confirmant, qu’ils n’avaient, jusqu’à présent, vu aucune preuve de collusion entre la campagne Trump et la Russie. 

Sam Stein, Huffington Post : “Mais juste pour clarifier la chose, il n’y za pas eu de preuve concrète jusqu’ici ?”

» Rep Maxine Waters (D-CA) : “Non, il n’y en a aucune”.

Gardez à l’esprit qu’il s’agit de ‘Mad Maxine’ Waters, qui commence cette interview en proclamant : “Enfermez cette bande, enfermez-les tous ! Je pense que tout cela a été fomenté stratégiquement avec des gens du Kremlin, avec Poutine”.

D’accord, d’accord, il est impossible que la campagne Trump ait pu trouver cette stratégie toute seule. C’est certainement le travail des services secrets russes. Vous avez résolu l’affaire, Mme la députée !

Ensuite, un sénateur républicain qui n’a pas été un allié constant de Trump fait la même analyse.

Sen. Lindsey Graham of South Carolina : “Il n’y a aucune preuve de collusion entre la campagne Trump et les Russes à ce jour. Je ne crois pas que le président lui-même soit une cible ou un sujet d’une enquête criminelle à ce jour. Donc, c’est ce que je sais pour le moment, et où cela va je ne sais pas. Suivez les faits là où ils vous méneront”.

La déclaration la plus significative vient peut-être de la sénatrice Dianne Feinstein de Californie [en tant que présidente de la commission du renseignement, elle est au courant à huis-clos de l’essentiel du renseignement secret] :

Wolf Blitzer, CNN : “La dernière fois que nous avons parlé, sénateur, je vous ai demandé si vous aviez effectivement vu des preuves de collusion entre la campagne Trump et les Russes, et vous m’avez dit, – et je vous cite, – vous avez dit : “Pas pour le moment’. Est-ce que quelque chose a changé depuis notre dernière conversation ?”

Senator Dianne Feinstein (D-CA) : “Eh bien, eh bien non… Ca n’a pas changé…” […]

Wolf Blitzer, CNN : “Mais je veux juste être précis, Sénatrice. Dans tous les… Vous avez eu accès au comité de renseignement, au comité judiciaire, tous les accès que vous avez eu à des informations très sensibles, jusqu’à présent vous n’avez vu aucune preuve de collusion, est-ce exact ?”

Senator Dianne Feinstein (D-CA) : … Des preuves qui établiraient qu’il y a collusion ? Il y a toutes sortes de rumeurs qui circulent. Il y a des articles de journaux, mais ce ne sont pas nécessairement une preuve”.

Feinstein est la plus intéressante car pensez à la facilité avec laquelle elle aurait pu truquer sa réponse : “J’ai vu des choses qui me troublent, Wol”, ou bien “J’ai vu des choses qui soulèvent de sérieuses questions”, ou toute autre salade qui évite le mot “non”.

Et puis il y a eu cet article de Reuters, rapportant que Michael Flynn et d’autres conseillers de la campagne de Donald Trump étaient en contact avec des responsables russes et d’autres personnes liées au Kremlin dans au moins 18 appels et courriels au cours des sept derniers mois de la course présidentielle de 2016,

Les personnes qui ont décrit les contacts à Reuters ont dit qu’elles n’avaient vu aucune preuve d’acte répréhensible ou de collusion entre la campagne et la Russie dans les communications examinées jusqu’à présent. Mais la divulgation pourrait augmenter la pression sur Trump et ses assistants pour fournir au FBI et au Congrès un compte rendu complet des interactions avec les responsables russes et d’autres personnes ayant des liens avec le Kremlin pendant et immédiatement après l’élection de 2016.

(L’article de Reuters cite des “responsables américains actuels et anciens” comme sources. Chaque fois que nous voyons les mots “anciens responsables américains”, nous devrions garder à l’esprit qu’il y a une bonne chance que telle source soit plus précisément caractérisée comme un “ancien responsable de l’administration Obama”. Cela ne signifie pas que cet ancien fonctionnaire ment automatiquement, mais simplement qu’il a un objectif particulier pour divulguer cette information, et qu’il est effectivement caché aux lecteurs…)

… Ainsi s’impose de plus en plus le poids de cette situation de l’absence de preuve, d’indication, de signe, etc. l’impression est résumée par ces deux paragraphes dans le texte de Geraghty, présentés comme résumant le mieux l’aspect le plus déconcertant, le plus irritant, pas loin d’être insupportable de ce “scandale”. (Il faut garder à l’esprit que Jim Geraghty n’est pas du tout un ami de Trump : ce dont il s’irrite, c’est bien de l’espèce d’hystérie qui fait qu’on ne cesse de crier au scandale, de me dénoncer le scandale comme la plus formidable évidence du siècle, sans rien montrer de probant à cet égard, en promettant pour plus tard ; etc.

Des législateurs démocrates commencent-ils à craindre de ne pas trouver ces preuves ? La communauté du renseignement surveille vraisemblablement toujours le gouvernement russe d’aussi près qu’elle le peut. Les gars du contre-espionnage du FBI traquent vraisemblablement les agents russes sur notre sol autant que possible. Vous imaginez bien que la NSA peut suivre à peu près toutes les communications électroniques entre les Russes et les personnalités de la campagne Trump. S’il s’était passé quelque chose de sinistre et d’illégal entre la campagne Trump et le gouvernement russe, le gouvernement américain dans son ensemble aurait eu tout intérêt à le révéler le plus rapidement possible.

“Ils ne l’ont pas exposé avant le jour de l’élection, ils ne l’ont pas exposé avant le vote du collège électoral, ils ne l’ont pas exposé avant le jour de l’inauguration… Pendant combien de mois les meilleurs enquêteurs des États-Unis ont-ils creusé cette affaire ?” »

Certains jugent que des preuves décisives pourraient être apportées, contre la thèse du Russiagate dans son entièreté, simplement en dévoilant la véritable origine des fuites concernant Hillary et le DNCPar exemple, Alexander Mercouris et Finian Cunningham se tournent vers Julian Assange qui se trouve actuellement dans une situation nouvelle quoique toujours incertaine, déchargé des poursuites de la part de la justice suédoise mais pas pour autant au bout de ses ennuis. Ils le pressent de donner le nom de la source qui a communiqué le matériel Hillary/DNC à WikiLeaks, en ne doutant pas un seul instant (sans grand risque selon nous, tant la ficelle tenant l’entonnoir est énorme) que ce ne sera pas les Russes, et en se doutant bien, avec assez d’éléments, qu’il devrait évidemment s’agir de Seth Rich, employé du DNC et partisan de Sanders, mystérieusement assassiné le 10 juillet 2016 à Washington alors qu’il avait quitté les bureaux du DNC pour rentrer chez lui, dans des conditions et selon une chronologie qui correspondent à merveille au montage du “scandale” ; on a récemment reparlé de Seth Rich, et d’une façon notablement révélatrice…

Cette orientation d’un Assange révélant des éléments décisifs conduirait-elle à l’explosion en plein vol de Russiagate ? La simple et bonne raison répond positivement, et nous sommes conduits, nous, à répondre négativement. Ce qui anime Russiagate, c’est l’outil de l’antirussisme installé au cœur d’un formidable simulacre. Il nous paraît évident que toute tentative d’incursion d’une vérité-de-situation est vouée à l’échec selon les normes en application : soit on ridiculisera les affirmations d’Assange, et particulièrement les preuves irréfutables qu’il pourrait donner, parce que Russiagate fonctionne non seulement sans nécessité de preuves mais en régime de totale abhorration de la notion de “preuves” ; soit on ignorera les affirmations d’Assange, pour ce qui est de la presseSystème et de la pensée-simulacre autorisée par le système pour ce cas… Bref, on aura un mixage des deux, car l’on ne peut détruire un simulacre en le forçant à admettre qu’il est simulacre ; il faut attendre, et presser dans ce sens, qu’il se détruise lui-même, par ses exigences insupportables au regard des vérités-de-situation. (Pour autant, une incursion d’Assange serait une excellente chose en ajoutant une dose de désordre au désordre d’ores et déjà régnant.)

… Ainsi serait-il tout indiqué de nous intéresser à cette fonction de simulacre.

Un “simulacre trop loin”

Sur la fin de son texte, Geraghty qui a pourtant figuré comme un conservateur anti-Trump (NeverTrump) observe les démocrates, et en général tous ceux qui se classent dans le camp des progressistes-sociétaux, d’une façon telle qu’il distingue chez eux des comportements, des perceptions et des jugements qui sortent du champ de la raison et de la politique pour entrer dans celui de la croyance hystérique. Il les observe comme s’il s’agissait, par exemple, d’une secte jugeant que les grandes règles du fonctionnement de l’univers seraient effectivement faussées pour leur plus grand déplaisir si l’on ne convient pas de l’évidente félonie de Trump, comme si eux-mêmes souffraient ainsi, dans l’état où l’unanimité n’est pas acquise, d’une trahison par rapport à ce qu’ils savent et disent de la vérité du monde :

«  …Si vous parlez aux démocrates ces derniers temps, ils ne raisonnent pas comme si les électeurs avaient simplement fait une erreur, mais comme si l’événement historique lui-même s’était trompé. Ils disent que nous vivons dans une ligne temporelle alternative, que nous vivons des événements qui ne sont pas censés devoir se produire. À leurs yeux, Hillary Clinton était manifestement beaucoup plus attrayante que Trump. Elle était en tête dans les sondages ! Elle avait tellement plus de bureaux de campagne ! Elle a dépensé tellement plus d’argent ! Elle a diffusé tellement plus de publicités ! Le résultat [Trump élu] ne peut être que le produit d’une tricherie.

Tant de démocrates associent Trump à des menaces apocalyptiques, – le réchauffement climatique, l’instauration soudaine d’une théocratie répressive à la ‘Handmaid’s Tale’, la confrontation nucléaire, les guerres raciales, – qu’ils se voient tous comme le Kyle Reese de ‘Terminator’, en mission pour sauver l’avenir. Avec cette mentalité désespérée du tout ou rien, ils insisteront toujours sur le fait que les preuves pour faire tomber Trump attendent d’être trouvées, juste au prochain coin de rue... »

Cette perception qui nous apparaît évidente nous a fait classer intuitivement le Russiagate, non comme un scandale, non comme un montage, etc., mais bien comme un “simulacre” édifié d’une façon extrêmement puissante et énigmatique quant à l’identification de ses véritables concepteurs ; cela, ce classement, dans notre texte du 20 mai 2017, où nous mettions sur un même plan Russiagate et la diabolisation de Le Pen ; mais nous n’ajoutions pas ni ne précisions cette évidence importante pour notre propos que Russiagate est une situation opérationnelle active jusqu’à être structurelle et hors de tout contrôle à Washington D.C. tandis que la “diabolisation” de Le Pen reste un élément de convenance de nature conjoncturelle, qu’on active (donc qu’on contrôle en bonne partie) avec plus ou moins de succès selon les circonstances, et qu’on conserve “dormant” quand les circonstances se normalisent :

Nous vivons, dans le champ déterminé par le Système, dans une situation générale de simulacre, où n’existe plus aucune ontologie selon le classement établi par Platon : le Russiagate est un simulacre, comme l’est la “menace-Le Pen” au deuxième tour.

La définition et la situation du simulacre, terme extrêmement utilisé et propre aux déconstructeurs, et donc que l’on dirait paradoxalement fondateur de la modernité (paradoxalement puisqu’il s’agit d’un fondement qui est non-fondement par définition, puisque dépourvu de toute ontologie), sont ainsi données par Jean-François Mattei (L’homme dévoyé, p.149) à partir de la perspective de Platon que nous citions nous-mêmes avec Mattei à l’esprit. L’extrait ci-dessous suit une approche théorique où ce qui est nommé “réalité” se réfère aussi bien à l’ontologie qu’à la Vérité, et par conséquent échappe totalement à une situation, celle que nous constatons, où la “réalité” a été complètement fracassée :

Si l’on entend par le terme “réalité” tout ce qui nous apparaît dans une expérience physique ou mentale, nous sommes conduits à distinguer plusieurs niveaux d’édification de la réalité. Le premier niveau, qui a été théorisé par Platon, est celui de la modélisation. Il consiste à construire un modèle théorique à partir d’une idée directrice… […] Ce modèle est susceptible d’engendrer la réalisation d’un nombre considérable d’œuvres scientifiques, techniques, artistiques et littéraires dont la nature est architectonique puisqu’elles sont construites sur un fondement rationnel, arché. Ces œuvres obéissent à une opération de représentation qui reste fidèle au modèle original. La copie-icône rend présente l’idée-modèle absente dans la mesure où la reconnaissance de la copie dépend de la connaissance de l’idée. Au troisième niveau de réalité, on constate une rupture : la simulation se substitue à la modélisation et à la représentation. Le simulacre, en tant que résultat de cette opération, possède un pouvoir de déréalisation des précédents niveaux de réalité en raison de son procès de virtualisation.

La spécificité du Russiagate est double, ce qui en fait un simulacre que nous qualifierions d’extrême, échappant à tout contrôle, à toute aide et incitation venues des capacités électroniques, informatiques de simulation, des jeux électroniques, des représentations de spectacle (par exemple, les films TronMinority Report, ou la série des Matrix, auxquels Mattei fait allusion). Le Russiagate est construit essentiellement sinon exclusivement sur des éléments humains de la psychologie, et il est si extrême justement que les moyens électroniques et informatiques n’y ont aucune part sinon par la situation étrange de leur échec à renforcer le simulacre (non-production de preuves, de communications Trump-Russie, etc.). Il n’y a que la conviction hystérique, la puissance paradoxale d’une psychologie trop affaiblie pour résister à des pressions extérieures que permet sa pathologie, – pressions qui viennent à notre sens de ce que nous nommons “des forces obscures“ dont nous jugeons catégoriquement qu’elles sont hors du champ des manigances et manipulations humaines.

Le résultat est un amas de contradictions auxquelles personnes dans la “secte” progressiste-sociétale ne veut donner ni foi ni crédit, puisque si on le fait le simulacre s’écroule. Le poids de ces contradictions constitue le caractère le plus extraordinaire, et le plus chargé de potentialités catastrophiques, conjoncturellement pour Trump mais, — et c’est évidemment de loin le plus important, – structurellement et essentiellement pour le pouvoir de l’américanisme et le Système par conséquent. Scott Adams, le créateur de Dilbert que nous avons déjà souvent cité, écrit le 18 mai 2017 … :

C’est un assassinat [psychologique du Président Trump]. Je pense également que nous sommes en train d’assister avec les fuites récentes à la première phase de la Destruction Mutuelle Assurée de notre gouvernement. Les fuites vont détruire Trump si elles continuent. Mais si cela survient, aucun démocrate et aucun républicain anti-Trump ne sera jamais capable de gouverner dans le futur… […] Le prochain président sera “fuité” au point de l’impotence complète. Et c’est ainsi que meurt la République…

• La première contradiction est la plus brutale, la plus primaire ; elle est dans ce fait que l’absence totale de preuve de collusion et l’affirmation catastrophique d’une collusion obligent à des raisonnements complètement insensés. Personne ne les relève dans la presseSystème, mais un tel étalage de bêtise hystérique constitue un poids terrible pour la psychologie. Ainsi de Maxine Walters, la députée surnommée bien entendu Mad Maxine, et qui nous a déjà averti qu’il fallait que Poutine retire ses troupes de Corée du Nord, et qui avance comme preuve de la collusion puisqu’il n’y a pas de preuve, suggérant implicitement cette absurdité que les stratèges de Trump et Trump lui-même n’ont pas pu élaborer seuls de tels mots d’ordre, – ceux qui ont marqué l’action de communication de la campagne-Trump durant USA-2016 :

« “Emprisonnez-là” [Hillary], “Emprisonnez-là”, tous [ces mots d’ordre] ont été stratégiquement développés depuis le Kremlin, sous la direction de Poutine [n’ont pu être stratégiquement développés que depuis le Kremlin, sous la direction de Poutine] »

• D’une façon plus générale, le fait que rien n’a pu donner l’indication d’une collusion malgré la capacité d’écoute et de renseignement de l’IC, par rapport à la description de la puissance de cette collusion, investit les Russes mais également Trump d’une extraordinaire puissance, à mesure, dans le champ de la capacité à dissimuler la collusion.

• D’où la contradiction extrêmement lourde à porter… L’attaque contre Trump, pour demander la destitution, suit deux axes : 1) la collusion avec les Russes, et 2) son incompétence totale, si l’on veut sa stupidité (certains jugent qu’il a l’intelligence d’un enfant). Comment concilier cette extraordinaire stupidité avec cette extraordinaire capacité à dissimuler une collusion aussi colossale ? D’un côté, l’homme est un idiot congénital, de l’autre un génie (“génie du Mal” certes, selon le simulacre, mais que nous importe dans ce cas : le génie reste un génie).

Ces différentes fluctuations viennent du fait que Russiagate est effectivement un simulacre extrême, c’est-à-dire un simulacre qui s’est installé sans aménager ni maîtriser à son image les événements en cours et qu’il s’est pourtant installé au cœur de ces événements. Ce n’est pas un simulacre par ruse, par habileté, par “consentement mutuel“, par séduction, par faiblesse, par abandon, par lâcheté, etc. ; et surtout ce n’est pas un simulacre installé par les instruments technologiques (simulation) de la postmodernité alors qu’il utilise à fond la communication de la postmodernité, ainsi mettant en opposition les deux forces de la postmodernité, technologisme et communication… Non, c’est un simulacre de conquête qui dépend du seul hybrisdes psychologies malades, un simulacre qui veut détruire tout le reste, et notamment les diverses vérités-de-situation qu’on peut trouver ici et là, éparses mais puissamment vibrantes, si l’enquêteur a du flair.

… Or ce n’est pas de cette façon que doit procéder le simulacre pour s’imposer. Le simulacre procède d’actions souterraines, d’une déconstruction furtive sinon invisible (stealthy) des ontologies impliquant parallèlement une dissolution. Il doit fasciner, séduire, conforter et apaiser, il doit susciter le consensus dont on comprendra qu’il s’agit bien entendu d’un “consensus mou” ; il doit être construit sur une logique psychologique de l’apaisement, sinon de l’endormissement, comme un stupéfiant. On est, avec le Russiagate, dans un cas quasiment contraire, avec une ou des psychologies exacerbées, un consensus chaotique, violent ou disparate, qui s’exerce au milieu de criailleries et de contestations qui se font entendre de-ci de-là, y compris de l’intérieur du Système mais aussi bien sûr autour de lui avec les pressions de l’antiSystème ; et tout cela formant un “bruit de fond” qui interfère sur les croyances, qui fait douter ou hésiter, etc.

Face à ce simulacre qui s’est ainsi formé d’une façon si audacieuse et surtout extrêmement risquée, on ne doit pas attendre de l’antiSystème qu’il contre-attaque et l’emporte, mais qu’il joue son rôle de tourmenteur parce que sa fonction est finalement de faire pression sur le Système pour le pousser à exercer sa surpuissance jusqu’à la faute qui l’obligera à développer son penchant irrésistible pour l’autodestruction, comme les déconstructeurs sont déconstructeurs d’eux-mêmes. (Mattei nous parle d’une « “époque de l’être en déconstruction” » selon Derrida, « de telle sorte que l’on ne peut échapper à cette fatalité qui frappe même le terme de déconstruction qui doit, à son tour, être déconstruit… ») L’antiSystème sous toutes ses formes, y compris avec le rappel aisé des vérités-de-situation sans nombre qui gravitent autour du Russiagate et sont régulièrement repérées, contribue largement à empêcher toute forme d’apaisement de ce simulacre. Il contribue au contraire à nourrir l’hystérisation des psychologies et à mettre en évidence que le simulacre est bien un simulacre, même si ceux qui ont cette sensation n’ont pas immédiatement la capacité de démontrer pourquoi ce “simulacre est bien un simulacre”.

Chaque jour qui passe sous l’empire de Russiagate fait penser que le simulacre extrême qu’est ce scandale est une sorte de “un simulacre trop loin” (comme l’on disait “Un pont trop loin” selon le titre du livre de Cornelius Ryan à propos de la déroute d’Arnhem en septembre 1944, au terme de l’opération Market Garden lancée par Montgomery). Les “simulateurs” eux-mêmes, ceux qui ont construit et qui soutiennent ce simulacre, sont aisément identifiés comme étant plutôt ses prisonniers. Ils n’en peuvent pas sortir, emportés par le déterminisme-narrativiste qui ne cesse d’exiger et torture l’esprit, obligés de soutenir des postures et des affirmations qui heurtent grossièrement tant de vérités-de-situation, croyant à la réalité du simulacre mais infligeant chaque jour davantage à leurs psychologies le poids de cette posture faussaire.

Il reste à l’antiSystème à pousser et à pousser sans cesse, pour que Russiagate ne cesse de s’affirmer comme une maladie s’aggrave, pour empêcher le moindre recul et le moindre repli. A quoi bon ? interroge souvent quelque antiSystème fatigué, montrant par là qu’il n’a rien compris à sa propre fonction qui n’est certes pas d’attendre et d’espérer les récompenses et autres prix d’honneur du Système qu’on attribue aux “gagnants”. Si Scott Adams a raison (« Je pense également que nous sommes en train d’assister avec les fuites récentes à la première phase de la Destruction Mutuelle Assurée de notre gouvernement. »), – et nous pensons qu’il a raison puisque nous affirmons nous-mêmes depuis plusieurs mois que ce qui est en train de se faire autour et à propos de Trump, c’est la destruction du principe, ou simulacre de principe de la fonction et donc du pouvoir washingtonien, – s’il a raison alors l’antiSystème n’a pas besoin d’un dessin pour comprendre à quoi il sert. Et nous serons alors édifié sur l’extraordinaire capacité d’autodestruction de la thèse et du concept que soutient le simulacre, en se formant tel qu’il s’est fait, – extrême” et “un pont trop loin”, dans le cas du Russiagate. Par conséquent, continuez Russiagate, et valsez saucisses !

Philippe Grasset

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