Le Pacte de défense entre l’Arabie Saoudite et le Pakistan est une perte stratégique pour les États-Unis d’Amérique


Par Moon of Alabama – Le 18 septembre 2025

En 2012, les analystes de politique étrangère étasunienne s’inquiétaient d’une éventuelle alliance nucléaire entre l’Arabie saoudite et le Pakistan. Des chercheurs de l’École d’études internationales avancées de l’Université Johns Hopkins et du Stimson Center ont écrit un essai à ce sujet :

L’arme nucléaire pakistano-saoudienne et comment l’arrêter – The American Interest, mars 2012

Le paragraphe d’ouverture :

Un matin, peut-être dans un avenir pas trop lointain, le président des États-Unis pourrait se réveiller en apprenant que, compte tenu des nouveaux dangers au Moyen-Orient, le gouvernement saoudien a demandé le stationnement de troupes pakistanaises sur le sol saoudien. L’annonce pourrait ensuite expliquer que ces troupes apporteront également avec elles l’ensemble des armes conventionnelles et stratégiques nécessaires pour assurer leur sécurité et celle de l’Arabie saoudite. La nouvelle viendrait rapidement d’Islamabad annonçant que le Pakistan a accepté un programme d’aide généreux et du pétrole à bas prix en provenance d’Arabie saoudite. Les deux parties soulignent que l’accord réaffirme simplement une relation spéciale qui dure depuis des décennies.

Le Pakistan étant un État doté d’armes nucléaires, il fallait supposer qu’un tel pacte fournirait à l’Arabie saoudite des armes nucléaires. C’était quelque chose qui préoccupait beaucoup les États-Unis et son acolyte Israël.

On supposait à l’époque que la raison d’une telle décision de l’Arabie saoudite était sa préoccupation envers l’Iran et son programme nucléaire :

Au cours de la dernière décennie, la perception de la menace de l’Arabie saoudite s’est accentuée à mesure que les dangers venant d’Iran augmentaient, parallèlement aux doutes sur la fiabilité de la protection américaine.

Le moment de se réveiller face à une nouvelle alliance saoudo-pakistanaise est finalement arrivé aujourd’hui :

L’Arabie saoudite signe un pacte de « défense mutuelle stratégique » avec le Pakistan (archivé) – Financial Times

Mais les circonstances stratégiques dans lesquelles l’alliance se produit sont très différentes de celles qui étaient envisagées dans l’essai de 2012 :

L’Arabie saoudite a signé un pacte de « défense mutuelle stratégique » avec le Pakistan, signalant aux États-Unis et à Israël que le royaume est prêt à diversifier ses alliances de sécurité alors qu’il cherche à renforcer sa dissuasion.

L’accord avec l’État du sud-asiatique doté de l’arme nucléaire intervient une semaine après que les États du Golfe – qui dépendent traditionnellement des États-Unis comme garants de leur sécurité – ont été profondément ébranlés par les frappes de missiles israéliennes visant les dirigeants politiques du Hamas au Qatar.

Nous espérons que cela renforcera notre dissuasion. Une agression contre l’un est une agression contre l’autre”, a déclaré un haut responsable saoudien au Financial Times. “Il s’agit d’un accord de défense global qui utilisera tous les moyens défensifs et militaires jugé nécessaires en fonction de la menace spécifique.”

Il s’agit d’un pacte semblable à l’article 5 de l’OTAN. « Tous les moyens jugés nécessaires« , comme on le comprend, incluent sans aucun doute les armes nucléaires du Pakistan.

Les États-Unis n’y étaient, selon le FT, pas du tout impliqués :

Riyad aurait informé Washington de l’accord de défense pakistanais après sa signature.

L’Arabie saoudite dispose déjà d’une force de missiles stratégiques armée de missiles chinois DF-21 d’une portée allant jusqu’à 1 700 kilomètres. Ils peuvent frapper Téhéran, mais aussi Tel Aviv. Les missiles sont armés de manière conventionnelle mais peuvent être équipés d’ogives nucléaires.

Le développement des armes nucléaires au Pakistan avait été largement financé par l’Arabie saoudite. Les deux pays ont une longue histoire de coopération militaire :

Le Pakistan et l’Arabie saoudite entretiennent des relations de défense qui remontent à des décennies, en partie en raison de la volonté d’Islamabad de défendre les lieux saints islamiques de La Mecque et de Médine dans le royaume. Les troupes pakistanaises se sont rendues pour la première fois en Arabie saoudite à la fin des années 1960 en raison des inquiétudes suscitées par la guerre égyptienne au Yémen à l’époque. Ces liens se sont intensifiés après la Révolution islamique iranienne de 1979 et les craintes du royaume d’une confrontation avec Téhéran.

Le Pakistan a développé son programme d’armes nucléaires pour contrer les bombes atomiques de l’Inde. Cependant, il y a depuis longtemps des signes de l’intérêt du Royaume pour ce programme. Le brigadier général pakistanais à la retraite, Feroz Hassan Khan, dans son livre sur le programme d’armes nucléaires de son pays intitulé “Manger de l’herbe : La fabrication de la bombe pakistanaise”, a déclaré que l’Arabie saoudite avait fourni un « généreux soutien financier » à ces efforts.

Aujourd’hui, l’Arabie saoudite ne craint plus une confrontation avec l’Iran. En 2023, avec l’aide de la médiation chinoise, les deux pays ont enterré leurs haches de guerre. Cette décision était un signe précoce que les États-Unis perdaient du terrain au Moyen-Orient.

Ces jours-ci, les raisons de cette perte sont évidentes :

L’accord a été signé par le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman et le Premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif à Riyad. Le bureau de Sharif a réitéré que l’accord “stipule que toute agression contre l’un ou l’autre pays sera considérée comme une agression contre les deux”.

L’attaque israélienne contre Doha, l’un des principaux alliés non membres de l’Otan des États-Unis, a exacerbé les vieilles inquiétudes des dirigeants du Golfe quant à l’imprévisibilité de Washington et à son engagement en faveur de leur défense, ainsi que les craintes qu’Israël agisse sans retenue avec son armée dans la région.

Les Saoudiens avaient travaillé et espéré une alliance plus profonde avec les États-Unis, mais le génocide à Gaza et le soutien illimité des États-Unis à celui-ci ont rendu une telle alliance impossible :

Riyad espérait sceller un pacte de défense avec les États-Unis, ainsi qu’une coopération avec les plans nucléaires de Washington, dans le cadre d’un grand accord qui l’aurait conduit à normaliser ses relations diplomatiques avec Israël.

Cependant, ces plans ont été bouleversés après l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, déclenchant la guerre à Gaza et le conflit dans toute la région.

Riyad est de plus en plus indigné par la guerre d’Israël à Gaza et la conduite du gouvernement d’extrême droite du Premier ministre Benjamin Netanyahu.

Le prince Mohammed accuse Israël d’avoir commis un génocide et a clairement indiqué que la normalisation n’était pas envisageable à moins que Netanyahu ne mette fin au conflit et ne prenne des mesures pour établir un État palestinien.

La Chine, qui est alliée au Pakistan, sera satisfaite de l’accord. Il en sera de même pour l’Iran. Ce dernier était probablement déjà informé sur le ce sujet :

Avant la signature du pacte de défense, l’Iran a envoyé Ali Larijani, une personnalité politique de haut rang qui occupe désormais le poste de secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale du pays, en visite en Arabie saoudite. C’est un signe que le royaume respecte le pacte avec Téhéran et la détente sous médiation chinoise avec l’Iran depuis 2023.

L’Inde sera préoccupée par l’accord. Une grande partie du pétrole qu’elle achète provient d’Arabie saoudite. Avec une alliance saoudo-pakistanaise en place, tout conflit avec le Pakistan lui causera probablement des difficultés supplémentaires pour l’achat d’énergie.

Les États-Unis et Donald Trump en sont les grands perdants. Le soutien illimité à Israël a un prix de plus en plus élevé. Les pays du Golfe s’en éloignent – lentement, lentement.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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